base élèves continue à inquiéter


article de la rubrique Big Brother > base élèves, non !
date de publication : samedi 26 juillet 2008
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Accompagnant le développement effréné des fichiers de police, l’introduction de “base élèves 1er degré” (BE), que le ministère de l’Education nationale persiste à vouloir imposer en l’absence d’information des personnes concernées, développe un trouble profond parmi les parents (autochtones et allochtones) et les maîtres.
En témoigne le débat qui s’est tenu récemment à Cézy, petit village de la “France profonde” [1].

[Première mise en ligne le 18 juillet 2008, mise à jour le 27 juillet]

Aux dernières nouvelles ...

Xavier Darcos a annoncé le 12 juin que Base élèves serait expurgé d’une bonne partie des données posant problème aux parents et aux enseignants. Mais, depuis lors le ministère de l’Education nationale est aux abonnés absents. Interrogé le 24 juillet, le service de presse du ministère a répondu que «  le logiciel doit être modifié, cela prend du temps, et l’arrêté ne sera donc publié qu’à la rentrée de septembre ».

Pour pouvoir modifier Base Elèves, les informaticiens doivent disposer de la liste précise des données qui seront traitées, avec leurs spécifications (destinataires, durées de conservation, etc.). Mais cette liste n’est pas connue — on ne sait même pas si elle est finalisée !

Les parents d’élèves et les collectifs devront-ils attendre la rentrée scolaire pour être fixés ?

Pour en savoir plus, voir le blog des rédacteurs de Politis.
Cézy (1038 habitants), village de l’Yonne.

La “base élèves” inquiète encore les parents, et à juste titre

par Christine Tréguier, Rue89 [2], le 17 juillet 2008

Le ministère de l’Education nationale a beau vouloir apaiser
la contestation autour du fichier "base élèves" [3] et lever les sanctions qui pèsent sur les directrices et directeurs d’école rétifs, les parents d’élèves ne sont pas rassurés pour autant.

“Les 6 frères” de Cézy.

Dans le petit village de Cézy (Yonne), par exemple, quelques mères se sont inquiétées de l’usage qui serait fait des renseignements que la directrice leur demandait de fournir sur leurs enfants. Insuffisamment informée par sa hiérarchie, elle a, de bonne foi, expliqué que seules les données habituelles requises lors de l’inscription de l’enfant leur étaient demandées (ce qui est exact), et qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter (ce qui est omettre toutes les autres données jusqu’ici enregistrées par la directrice).

Les mères d’élèves ont donc cherché par elles-mêmes sur Internet et trouvé les informations publiées par la Cnil, les communiqués de la FCPE et aussi l’excellent suivi effectué au jour le jour depuis quatre ans par la Ligue des droits de l’homme de Toulon.

De plus en plus inquiète, l’une d’elles, que nous appellerons Virginie, a décidé d’organiser, au pied levé, un débat public. Il a eu lieu le 4 juillet, avant les vacances. De ce débat (que j’ai eu le plaisir de modérer), riche malgré les absences de l’adjoint au maire et de la directrice, il est ressorti un constat et plusieurs questions.

Dysfonctionnements à tous les étages

Le constat, d’abord : la diffusion d’informations sur laquelle misait le ministère pour expliquer "base élèves" et désamorcer l’opposition des collectifs (forcément paranos) ne fonctionne pas. La preuve en est, cette directrice, qui n’a pas été formée à "base élèves" et ne sait donc pas quel sera le sort des informations qu’elle recueille (vers quels services remonteront-elles ?).

C’est à l’échelon régional et départemental que l’on trouve les plus graves dysfonctionnements. Les inspections d’académie (IA) et les inspecteurs de l’Education nationale (IEN) ne renseignent pas assez les chefs d’établissement. Du coup, ceux-ci peinent à répondre aux inquiétudes des parents.

Le maire et son conseil non plus ne sont pas informés. C’est Virginie qui les a alertés. Lorsque la mairie s’est intéressée au sujet, elle a trouvé des données insuffisantes et pour le moins opaques : elle a demandé à être mieux informée avant de prendre une quelconque décision concernant ce fichier.

