des jurys populaires en correctionnelle : plus populiste, tu meurs !


article de la rubrique justice - police > justice
date de publication : mardi 25 janvier 2011
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Interrogé le 10 janvier 2011, lors de l’émission « Dimanche soir politique France Inter/Le Monde/iTélé », sur la dernière idée de Nicolas Sarkozy – installer des jurés populaires auprès des magistrats professionnels dans les tribunaux correctionnels – Robert Badinter a répondu :

« C’est une forme de populisme judiciaire. Cela revient à dire : “Je n’ai pas confiance dans les magistrats correctionnels pour assurer comme il convient la répression.” Soyons sérieux ! Vous croyez que des jurés tirés au sort peuvent utilement contribuer au jugement d’affaires correctionnelles compliquées ? Vous les voyez dans l’affaire Clearstream ? Dans les montages financiers d’évasion fiscale ? Juger, c’est un métier, il faut un savoir et une expérience. » [1]

Un autre magistrat, le juge Serge Portelli, a développé ce même point de vue sur son blog.


Le peuple contre le juge ?

Adjoindre aux juges des citoyens, quelle magnifique avancée de la démocratie ! Qui pourrait trouver à redire à cette réforme d’une justice dont tous les jugements rendus “au nom du peuple français” ? N’est-ce pas d’ailleurs depuis deux siècles le principe de la cour d’assises et de son jury ? Et ce qui inspire, à des degrés variables, la composition de nombreuses autres juridictions (tribunal pour enfants, conseil des prud’hommes, commission d’indemnisation des victimes d’infraction... ) On s’étonnerait presque que ce pouvoir, si prompt à dégainer réforme sur réforme, n’ait pas songé plus tôt à une telle modification, apparemment si évidente.

À y regarder de plus près, l’inspiration de nos réformateurs n’épouse en rien l’amour du peuple - dont l’opinion, en d’autres domaines, ne semble pas l’émouvoir beaucoup. Non, ce n’est pas l’adhésion à une quelconque démocratie judiciaire qui anime le président de la République et son ministre l’intérieur (le ministère de la justice n’étant en l’espèce qu’un pâle exécutant). Il suffit d’écouter les voeux du premier, fin décembre, pour être édifié sur ses mobiles. Il promet de protéger les Français “de la violence chaque jour plus brutale de la part de délinquants multi-réitérant en ouvrant nos tribunaux correctionnels aux jurés populaires. Ainsi c’est le peuple qui pourra donner son avis sur la sévérité de la réponse à apporter à des comportements qui provoquent l’exaspération du pays”. L’aveu est clair. La cible est, comme pour chaque campagne électorale, le récidiviste, doctement rebaptisé “délinquant multi-réitérant”. L’objectif est affiché : être plus sévère que les juges, taxés habituellement de laxisme. Bref, appliquer vraiment ces peines plancher dont on nous répète qu’elles sont la seule réponse possible à la récidive.

Chacun sait pourtant que ces longues peines de prison ne servent à rien d’autre qu’à fabriquer de la récidive et à alimenter un discours démagogique à visée électoraliste. Chacun peut constater que les prisons sont déjà plus que pleines. Chacun voit que ce gouvernement qui, d’une main, veut les remplir, est, de l’autre, obligé de les vider en application de sa dernière loi pénitentiaire. Cette obsession de la prison est à son comble dans l’autre volet du projet qui viserait à adjoindre des jurés aux juges de l’application des peines pour décider des libérations conditionnelles ; “et ainsi il n’y aura plus de scandale”, conclut le président de la République. Alors que le scandale est de refuser des libérations conditionnelles qui, on le sait encore, sont le meilleur moyen d’éviter la récidive.

Ces projets ne sont donc qu’une illustration supplémentaire d’une idéologie de l’enfermement forcené dont on peut aujourd’hui mesurer l’inefficacité absolue dans la lutte contre la criminalité. Cette politique n’a d’autre avenir qu’une répression toujours forte, des lois toujours plus dures dans l’illusion d’une société sécurisée par une surveillance et un enfermement généralisés.

Il ne faut effectivement pas compter sur les juges, des gens “pour l’essentiel très compétents, parfaitement honnêtes”, nous rassure le président de la République, pour prêter la main à cette folie. Leur mission, définie par la constitution, est de garantir les libertés, pas de les laminer. De rappeler qu’au-delà des lois, au-delà des politiques du moment, il existe des principes fondamentaux inscrits dans toutes les grandes déclarations de droit et rappelés vigoureusement ces derniers temps par les plus hautes juridictions françaises et européenne. Parmi ces principes, il y a la proportionnalité des peines et la nécessaire individualisation des sanctions, autrement dit, la sagesse et l’humanité.

On essaie de nous faire croire que “le peuple” ne se reconnaît pas dans ses juges. On part du postulat : peuple= sévérité, juge= laxisme. C’est bien peu connaître l’histoire de la justice et celle des jurys, souvent allergiques aux gouvernements autoritaires. C’est être aveugle au présent, quand les juges professionnels remplissent les prisons comme jamais. C’est ne rien comprendre à la légitimité de la justice dans une démocratie. Jouer la défiance du juge n’a jamais permis à un gouvernement de pallier sa propre impopularité : il n’y a rien d’autre à gagner dans cette stratégie dangereuse qu’à abaisser les deux d’un coup et à affaiblir un peu plus la démocratie.

Le 11 janvier 2011

Serge Portelli


P.-S.

  • Autre question : Des parlementaires UMP proposent d’abaisser la majorité pénale de 18 ans à 16 ans...

Robert Badinter : Là aussi c’est du populisme. Le côté "les jeunes nous menacent". Un mineur et notamment un adolescent n’est pas un adulte en réduction ou un adulte plus jeune. C’est un être en devenir. Il faut absolument conserver une approche pénale qui prend en compte cette condition particulière de devenir.

Notes

[1Lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, le 7 janvier 2011, Jean-Louis Nadal, Procureur général près la Cour de cassation, avait tenu à rappeler solennellement dans son discours que « juger c’est un métier ».


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