le CNRBE ne baisse pas les bras : lettre ouverte aux maires


article de la rubrique Big Brother > base élèves, non !
date de publication : samedi 12 novembre 2011
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Des maires refusent d’utiliser Base élèves, à Bobigny (Seine-Saint-Denis), à Saint-Rome-de-Cernon (Aveyron) ... Ce dernier, Pierre Pantanella, conseiller régional de Midi Pyrénées, vient d’écrire au Collectif National de Résistance à Base Elèves (CNRBE) : « Pour ma part, je n’ai jamais utilisé ce logiciel et ne le ferai pas. L’Éducation nationale n’est pas mon patron et ne peut me l’imposer. Base élève n’entrera pas dans ma mairie tant que je serai maire. »
D’autres élus réagissent dans le même sens. Après l’Assemblée de Corse et le Conseil régional PACA, le président de la région Haute Normandie s’indigne du fichage de l’enfance, et le président du Conseil général de la Seine-maritime demande au ministre de l’Éducation nationale de mettre fin à Base élèves et au Livret personnel de compétences (LPC).

Conforté par ces prises de position et par l’indignation soulevée par le projet d’évaluation des enfants en maternelle, le CNRBE ne baisse pas les bras, et continue, depuis sa création en 2008, à alerter sur ce recours aveugle au fichage ...

Alerter, mais aussi agir :
- après les 6 recours contre le refus du droit d’opposition déposés en mai devant des Tribunaux administratifs, d’autres sont prévus au cours des prochaines semaines ;
- à la suite du classement en juillet dernier des 2103 plaintes contre X déposées par des parents, une vingtaine d’entre eux ont saisi un juge d’instruction. Leur plainte est jugée recevable et tous les parents de la première plainte peuvent se joindre à cette nouvelle action.

Dans le cadre de ces actions, le CNRBE s’adresse aux Maires de France. Pour protéger les libertés des enfants et préserver leur avenir, il invite les élus municipaux à suivre l’exemple de Bobigny en refusant d’utiliser le logiciel Base élèves.


LETTRE OUVERTE AUX MAIRES DE FRANCE

Aujourd’hui, les maires se trouvent comme les directeurs d’école devant une alternative : saisir ou non les renseignements personnels concernant les enfants et leurs familles dans le fichier Base Elèves 1er degré. Les renseignements demandés peuvent paraître anodins, mais ils constituent le fondement de la création pour chaque enfant d’une fiche élève intégrant un Identifiant National Unique. Ce fichier, mis en place par l’Etat par le biais de l’école et des mairies, est la première pierre d’un vaste édifice de fichage et de contrôle de la population. Ses limites ne sont encore pas définies, mais quelques applications montrent qu’elles sont infiniment extensibles (Affelnet, admission postbac, numérisation du livret personnel de compétences dit LPC...).

Certaines communes, à l’image du Conseil Municipal de Bobigny (93), le 29 septembre 2011, se sont prononcées clairement contre l’utilisation de cette base de données.


Délibération du Conseil municipal de Bobigny (93)

Le Conseil Municipal

Vu la Déclaration universelle des droits de l’Homme, notamment son article 12
Vu la Convention Européenne des droits de l’Homme, notamment son article 8
Vu le Code Civil, notamment son article 9 alinéa 1
Vu le code général des Collectivités Territoriales, notamment son article 2121-29

Considérant que le Ministère de l’Education Nationale a expérimenté le logiciel "Base Elèves" depuis 2004 et exige sa généralisation
Considérant que le logiciel vise à ce que tous les élèves des écoles maternelles et élémentaires soient, dès leur entrée à l’école "fichés" sur la base d’un numéro informatique qui les suivra durant toute leur scolarité
Considérant que la mise en place de cette base de donnée pourrait faire l’objet d’extraction et d’utilisation à d’autres fins que celles prévues
Considérant que ce fichier informatique porte atteinte à différentes libertés publiques, notamment celle du droit à la vie privée,