L’ignorance de la mairie est excusable. M. Santoni, qui pilote au plus haut niveau du ministère le déploiement de "base élèves", ignorait lui-même, il y a encore une semaine, quelles données seraient conservées. Constatant que "ça se passe mal", il espère qu’un vaste débat public sera lancé dès la rentrée pour remettre à plat ce dossier si mal engagé depuis plus de quatre ans.

Autres menaces : Sconet et BINE

Ce débat serait d’autant plus utile que les inquiétudes des parents, enseignants et collectifs se déportent désormais sur Sconet, l’équivalent de "base élèves", mais pour le secondaire, lancé en 1995.

Sconet, c’est base élèves pour les grands

Véritable outil de gestion et d’évaluation de la filière éducative, Sconet contient beaucoup plus d’informations que "base élèves", et toutes ne sont pas forcément "Cnil-compatibles", même si l’autorité indépendante a, en son temps, donné son aval. La liasse des arrêtés portant modifications de Sconet est impressionnante, et peu d’experts en droit se sont pour le moment penché sur le problème [4].

Mais c’est surtout la "base identifiant national élèves" (BINE) qui soulève aujourd’hui curiosités et craintes. La BINE est gérée par la Direction de l’évaluation, de la prospective et des statistiques du ministère de l’Education nationale, la même qui est responsable des fameux panels d’études longitudinales, comme le "Panel des 35 000" qui a récemment fait couler beaucoup d’encre.

Lancée en même temps que "base élèves", la BINE se remplit à mesure du déploiement du fichier du primaire, chaque élève se voyant attribuer un numéro identifiant unique qui le suivra tout au long de sa scolarité. BINE grandira avec les gamins, absorbant progressivement Sconet, pour devenir une véritable base nationale de tous les enfants scolarisés dans le public, le privé et à domicile…

L’envergure de ce fichier et l’absence d’informations sur ce qu’il contient et ce à quoi le destine précisément le ministère inquiètent fortement les collectifs, et la Ligue des droits de l’Homme en particulier. La fonction première de ce numéro national unique de l’élève (INE) est de figurer aux côtés de l’état civil dans tous les fichiers scolaires et de s’y substituer lorsqu’on souhaite rendre anonymes les données. L’interconnexion de tous les fichiers scolaires est donc engagée ; le risque d’une connexion avec d’autres fichiers plus sécuritaires ou avec la Caisse d’allocations familiales est réel [5].

Un numéro bavard

L’INE pourrait devenir aussi bavard que le numéro de Sécurité sociale (prévu initialement comme identifiant éléves mais refusé par la Cnil). Aujourd’hui interconnecté avec divers fichiers administratifs, celui-ci faisait dire à la Cnil, lorsqu’elle fut créée en 1978 pour éviter ce type d’interconnexions dangereuses pour les libertés :

"La généralisation de son usage faciliterait grandement les rapprochements de fichiers sans cesse plus importants, l’extension de l’usage du NIR [NDLR. numéro d’inscription au répertoire, le numéro de sécurité sociale] reste, à elle seule, une menace".

Trente ans plus tard, alors qu’on s’apprête à célébrer l’anniversaire de l’autorité indépendante, ces libertés se tarissent… dès la maternelle.

Mais revenons à Cézy. Certaines questions ont été fréquemment posées par les mères lors du débat :

"Si je ne veux pas que mes enfants soient dans le fichier, qu’est-ce que je peux faire ?"

Ou…

"Est-ce que je peux faire corriger ou supprimer les données enregistrées sur mon fils si elles sont fausses ou gênantes ?"

De toute évidence, le ministère et les inspecteurs d’académie n’ont pas prévu de canal de retour pour ce genre de doléances. Une omission qui pourrait être rectifiée rapidement. Car, si pour le ministère, le dossier "base élèves" peut paraître réglé, il ne l’est pas du tout pour la "base".

La rentrée scolaire promet d’être animée.

Christine Tréguier
A Cézy, réunion le 4 juillet 2008 consacrée à Base élèves (photo L’Yonne républicaine)

Le fichier « base élève » provoque la grogne d’une maman de Cézy

par Françoise Tribouillard, L’Yonne républicaine du 7 juillet 2008

Vendredi soir, à Cézy, avait lieu un débat autour du fichier « base élève » mis en place par l’Education nationale dans toutes les écoles de France.

