base élèves : Luc Chatel élude les questions fondamentales


article de la rubrique Big Brother > base élèves, non !
date de publication : vendredi 4 septembre 2009
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Par le biais de “questions écrites” adressées au ministère de l’Education nationale, une dizaine de parlementaires, s’appuyant sur les recommandations du Comité des droits de l’enfant de l’ONU, ont transmis au ministre les inquiétudes des parents et des enseignants concernant le logiciel Base élèves. Les questions posées par les députés –
William Dumas, Etienne Mourrut, Frédérique Massat, Patrick Lemasle, Jean-Jacques Queyranne et Michel Liebgott – ou par les sénateurs – Colette Giudicelli, Robert Navarro, Jacques Mahéas [1]
– étant extrêmement variées, on pouvait espérer que le ministre apporterait des réponses précises à chaque demande.

Las ! le ministre adresse la même réponse à chacun, n’abordant que quelques-uns des problèmes évoqués, avec une absence totale de prise en considération des recommandations du Comité des droits de l’enfant.

Dans sa réponse, le ministre n’évoque ni les directeurs d’école qui refusent un système ne respectant pas la Convention internationale des droits de l’enfant, ni les sanctions qui leur sont infligées. Comment pourrait-il les justifier alors que ces enseignants-citoyens posent le problème fondamental du fichage des enfants ? C’est la question implicitement posée par le communiqué diffusé le 2 septembre par le Collectif national de résistance à Base élèves (CNRBE) que vous trouverez ci-dessous.

Auparavant nous reprenons successivement les différentes parties de la plus détaillée de ces questions écrites, celle de Michel Liebgott, que nous faisons suivre des passages correspondant de la réponse du ministre. Nous avons ainsi retranscrit, par morceaux mais dans leur intégralité, la question du député (en italique pâle), ainsi que la réponse du ministre (en utilisant le signe >>) [2]. Nous avons intercalé dans des encadrés les commentaires que nous ont communiqués certains membres du CNRBE.


Question de Michel LiebgottM. Michel Liebgott attire l’attention de M. le ministre de l’éducation nationale sur le traitement de données à caractère personnel « Base élèves 1er degré ». Le traitement Base élèves, obligatoire pour tous les enfants, a été mis en place sans que le Parlement ait eu à en débattre par un simple arrêté, presque quatre ans après le début de la collecte des données.

>> Réponse du ministre – Après une phase d’expérimentation, qui avait donné lieu à déclaration à la CNIL, conformément à la loi de 1978 modifiée, en 2004, le ministre de l’éducation nationale a pris, en date 20 octobre 2008, un arrêté portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif au pilotage et à la gestion des élèves de l’enseignement du premier degré intitulé « Base élèves 1er degré », en vue de sa généralisation.

Commentaires de membres du CNRBE – Le ministre évoque une « phase d’expérimentation » de 4 ans précédant l’arrêté du 20 octobre 2008. Mais...

  1. au cours de cette période, des données personnelles concernant des enfants, leur famille et leurs proches ont été enregistrées dans Base élèves,
  2. la loi informatique et libertés n’envisage pas qu’un tel traitement informatique de données personnelles soit “expérimenté” sans texte réglementaire,
  3. la mise en œuvre de Base élèves a commencé avant le 10 novembre 2006, date du récépissé de sa déclaration à la CNIL ; la circulaire de rentrée 2006 annonçait que sa généralisation prendrait effet à la rentrée 2007 [3], bien avant le 20 octobre 2008, date de l’arrêté,
  4. au cours de cette « phase d’expérimentation », des directeurs ont été menacés de perdre leurs fonctions – certains ont été convoqués à une commission pour retrait d’emploi de direction –,
  5. aujourd’hui, la Base nationale des identifiants élèves (BNIE) interconnectée à Base élèves ne s’appuie sur aucun texte réglementaire, mais des directeurs sont sanctionnés.

Ce fichage comporte de nombreuses irrégularités et est fortement contesté depuis plusieurs années par de nombreux parents, enseignants, simples citoyens, syndicats, élus, associations. Un millier de parents a déjà porté plainte.
En conscience des directeurs d’école ont refusé d’inscrire leurs élèves dans Base élèves et ont été de ce fait sanctionnés.

Des informations détaillées sur la résistance à Base élèves figurent dans cette page.

Déjà interrogés sur le sujet par plusieurs sénateurs, les réponses du Gouvernement ne prennent en compte ni les conclusions générales du comité des droits de l’enfant de l’ONU formulées le 11 juin 2009, ni les contestations des citoyens.

La réponse du ministre ne comporte pas la moindre allusion au rapport du Comité des droits de l’enfant de l’ONU et à ses conclusions.

Le collectif national de résistance à Base élèves précise qu’il dispose des documents de déclaration à la CNIL après saisine de la CADA, qui confirme qu’il existe bien une base nationale qui conserve une partie des données à caractère personnel pendant 35 ans. Mais cette base n’ayant fait l’objet d’aucune loi, décret ou arrêté, elle n’a pas été portée à la connaissance du législateur et a fortiori du citoyen.

