les sociologues, victimes collatérales de la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy


article point de vue de la section LDH de Toulon  de la rubrique Big Brother > les “enquêtes” sur les jeunes
date de publication : mercredi 2 juillet 2008
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Deux sociologues, chercheurs en éducation, Dominique Glasman et Stéphane Beaud, lancent une pétition reprise par Libération et que vous trouverez ci-dessous. Ils s’inquiètent en effet, de la suppression de données indispensables pour les chercheurs, dans les enquêtes de l’Education nationale.

Ils ne discutent pas la suppression du fichier Base élèves des questions portant sur la nationalité des élèves que le ministre, face aux protestations, a fait retirer. Mais ils regrettent la disparition dans ce même fichier de la catégorie socioprofessionnelle des parents. « Il ne s’agit pas de défendre l’intérêt “corporatiste” des chercheurs en lui sacrifiant la défense des libertés, souligne la pétition, mais d’avertir qu’un certain nombre de travaux seront désormais impossibles. »

Avant le texte de leur appel, voici le point de vue de la Ligue des droits de l’Homme.

[Première mise en ligne le 1er juillet 2008, modifiée et complétée le 2 juillet 2008]

Les sociologues sont des victimes collatérales de la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy

La Ligue des droits de l’Homme qui a souvent salué la qualité des travaux menés par les chercheurs en éducation estime que leur inquiétude est tout à la fois compréhensible et justifiée.

Mais, si de nombreuses voix s’élèvent de manière récurrente pour demander la suppression de tel ou tel item dans tel ou tel fichier ou telle ou telle enquête, c’est que nous connaissons aujourd’hui un contexte bien précis. Depuis plusieurs années, et plus particulièrement sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur avant d’accéder à la présidence de la République, ce contexte est marqué par une avalanche de lois sécuritaires et anti-immigration et par la multiplication de fichiers sécuritaires.

Par ailleurs, le fait que beaucoup de fichiers sont peu à peu détournés de leurs objectifs initiaux n’est plus à démontrer. L’exemple le plus connu étant le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg), créé initialement pour ficher les délinquants sexuels, mais qui concerne maintenant toutes les atteintes aux biens et aux personnes.

Personne n’a oublié non plus qu’en 2005 le rapport Bénisti préconisait le dépistage précoce des comportements déviants et définissait la langue maternelle non-francophone comme un facteur possible de délinquance. La loi de prévention de la délinquance, adoptée en mars 2007, s’appuyait sur ce même rapport Bénisti pour imposer le partage d’informations entre acteurs sociaux, professionnels de la santé, enseignants, policiers ou magistrats, et le maire. Cette même loi de prévention de la délinquance a modifié le Code de l’Education et a autorisé le maire à avoir accès à des données scolaires et à constituer une base de données à partir des informations fournies par la Caisse d’allocations familiales et l’Inspection académique.

Chasse aux enfants de sans-papiers, tentatives d’instrumentalisation de l’école à cette fin, rapports et études qui mettent en avant certains déterminismes… voilà pourquoi les parents sont de plus en plus méfiants quand il s’agit pour eux ou leurs enfants de répondre à des questions d’ordre personnel posées dans le cadre de l’école. Leur réaction est tout à fait légitime et explique en partie les difficultés que le Ministère de l’Education rencontre pour mettre en place Base élèves 1er degré dans les écoles ou pour faire accepter certaines enquêtes, ce qui a effectivement abouti à la suppression d’un certain nombre de rubriques.

Les sociologues de l’éducation sont, en fait, les victimes collatérales de la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy. La LDH regrette profondément qu’un tel climat se soit instauré dans notre pays mais la responsabilité en incombe totalement aux instigateurs de toutes ces mesures.

Paris et Toulon, le 2 juillet 2008

Françoise Dumont, secrétaire-générale adjointe de la LDH
François Nadiras, responsable du site LDH-Toulon

Pétition

Quelle recherche en éducation demain ?

Depuis des dizaines d’années, le Ministère de l’Education Nationale a rassemblé un grand nombre de données statistiques concernant les élèves, les étudiants, leur cursus, les établissements scolaires, etc.

Ces données ont rendu possible des travaux importants et permis de la sorte un meilleure connaissance du monde scolaire et de ce qui s’y joue : inégalités d’éducation entre régions, entre élèves, compétences des élèves,etc.

Or, actuellement, le recueil de ces données se trouve mis en question, dans la mesure où des variables centrales pour la connaissance scientifique sont progressivement écartées des fichiers et des enquêtes.

La raison, dans le cas des fichiers administratifs, en est a priori tout à fait recevable : certaines de ces données pourraient, faute de rigueur dans l’accès aux fichiers, prêter à des dérives dangereuses, le « suivi » des élèves pouvant sous certaines conditions glisser vers leur « fichage ».

