base élèves : attention à la Bnie qui se cache derrière !


article de la rubrique Big Brother > base élèves, non !
date de publication : lundi 17 novembre 2008
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Pour répondre à la demande de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) qui refuse que l’utilisation du NIR – improprement appelé “numéro de sécurité sociale” – s’étende en dehors des organismes intervenant dans le secteur de la sécurité sociale [1], l’Education nationale a conçu un nouveau système qui lui permet d’attribuer à chaque élève, lors de son entrée en maternelle, un numéro qu’il conservera durant tout son parcours éducatif.

A terme, le ministère de l’Education nationale (MEN) disposera d’un grand répertoire comparable au RNIPP géré par l’INSEE [1], avec les avantages mais aussi les risques que cela comporte.


L’immatriculation des jeunes

L’Education nationale a créé un système central, la Base nationale identifiant élève (BNIE), dont voici les fonctionnalités :

  • attribuer un numéro, l’Identifiant national élève (INE), à chaque élève entrant dans le système éducatif,
  • retrouver ce numéro tout au long de son parcours, depuis la maternelle jusqu’à sa sortie du système éducatif.

A la fin de l’année 2007, près de trois millions d’élèves étaient ainsi immatriculés – la moitié des effectifs du premier degré. L’objectif est d’étendre ce champ au second degré, à l’enseignement supérieur, à l’apprentissage et à l’enseignement délivré dans des établissements sous tutelle d’autres ministères que le MEN, notamment celui de l’agriculture [2].

La BNIE a été déclarée à la Cnil, le 15 février 2006. Dans sa déclaration, le MEN évalue à 13 000 000 le nombre des personnes concernées (les élèves du système éducatif), et présente comme finalité principale l’attribution d’un identifiant unique pour permettre le suivi de la scolarité de l’élève.

Le MEN a reçu un récépissé de cette déclaration le 27 février 2007, après quelques échanges de correspondance avec la CNIL. La déclaration est accompagnée d’une série d’annexes datant du 8 février 2007. A noter que la durée maximum de conservation des données nominatives dans la base de données a été fixée à 35 ans (au lieu de 40 ans dans la version initiale).

Le fonctionnement

Lors de l’inscription d’un enfant en primaire, BE1D adresse une requête à la BNIE [3] :

  1. s’il s’agit de la première inscription la BNIE calcule automatiquement un INE (en cas d’erreur ou de litige/doublon, la situation est gérée au niveau de l’inspection académique – l’annexe 9 détaille la procédure suivie),
  2. dans tous les cas la BNIE met ses données à jour et renvoie l’INE à BE1D.
Echanges BE1D / BNIE.

Les directeurs d’école n’ont pas accès à la BNIE, mais celle-ci est accessible à 400 utilisateurs environ (administrateur de l’application au niveau de l’administration centrale, gestionnaires au niveau des inspections académiques ou des rectorats dans leur champ de gestion, les utilisateurs externes au ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche limité à la recherche simple d’un élève à partir des données d’état civil des élèves) [4].

Les données conservées dans la BNIE [5]

  • Données relatives à l’INE et l’état civil (12) : INE, nom de famille, nom d’usage, prénoms,
    sexe, date de naissance, code lieu de naissance, intitulé du lieu de naissance, date de création de l’INE, date de mise à jour de son état civil, date de fermeture (si INE fermé), état de l’INE.
  • Données relatives à l’historique des modifications d’état civil (7) : nom de famille, nom d’usage, prénoms, sexe, date de naissance, code lieu de naissance, date de mise à jour de son état civil
  • Données relatives à la scolarité (3) : Pour le dernier établissement fréquenté :
    Numéro d’établissement (UAI), date d’admission dans l’établissement, date de radiation
  • Données relatives à son cursus (3 pour chaque établissement fréquenté) : numéro d’établissement (UAI), date d’admission dans l’établissement, date de radiation
  • Données relatives aux doublons détectés (2) : INE de substitution, date de substitution
  • Données relatives au traitement de la demande (1) : commentaire

Le soutien du Cnis

Le Conseil national de l’information statistique(CNIS) est un organisme consultatif dont la mission est la concertation entre utilisateurs, producteurs de données statistiques, et les services publics. Il est présidé par le ministre de l’économie ; son bureau est composé notamment du Directeur général de l’INSEE, du commissaire au plan, du gouverneur de la Banque de France, de représentants du Medef et des PME (petites et moyennes entreprises), des Chambres de commerce et d’industrie, des Chambres des métiers… [6]

Le CNIS est très favorable à la mise en place de la BNIE et à son extension, comme il l’a exprimé le 29 novembre 2005 dans son Avis sur les programmes statistiques 2006
 [7] :

Avis n° 1 – Le Conseil a enregistré les progrès du projet "Base nationale des identifiants élèves" (BNIE)
visant à attribuer un numéro unique aux élèves dans tout le système éducatif. Il recommande que ce numéro soit effectivement utilisé non seulement à l’Education nationale mais aussi dans les établissements dépendant des autres ministères afin de favoriser le suivi des élèves.

L’avenir radieux ...

