lycéens au tribunal


article de la rubrique justice - police > justice
date de publication : dimanche 5 juin 2005
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La LDH avait dénoncé "le caractère disproportionné de la réaction du gouvernement face aux manifestations lycéennes".

Pour Michel Tubiana, "les actions des lycéens n’ont existé que parce que le gouvernement a fait voter la loi Fillon selon la procédure d’urgence et sans aucune concertation".

[Première mise en ligne : le 26 mai 2005 -
dernière mise à jour, le 5 juin 2005.]

Communiqué de la LDH

Après des poursuites intempestives, des décisions injustes et déraisonnables

Asséner 5 mois de prison avec sursis à un lycéen pour des insultes à l’égard de la police, ce n’est pas rendre la justice, c’est se livrer à une véritable vengeance sociale, à l’instar de ce que le gouvernement souhaitait.

Après avoir refusé d’entendre, en violation totale des règles de procédure, les témoins cités par M. Morville, le tribunal est allé au-delà des réquisitions du parquet.

Ainsi que la LDH l’a déjà exprimé, il est insupportable que l’absence de débat démocratique, ce qui relève de l’entière responsabilité du gouvernement, conduise à ce que des lycéens voient leur vie hypothéquée par des poursuites judiciaires, aussi intempestives dans leur principe, qu’excessive dans leur résultat.

La LDH dénonce cette situation qui s’inscrit, une nouvelle fois, dans la volonté des pouvoirs publics de faire taire le mouvement social et toute contestation.

Paris, le 1 juin 2005

Epilogue judiciaire pour les lycéens interpellés lors des manifestations

par Luc Bronner et Martine Laronche [Le Monde du 26 mai 2005]

Quatre mois après son déclenchement, le mouvement des lycéens contre l’adoption de la loi Fillon connaît un épilogue judiciaire. Alors que les élèves ont repris les cours à l’approche du baccalauréat, une quarantaine d’entre eux font l’objet de poursuites. Interpellés à la suite de manifestations et d’occupations de locaux publics, ils sont accusés de violences à agents de la force publique et de dégradations de biens d’utilité publique.

L’affaiblissement du mouvement s’était accompagné de sa radicalisation. Aux manifestations de masse empêchées par les casseurs avaient succédé des opérations plus ponctuelles (sit-in, blocages de lycées et occupations) limitées à quelques villes. Les deux syndicats de lycéens, l’UNL (Union nationale lycéenne) et la FIDL (Fédération indépendante et démocratique lycéenne), avaient vite pris leurs distances avec des actions menées par la Coordination lycéenne, plus radicale.

Constitués en collectif de soutien, des associations (MRAP, Ligue des droits de l’homme...), des partis de gauche et d’extrême gauche (Verts, LCR, Alternative libertaire), des syndicats (FSU, SUD-Education, CGT-Paris...) dénoncent la "répression du mouvement lycéen" et demandent l’abandon des poursuites, des sanctions disciplinaires, administratives, voire pédagogiques.

Ainsi, à Paris, 14 jeunes sont poursuivis ainsi qu’un enseignant, selon le collectif. Parmi eux, 6 lycéens doivent comparaître devant le tribunal correctionnel, les 25 et 31 mai et le 16 juin. Figure de la Coordination lycéenne et membre d’Alternative libertaire, Samuel Morville inaugure cette série de comparutions, mercredi 25 mai. Il est renvoyé pour "outrage à une personne dépositaire de la force publique" , à l’issue d’une manifestation, le 31 mars. Il aurait insulté cette personne et craché sur elle, ce qu’il conteste. Le jeune homme de 18 ans affirme en revanche avoir été contraint de se déshabiller dans le car de CRS qui l’emmenait au commissariat du 5e et avoir été obligé de crier "Je ne cracherai plus sur la police, j’aime la police, vive la France !" Son avocate, Me Irène Terrel, fait valoir que Samuel Morville a eu une interruption temporaire de travail de deux jours, délivrée par un médecin durant sa garde à vue, en raison de multiples hématomes.

Enfin, 9 personnes, dont 7 mineurs et un enseignant du syndicat SUD-Education, ont été mises en examen à la suite de l’occupation d’une annexe du ministère de l’éducation, boulevard Pasteur, à Paris, le 20 avril. Des lycéens accompagnés de jeunes adultes avaient forcé les portes du bâtiment. Ils avaient occupé les lieux et s’étaient réfugiés sur le toit quelques heures. Du mobilier et du matériel de bureau avaient été jetés par les fenêtres ou utilisés par les jeunes pour se barricader.

"Les forces de l’ordre ont été confrontées à une violence très importante, estime le parquet de Paris. Lorsque les CRS ont cherché à libérer les lieux, les jeunes ont balancé ordinateurs, extincteurs et mobiliers." Le ministère de l’éducation nationale, qui a porté plainte, évalue les dégâts à 72 000 euros. Quelque 164 lycéens avaient été interpellés, à la fin de cette occupation. Parmi eux, 158 avaient été placés en garde à vue.