Et, en effet, la protection des libertés des citoyens requiert sur ce plan une grande vigilance.

Mais il faut bien voir aussi que, en se privant d’un certain nombre de données, ou en refusant, - sous le prétexte qu’ils ont vocation à être avant tout des fichiers de « gestion » des flux d’élèves et non de connaissance du système éducatif - d’inscrire dans certains fichiers des données comme, tout récemment, la catégorie socio-professionnelle des parents, on prive la recherche des moyens de conduire un certain nombre de travaux essentiels.

Il ne s’agit pas, évidemment, de défendre ici l’intérêt « corporatiste » des chercheurs en lui sacrifiant la défense des libertés. Mais de souligner le fait qu’un certain nombre de travaux seront désormais impossibles.

Plus moyen, en effet, de mettre en évidence les différences d’orientation des élèves entre les filières, de pointer rigoureusement les inégalités d’éducation, de faire apparaître les mouvements d’élèves d’un établissement ou d’un secteur à l’autre.

Faute de pouvoir s’appuyer sur ces données nationales de qualité, rassemblées par un service dont c’est le métier et la compétence depuis de longues années, et faute de disposer des moyens de les recueillir elle-même à cette échelle, la recherche sera condamnée à se contenter de monographies, certes aussi précieuses qu’indispensables, mais auxquelles on peut toujours opposer leur caractère singulier, localisé, interdisant toute généralisation et donc, au-delà, toute mobilisation collective pour transformer l’école.

Les travaux d’un Pierre Bourdieu auraient été impensables s’il n’avait pu, avec ses collègues, s’appuyer sur ces données complètes et de grande ampleur dont la recherche risque fort, dans les mois qui viennent, d’être dramatiquement privée.

Stéphane Beaud
Ecole normale supérieure de Paris

Dominique Glasman
Département de Sociologie, Université de Savoie, BP 1104, 73011 Chambéry Cedex

Pour signer cette pétition

Faut-il demander aux élèves leurs origines sociales ou ethniques ?

Chronique d’Emmanuel Davidenkoff [1] sur France Info, le 2 juillet à 08h50

Non selon un certain nombre d’associations de gauche : elles ont obtenu de Xavier Darcos qu’il renonce à ce que ces questions soient posées aux écoliers. Oui selon deux sociologues, Stéphane Beaud et Dominique Glasman, qui lancent une pétition intitulée « Quelle recherche en éducation demain » ?

A l’origine du débat , un soupçon tenace, véhiculé notamment par des syndicats enseignants ou des associations de défense des droits de l’homme : les fichiers informatisés dans lesquels on enregistre des données sur les élèves pourraient servir à autre chose qu’à un suivi pédagogique. Et notamment à identifier et à expulser des enfants de sans-papiers.

On se souvient d’une première mobilisation dès la rentrée dernière…
Elle s’est prolongée et a obtenu gain de cause : le ministre de l’Education nationale a retiré des questionnaires – et donc des fichiers informatiques (ce qu’on appelle la « base élèves » – les données jugées douteuses. Problème : certaines des données supprimées servent aussi à comprendre comment marche – ou comment ne marche pas – le système éducatif.

C’est le cas des informations sur les catégories socio-professionnelles des parents, qui viennent d’être supprimées de cette « base élèves »…
Oui. Or c’est à partir de ces données que l’on peut prouver par exemple qu’un enfant de médecin réussit mieux qu’un enfant d’ouvrier ; en quoi est-ce important : eh bien parce que cela permet de mesurer les avancées ou les reculs de ce qu’on appelle couramment « l’ascenseur social » . Sans ces données, la recherche en éducation sera aveugle, plaident les sociologues.

Et les données relatives à la nationalité ?
Les chercheurs admettent que collecter ces données peut constituer un risque mais le raisonnement est le même : si on se prive de la possibilité de suivre les parcours scolaires des enfants immigrés ou issus de l’immigration, eh bien on se prive de données scientifiques pour savoir par exemple si l’intégration par l’école fonctionne.

Mais on ne pouvait pas le faire puisque les fichiers ethniques sont interdits…
Oui. Et c’est un problème. Sauf à procéder comme l’avait fait le sociologue Georges Felouzis pour démontrer les effets de ségrégation ethniques dans les collèges à Bordeaux. Il était parti des prénoms des élèves pour évaluer la réalité de ces phénomènes – et il en avait tiré un livre édifiant intitulé L’apartheid scolaire. Mais à l’époque sa méthode avait été critiquée. Il se contentait pourtant d’essayer d’objectiver quelque chose que l’on peut voir tout simplement en faisant la sortie de certains établissements : il existe en France des collèges et des lycées quasi homogènes bien que recrutant leurs élèves dans des zones hétérogènes.

Notes

[1Spécialiste de l’éducation, Emmanuel Davidenkoff est rédacteur en chef du site phosphore.com, pour les lycéens et les parents.


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