Un autre avis du CNIS mérite d’être relevé, celui qu’il a adopté le 19 décembre 2007, rapporté dans son Avis sur les programmes statistiques 2008 [7] :

Avis n° 1 – Le Conseil renouvelle son soutien aux projets qui permettent de suivre les parcours de formation et les acquis des élèves et étudiants. Il souligne l’utilité de l’identifiant unique de l’élève (INE) et, plus généralement du système de remontées de données individuelles dans l’enseignement primaire, secondaire et supérieur ainsi que dans les centres de formation d’apprentis. Le Conseil est particulièrement favorable au projet de fichier anonymisé des élèves (FAERE) qui permettra de suivre le parcours de formation des élèves sur l’ensemble du système éducatif.

Quel est donc ce projet FAERE ? Voici ce qu’on peut lire à ce sujet dans l’Avis sur les programmes statistiques 2006 du CNIS [7] :

Le projet FAERE permettra par ailleurs de crypter les identifiants élèves et de constituer des parcours anonymisés, que les ministères et les chercheurs pourront étudier. Nous procédons actuellement aux tests requis par la CNIL.

Rêves d’avenir ...

Lors de la réunion de la formation « Education et Formation » du CNIS le 20 avril 2005, on a pu entendre le représentant du MEN déclarer [8] :

La base nationale des identifiants élève comprendra peu d’informations : nom, prénom, date de naissance, commune de naissance et numéro INE. Les fichiers constitués dans le primaire et le secondaire comportent, outre l’identification, l’adresse, l’établissement fréquenté, les formations suivies, etc. On pourrait transformer l’adresse en coordonnées géographiques. Cela permettrait de réaliser des analyses sur des zones très fines. La possibilité existe. Il faudra toutefois signer des conventions car nous devons nous assurer que ces informations seront utilisées uniquement à des fins statistiques, et à des niveaux géographiques qui ne seront pas trop fins. Pour l’utilisation des adresses, un accord de la CNIL est, de toutes façons, nécessaire, et il est difficile à obtenir.

Il apparaît donc ici qu’un travail prospectif officiel envisage de nombreux croisements de fichiers à partir de l’INE, y compris en mettant en oeuvre des procédés de géolocalisation des élèves et des établissements ce qui pose de nouveaux problèmes de protection de données à caractère personnel des enfants.

Ce projet a-t-il été débattu devant une instance comportant des représentants des enseignants, parents d’élèves ? La CNIL a-t-elle été saisie à propos de la géolocalisation des INE ?

On ne le sait. Mais il apparaît que, sous couvert d’études statistiques visant à évaluer le service public, le MEN met en place, en catimini et en l’absence de tout débat démocratique, un suivi exhaustif de tous les élèves de la maternelle à l’université, et qu’il en envisage déjà l’exploitation couplée avec le recours à la géolocalisation.

__________________________

Devant ces risques liés à une utilisation abusive de données à caractère personnel relatives à des enfants (dès 3 ans), il faut relire l’avis du 26 avril 2007 du Conseil Consultatif National d’Ethique intitulé Biométrie, données identifiantes et droits de l’homme qui recommande notamment :

- d’assurer un strict respect des finalités liées au recueil de chaque type de données, en définissant clairement les organismes ou les autorités habilitées à y procéder ;

- un contrôle étroit, sous la responsabilité des autorités judiciaires et de la CNIL, de tout recours systématique à des identifiants communs, et une interdiction de l’interconnexion des fichiers présentant des identifiants communs mais destinés à des finalités différentes. En particulier devrait être interdit tout regroupement de données susceptibles d’entraîner des stigmatisations, ou des discriminations à l’embauche, dans la mesure où de tels regroupements favorisent une biométrie de l’exclusion en visant préférentiellement les personnes les plus vulnérables. Sans méconnaître les difficultés que rencontre la mise en oeuvre effective d’une telle interdiction pour les fichiers détenus par des organismes privés, son respect n’en doit pas moins être rappelé, et son exécution doit au moins être imposée pour tous les fichiers détenus par des organismes publics ;

Pour une autre présentation de la BNIE, cliquez sur cette image :

P.-S.

Les principaux sigles utilisés :

BE1D : Base élèves 1er degré
BNIE : Base nationale identifiant élève
CNIL : Commission nationale de l’informatique et des libertés
CNIS : Conseil national de l’information statistique
INE : Identifiant national élève
MEN : Ministère de l’Education nationale

Notes

[2Voir par exemple l’annexe 5.

[3Ces explications figurent dans l’annexe 9, et sont reprises dans la lettre que le MEN a adressée à la CNIL le 8 février 2007.

[5D’après l’annexe 11.

[6Voir le décret n° 2005-333 du 7 avril 2005 relatif au Conseil national de l’information statistique et au comité du secret statistique.

[7Ces textes sont tous repris de notre page.

[8Lors de cette réunion, le ministère était représenté par Alain Goy, ancien directeur adjoint pour les statistiques, direction de l’Evaluation et de la Prospective à l’INSEE, qui a quitté le MEN depuis 3 ans. Son intervention est également reprise de notre page.


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