Après en avoir délibéré,

- Refuse le fichage généralisé des élèves et de leurs familles
- Décide de ne pas mettre en place le fichier informatique "Base élèves"
- Demande à Madame la Maire de se faire l’interprète de cette exigence, de relayer le refus de contribuer au fichage des enfants et de transmettre à l’Education Nationale une demande d’abandon du fichier "Base élèves"

Ampliation du présent acte sera transmise à M. le Préfet de la Seine Saint Denis, M. le Ministre de l’Education Nationale, de la jeunesse et de la vie associative et Mmes et MM. les directeurs des écoles maternelles et élémentaires balbyniennes.
ADOPTE A L’UNANIMITE : Pour 41 contre 0
Transmis en Préfecture le 04/10/2011


Pour en savoir plus

Le Collectif souhaite attirer votre attention sur ce traitement de données à caractère personnel, que vous l’utilisiez ou non (actuellement les maires n’y sont pas contraints)
 [1].

L’Etat a instauré une immatriculation de tous les enfants et la création d’une base nationale, la Base Nationale des Identifiants Elèves (BNIE) [2]
 : sans débat parlementaire, sans texte législatif. Il ouvre la voie au partage de renseignements par deux administrations et à des formes de pilotage [3] qui ne permettent aucune contestation.

Tout d’abord, bien que le ministère ne communique pas sur le sujet, les mises en relation de Base Elèves avec les fichiers des maires ont été jugées illégales par le Conseil d’Etat [4].
Celui-ci, bien que laissant au ministère la possibilité de poursuivre le dispositif, a reconnu que les traitements Base élèves et BNIE comportaient de nombreuses illégalités, dont le refus du droit d’opposition des familles (or, le Ministère n’informe pas les familles sur leur droit d’opposition ou le refuse systématiquement) et la mise en relation de fichiers, notamment avec les fichiers des mairies [5].

De plus, Base Elèves pose de graves problèmes liés à la vie privée et aux libertés :
Outre la forte contestation générale, nous soulignerons que le Comité des Droits de l’Enfant (CDE) des Nations Unies a émis des préoccupations et recommandations [6], alors même qu’il avait eu connaissance de la suppression de certaines données par le ministère, contrairement à ce que ce dernier affirme. Or la France ne respecte toujours pas ces recommandations. De plus, les directeurs sanctionnés en raison de leur refus de renseigner Base Elèves ont été confortés dans leur décision par le rapport présenté au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU en mars 2010 [7]. Le principe que nous retenons du CDE est « de ne saisir dans les bases de données que des renseignements personnels anonymes ». Car en instaurant une remontée de renseignements nominatifs, le dispositif rompt avec le principe de confidentialité. Pourtant celui-ci est primordial pour que les usagers accordent leur confiance aux institutions, pour que tous les enfants (que la situation de leurs parents soit régulière ou non) puissent bénéficier du droit à l’Education. Le Comité des Droits de l’Enfant a d’ailleurs émis une crainte à ce sujet.

D’autre part, dans plusieurs départements de France, des parents ont saisi un juge d’instruction après le classement sans suite par le Parquet de Paris de leurs 2103 plaintes. Ce classement avait été cependant accompagné d’un rappel à la loi.

Dans le même temps, le ministère ne se prive pas de faire évoluer le dispositif par de simples modifications de déclarations à la CNIL (ou sans déclaration comme le Collectif a pu le constater) au gré de nouvelles lois, décrets ou arrêtés, voire de simples circulaires ou nouveaux dispositifs. Enfin, les données sensibles retirées hier de Base Elèves se retrouvent aujourd’hui dans de nouveaux fichiers. Ainsi les compétences réapparaissent dans le Livret Personnel de Compétences (LPC).

C O N C L U S I O N

Au moment où l’Etat français accroît encore les responsabilités de maires, notamment du point de vue du traitement de la délinquance et de l’absentéisme, que des ministres avancent que les préfets pourraient se substituer aux maires qui contestent certains dispositifs -alors que leur contestation par un très grand nombre devrait être interprétée comme le signe de leur inefficacité ou dangerosité-, vous comprendrez l’inquiétude du Collectif.