>> Les données recueillies sont strictement listées dans cet arrêté et correspondent aux nécessités de la gestion et du pilotage du premier degré : identification et coordonnées de l’élève ; identification du ou des responsables légaux de l’élève ; autres personnes à contacter en cas d’urgence ou autorisées à prendre en charge l’élève à la sortie de l’école ; dates d’inscription, d’admission et de radiation de l’élève dans l’école, classe, niveau et cycle ; activités périscolaires (garderies, études surveillées, restaurant et transport scolaire)

La liste des données recueillies dans Base élèves a fait l’objet de plusieurs modifications – par exemple, la nationalité a été supprimée en octobre 2007.

Le recours à des termes peu précis comme « gestion » et « pilotage » ne permet pas de définir avec précision la finalité du traitement comme le demande l’article 6–2° de la loi informatique et libertés.

Dans son énumération des données recueillies, le ministre semble oublier l’ identifiant national élève (INE), numéro attribué à chaque enfant/élève au moment où il entre dans le système éducatif et qui pourra lui servir d’identifiant pendant 35 ans [4]

Noter également l’absence totale d’évocation de la Base nationale des identifiants élèves qui permettra de conserver des données relatives à l’élève tout au long de ces 35 années.

Ces oublis du ministre s’expliqueraient-ils par l’absence de tout texte réglementaire concernant l’INE et la BNIE ?

Il précise également que des recherches d’enfant sont pratiquées de manière automatique par Base élèves. En effet, des avis de recherches complémentaires ont été envoyés dans les écoles rédigés en ces termes : « Recherche d’enfants [...] Ces élèves n’apparaissent pas dans la base d’élèves mais peut être l’inscription est elle récente et le directeur n’a-t-il pas encore mis à jour la base élèves ». Ces recherches automatiques échappent par définition à la vigilance des citoyens, en particulier, sans que les directeurs d’écoles en soient informés et pourraient conduire des parents à ne pas scolariser leur enfant en cas de situation irrégulière.

Un nouveau sujet que le ministre se refuse d’aborder : l’utilisation de Base élèves pour des recherches d’enfants.

Par ailleurs, la loi relative à la prévention de la délinquance du 7 mars 2007 a modifié le code de l’éducation a posteriori (Base élèves date de 2004), et les fichiers des élèves jouent un rôle nouveau dans des projets interministériels mettant en oeuvre de nombreuses interconnexions. L’école devient ainsi un lieu de détection, ce qui est contraire à la CIDE.

Encore un sujet sur lequel le ministre ne s’exprime pas.

D’autre part, quand bien même Base élèves faciliterait le travail des directeurs, et ce n’est pas le cas, cela ne peut se faire au détriment des droits des enfants.

>> Cet outil est nécessaire, en particulier, pour le suivi précis des effectifs d’élèves. Il concerne l’ensemble des écoles publiques et privées, afin d’effectuer des constats de rentrée exhaustifs et fiables pour le premier degré, comme cela est déjà le cas depuis longtemps pour le second degré.

Notons tout d’abord que « cet outil » « concerne les élèves des écoles maternelles et élémentaires, publiques et privées, France entière. Elle concerne également les élèves dont l’enseignement est dispensé hors école (dans la famille, au CNED, dans les structures hospitalières, les établissements spécialisés) » [5]. En bref, il s’agit d’un fichage de tous les enfants.

D’autre part, les « constats de rentrée » ont toujours été effectués de façon très précise dans les écoles le jour de la rentrée. Ils ne nécessitent pas l’entrée de données nominatives, pas plus que les prévisions d’effectifs, compte tenu des mouvements de population durant l’été.

Les projets d’utilisation de l’INE pour collecter de nouvelles données sur les enfants (évaluations, compétences...), malgré des systèmes de primes, ne manqueront pas de faire naître encore des oppositions de parents et d’enseignants convaincus que les enfants doivent pouvoir grandir sans être tracés.

>> Toutes les informations relatives aux finalités et au contenu de cette application de gestion des élèves sont communiquées aux parents d’élèves par les directeurs d’écoles, les inspecteurs de circonscription et les inspecteurs d’académie, directeurs des services départementaux de l’éducation nationale. En effet, outre l’affichage de ces informations sur les panneaux destinés à l’information des parents d’élèves, ces derniers se voient remettre, en même temps que la fiche de renseignement à remplir, un imprimé sur les finalités de l’application et sur leurs droits d’accès et de modification des données recueillies.

Dans sa lettre du 22 avril 2008 au Directeur général de l’enseignement scolaire au ministère de l’Education nationale, le président de la CNIL écrivait : « l’absence d’information des personnes concernées par ce dispositif est l’une des principales difficultés soulevée dans ce dossier. »

Il aura fallu plus de quatre ans pour que le ministère produise une fiche de renseignements à peu près complète à l’intention des familles, laissant jusque là les directeurs et inspecteurs gérer le problème.