Pauline Salingue, meneuse de la Coordination lycéenne et membre de la Ligue communiste révolutionnaire, fait partie des 9 personnes mises en examen à la suite de cette occupation pour "violence volontaire sur agent de la force publique avec armes par destination" et "dégradation de biens d’utilité publique en réunion" . Son avocat, Me Antoine Comte, déplore, au plan juridique, que "la circonstance aggravante de la réunion" (c’est-à-dire que les faits ont été commis à plusieurs) ait été retenue car elle augmente les peines maximales encourues (cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende) et procède "d’un choix répressif spécifique" .

De même, à Bobigny, 5 mineurs ont été mis en examen pour "dégradation de biens publics" et "violences sur agents de la force publique" . Une centaine de lycéens avaient envahi, le 12 avril, l’inspection académique de Seine-Saint-Denis. L’administration avait fait état de destruction "à coups de barres de fer" du dispositif d’entrée, et de dégradations dans les bureaux. Des projectiles avaient été lancés sur les forces de l’ordre. Quinze lycéens avaient été placés en garde à vue à l’issue de l’occupation.

Le juge des enfants a auditionné, lundi 23 mai, les cinq lycéens. "Mes clients nient avoir commis les actes qu’on leur reproche. Il y avait plus de 80 jeunes dans l’inspection, pourquoi ce seraient ces cinq-là qui auraient commis des dégradations ?" , relève Me Roselyne Nain, leur avocate. A Pontoise, un lycéen est cité à comparaître le 1er juin.

Les mesures de répression les plus sévères ont été décidées au Mans. Lors d’une manifestation de lycéens, en marge d’un déplacement officiel de Jean-Pierre Raffarin, le 24 mars, les forces de l’ordre avaient été "harcelées" , selon les termes de la préfecture, par 200 lycéens. Treize manifestants avaient été interpellés et 11 placés en garde à vue, notamment pour "violences à agents de la force publique" .

Là, la justice a utilisé un large éventail de sanctions. Trois majeurs sont passés en comparution immédiate : deux d’entre eux ont été condamnés à deux mois de prison ferme, le troisième à deux mois avec sursis. "Ils n’étaient pas lycéens et avaient déjà été condamnés auparavant" , souligne le procureur du Mans, Christian Elek.

Cinq autres manifestants, dont quatre lycéens et un enseignant, devront se présenter devant le tribunal correctionnel, le 9 août. Deux lycéennes sont également convoquées dans le cadre d’une "composition pénale" , une alternative aux poursuites qui sanctionne l’auteur d’un délit d’une amende, d’un stage ou d’une suspension de permis. En revanche, les dossiers de deux lycéens, qui avaient dégradé le drapeau d’un commissariat, ont été classés sans suite, à condition qu’ils réparent les dégradations et qu’ils produisent une lettre d’excuses.

"RÉACTION DISPROPORTIONNÉE"

A Angers, la réponse judiciaire a elle aussi été diversifiée. Le 31 mars, au lycée Auguste-Renoir, une dizaine de casseurs avaient détruit des vitres et le proviseur avait été frappé au visage. Un majeur a été jugé en comparution immédiate et condamné à quatre mois de prison, dont trois mois et vingt-cinq jours en sursis, et à 300 euros d’amende. Trois mineurs ont reçu des admonestations, un autre a été condamné à soixante-dix heures de travail d’intérêt général. Enfin, à Rennes, un mineur est convoqué devant le juge des enfants en vue de sa mise en examen pour "violence avec arme" . Il aurait jeté un caillou contre un surveillant pour s’introduire dans un établissement.

En réponse à ces poursuites, le collectif de soutien a l’intention de réaliser un livre blanc à partir de témoignages de lycéens pour dénoncer les conditions dans lesquelles se sont déroulées certaines interpellations et gardes à vue. Ce recueil de témoignages devrait alimenter des investigations qu’entend mener la commission d’enquête de la Ligue des droits de l’homme (LDH) ­ composée également du MRAP, du Syndicat de la magistrature et du Syndicat des avocats de France. Par ailleurs, Michel Tubiana, président de la LDH, dénonce "le caractère disproportionné de la réaction du gouvernement face aux manifestations lycéennes" . Selon lui, "les actions des lycéens n’ont existé que parce que le gouvernement a fait voter la loi Fillon selon la procédure d’urgence et sans aucune concertation" .

Violences du 8 mars : enquête en suspens

Le Sénat et l’Assemblée nationale ne se sont pas encore prononcés sur la demande de création d’une commission d’enquête parlementaire sur les "circonstances et les conséquences des événements violents survenus lors de la manifestation lycéenne du 8 mars à Paris" . Cette demande avait été déposée le 8 et le 12 avril par les parlementaires socialistes pour comprendre comment plusieurs centaines de jeunes "casseurs" avaient pu agresser les lycéens qui manifestaient à Paris. Une quarantaine de personnalités de gauche avaient lancé un appel, le 4 avril, pour obtenir une enquête.

Quelque 500 personnes ont signé cet appel demandant notamment "pourquoi la police nationale, présente sur les lieux, a été impuissante à empêcher ces agressions" .

Luc Bronner et Martine Laronche

P.-S.

Dans son communiqué du 21 avril 2005, la LDH déclarait que LES LYCÉENS NE SONT PAS DES DÉLINQUANTS.


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