Concernant le fichier Base Elèves, les maires ont cependant un avantage certain sur les directeurs d’école, puisqu’ils ne sont pas contraints de désobéir pour respecter la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Rien ne les oblige à utiliser Base Elèves. Le Collectif National de Résistance à Base Elèves invite toutes les communes à suivre le chemin ouvert par le Conseil Municipal de Bobigny et les nombreuses mairies qui n’utilisent pas Base élèves et à intervenir à leur tour pour protéger les libertés des enfants et préserver leur avenir.

___________________________

Le CNRBE appelle tous les maires de France à débattre de ce sujet qui dépasse la simple gestion, à ne pas se compromettre en mettant le doigt dans un système incontrôlable qui permet le profilage et la catégorisation des enfants et de la population hors de tout débat citoyen et à continuer à œuvrer pour le respect des libertés individuelles et collectives, garantes de la démocratie.

L’avenir de la jeunesse dépendra pour beaucoup des choix que feront les maires entre ces deux logiques : celle de la surveillance par caméras ou fichiers, de la répression, de la compétition, ou celle d’un suivi humain et bienveillant, de l’éducation, de la confiance, de la valorisation et de la coopération.

Restant à votre disposition pour tout renseignement complémentaire, nous vous présentons nos respectueuses salutations.

Le 7 novembre 2011

Le Collectif National de Résistance à Base Elèves (CNRBE)
http://retraitbaseeleves.wordpress.com/
base-eleves@orange.fr


Notes

[1Ce traitement de données à caractère personnel de tous les enfants, des familles et de leurs proches, est partagé par les écoles, les mairies, les inspecteurs de circonscription et d’académie. Une partie des données personnelles des élèves alimente une base nationale, la Base Nationale des Identifiants Elèves (BNIE).

[2Caractéristiques de la Base nationale des identifiants élèves (BNIE) :
- Mise en oeuvre fin 2004, déclaration à la CNIL le 15 février 2006, récépissé le 27 février 2007.
- Aucun texte législatif publié, cachée au public et aux parlementaires.
- Durée : 35 ans, 400 personnes y ont accès, déclarée pour 13,5 millions de personnes, (en fait rapidement 40 millions).
- C’est un véritable fichier national de données nominatives : INE / Etat civil (INE, Nom de famille, nom d’usage, prénoms, sexe, date de naissance, code lieu de naissance, intitulé du lieu de naissance, date de création et fermeture de l’INE), données relatives à l’historique des modifications d’état civil (nom de famille, nom d’usage, prénoms, sexe, date de naissance, code lieu de naissance, date de mise à jour), données scolarité (Numéro d’établissement, date d’admission, date de radiation, commentaire), données relatives au cursus (numéro établissement, date d’admission, date de radiation), données relatives aux doublons détectés (INE de substitution, date), et données relatives au traitement de la demande (commentaire).
N.B. : Le Conseil d’Etat a demandé de réduire la durée de conservation des données. Le MEN dit l’avoir réduite à 5 ans après la sortie de l’école primaire, soit environ une durée de 13 ans, mais prévoit son remplacement par le RNIE.
Voir http://retraitbaseeleves.wordpress.....

[3Nous mentionnons, à titre d’illustration, la volonté de donner aux préfets la possibilité de se substituer aux maires :
http://www.interieur.gouv.fr/sectio...

[4Décision relative au fichier “Base élèves 1er degré”, CE, 19 juillet 2010, M. F. et Mme C. - n° 317182, 323441 : http://www.conseil-etat.fr/cde/node...
Décision relative au fichier “BNIE”, CE, 19 juillet 2010, M. F. et Mme C. - n° 334014 : http://www.conseil-etat.fr/cde/node....
Voir les notas de l’arrêté du 20 octobre 2008 concernant le droit d’opposition et les mises en relation de fichiers : http://www.legifrance.gouv.fr/affic....

[6Recommandations du Comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies, points 20, 21, 50 et 51 : http://www2.ohchr.org/english/bodie....

[7Rapport présenté au Conseil des Droits de l’Homme par la Représentante du Secrétaire Général des Nations Unies sur la situation des Défenseurs des droits de l’homme dans le monde :
http://retraitbaseeleves.wordpress.....


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