Informée par la directrice d’école de la prochaine inscription de son fils, et de tous les élèves, au fichier dit « base élève » de l’Education nationale, une habitante de Cézy, Virginie, s’est étonnée, inquiétée, puis rebellée.

Ainsi a-t-elle, dans l’urgence mais avec détermination, organisé, vendredi dernier, à la salle des fêtes, un débat sur la question. Débat animé par une journaliste indépendante, Christine Tréguier, en présence de Raymond Kerpedron, du comité régional de la Ligue des droits de l’Homme [et de deux représentantes de la FCPE]. Une trentaine de personnes y ont participé.

« Officiellement, la base élève a été conçue, dès 2005, comme un outil de gestion administrative et de comptage des flux scolaires pour l’Education nationale », a expliqué Raymond Kerpedron. Bien qu’aucune loi ne l’étaye encore, il a été expérimenté dans 80 départements et touche 70 % des élèves. Il vise à ficher les enfants, dès l’âge de l’entrée en maternelle et jusqu’à l’entrée au collège, où un autre fichier prend le relais. «  Toutes les données, fournies par les directions d’écoles, accessibles aux inspections départementales puis aux inspections académiques, constituent un fichier multicouches assorti, pour chaque élève, d’un Identifiant national élève (INE)  », a observé Christine Tréguier. Virginie parle d’une «  atteinte aux droits de l’enfant et à la démocratie même. »

Mais, en raison de certaines questions posées (socioculturelles ou personnelles), « il a été dénoncé comme susceptible de devenir un outil de renseignements sur les enfants et leur famille ». Selon les détracteurs de ce fichier, « la transmission des données au maire, c’est la mise en cause du droit au secret et à la vie privée. La transmission à la Caisse d’allocations familiales, c’est la possibilité de suspendre les allocations aux familles en cas d’absentéisme répété ». Le croisement avec la Loi sur la prévention de la délinquance de mars 2007 constitue pour eux un autre risque d’évidence. « On rentre des informations personnelles sur les enfants sans même que les parents le sachent », a alerté Raymond Kerpedron.

Des directeurs d’école ont été sanctionnés pour refus de formation au maniement du fichier « base élève » ou pour résistance à y inscrire les élèves. Mais, sous la pression d’élus, d’associations de parents, de syndicats enseignants et d’initiatives locales, Xavier Darcos, ministre de
l’Education nationale, semble reculer en retirant du fichier
un certain nombre de questions posées. Mais « on reste dans une espèce de nébuleuse », a commenté Christine Tréguier, «  et il est nécessaire de rester très vigilant ». Selon Virginie et nombre de
participants, « il faut se mobiliser, gagner du temps, contacter les élus, soutenir les directeurs et directrices d’école soumis à leur hiérarchie, qui doivent obligatoirement entrer tous les enfants dans les fichiers ». De toute évidence, l’ambiance générale de la réunion était à la « halte aux fichages. »

Françoise Tribouillard

P.-S.

Angoisses de vacances

par Marianne Dautrey, Charlie hebdo du 9 juillet 2008

L’école est finie, mais déjà en primaire les maîtres redoutent la rentrée : suppression de postes [...] et enfin la fameuse BE.[...]

Quant à BE, ce logiciel de stockage de données sur les élèves destiné au ministère de l’Education, certes les rubriques "nationalité" et "catégories socio-professionnelles" ont été retirées, au grand dam des chercheurs [6], mais reste encore à en obtenir la suppression totale. Déjà des parents d’élèves maliens, comoriens, mahrébins, parfois sans papiers, ne parlant pas toujours le français, vivant dans des situations administratives et économiques délicates, redoutent de se rendre à l’école...

Notes

[1Pour entrer en contact avec un des organisateurs du débat de Cézy : zorba@no-log.org.

Et si vous passez à Cézy, ne manquez pas de visiter
“les 6 frères” : un platane pluricentenaire (44 mètres) dont le tronc porte 6 troncs secondaires.

[3Lire cet autre article de Christine Tréguier le naufrage de la base élèves, sur le site Rue89.

[4Lire sur ce site : et si nous parlions de Sconet ....

[5A propos de l’INE, et de BINE, on trouvera des compléments sur ce site : l’identifiant national élève (INE).


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