>> La sécurité des accès à l’application est assurée par un dispositif d’authentification forte des utilisateurs, aujourd’hui généralisé, qui a fait l’objet d’échanges avec la CNIL.

Il a fallu quelques épisodes rocambolesques, pour que le ministère parvienne enfin à sécuriser le système. Mais pour combien de temps ? On a quelques raisons d’être sceptiques quand on connaît le nombre d’utilisateurs et de gestionnaires autorisés à avoir accès à ses bases de données. Mais ... existe-t-il des systèmes véritablement inviolables ?

>> Les données nominatives ne sont accessibles qu’à un nombre restreint d’acteurs locaux de l’éducation nationale (directeur d’école, inspecteur de l’éducation nationale chargé de circonscription, inspecteur d’académie, directeur des services départementaux de l’éducation nationale) et aux municipalités ayant fait le choix du raccordement à Base élèves pour un nombre limité des données.
Elles ne sont accessibles ni aux rectorats, ni à l’administration centrale.

Ici encore le ministre ignore – est-il à ce point mal informé ? – l’existence de la Base nationale des identifiants élèves qui recueille des données nominatives entrées dans Base élèves.

_______________________

Communiqué du CNRBE [6]

Directeurs sanctionnés :
le CNRBE interpelle le président Sarkozy

le 2 septembre 2009.

Le Collectif national de résistance à Base élèves vient d’alerter à la fois le Président de la République, son ministre de l’Education Luc Chatel, l’ensemble des Parlementaires, ainsi que la plupart des syndicats représentatifs de l’Education nationale, la Ligue des droits de l’homme et la Fédération des parents d’élèves (FCPE) suite la décision de l’Inspection académique de Montpellier de démettre de leur fonction de direction deux enseignants sur le seul motif de refuser l’application “Base élèves 1er degré”.

Ils sont quatre à avoir été sanctionné pour ce seul motif : Jean-Yves Le Gall dans l’Isère (muté d’office le 29 mai), Isabelle Huchard et Bastien Cazals dans l’Hérault le 27 août, et tout récemment François de Lillo dans l’Ariège, muté d’office suite à un commission disciplinaire qui s’est déroulée à Foix le 31 août. D’autres attendent leur sort après avoir été avertis d’une probable décision similaire, alors qu’ils sont plus de 200 directrices et directeurs d’école à s’être déclaré ouvertement contre la mise en place d’un tel fichage (cf notre Appel à la résistance des directeurs d’école).

Le 11 juin, le Comité des droits de l’enfant (CDE) des Nations-Unies a pourtant considéré qu’un tel fichier touchant des enfants dès l’âge de 3 ans devait être encadré par la loi, ce qui n’a jamais été le cas pour Base élèves puisque seul un arrêté du 20 octobre 2008 a été produit à ce jour. Le CDE s’est dit par exemple « préoccupé par le fait que cette base de données [Base élèves] puisse être utilisée à d’autres fins, telles que la détection de la délinquance et des enfants migrants en situation irrégulière, et par l’insuffisance des dispositions légales propres à prévenir son interconnexion avec les bases de données d’autres administrations. » Autant d’éléments que le CNRBE a mis en évidence depuis longtemps (cf nos articles sur les migrants et la question de l’interconnexion).

Le CDE évoque aussi, de manière plus générale, le sort de données personnelles impliquant des enfants dans des bases de données nationales (à l’instar du fichier de l’ONED), et « recommande en outre à l’État partie de ne saisir dans les bases de données que des renseignements personnels anonymes et de légiférer sur l’utilisation des données collectées en vue de prévenir une utilisation abusive des informations ».

Le CNRBE réédite son souhait que la France réponde au plus vite aux recommandations du Comité des droits de l’enfant. Les enseignants sanctionnés n’ont eu que le tort de les respecter.

Le CNRBE

Notes

[1Deux autres sénateurs ont posé des questions écrites auxquelles le ministre n’a pas encore répondu : Annie David et Serge Lagauche.

D’autre part, le ministre répondra oralement à la question de la sénatrice Nicole Borvo au cours de la matinée du 22 septembre prochain.

[2La question de Michel Liebgott et la réponse du ministre sont accessibles sur le site de l’Assemblée nationale.

[3Voir cette page.

[4La déclaration de l’INE à la CNIL faite le 15 février 2006 prévoyait une durée de 40 ans, qui a été ramenée à 35 ans le 8 février 2007.

[5Extrait de l’annexe 5 de la déclaration de Base élèves à la CNIL, le 24 décembre 2004 – cette annexe est accessible à partir de cette page où vous pourrez prendre connaissance de la lettre du ministre de l’Education nationale qui accompagnait la déclaration.

[6Source : le site du CNRBE qui comporte également la lettre adressée à Nicolas Sarkozy.


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