comparutions immédiates : quelle justice ?


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date de publication : lundi 2 avril 2012
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L’Observatoire des comparutions immédiates a été créé par la Ligue des droits de l’Homme de Toulouse, associée à des universitaires. Durant six mois, 47 auditeurs et auditrices ont observé 543 affaires au terme de 102 audiences, auditionné avocats, magistrats et autres professionnels du droit.

Des observations réalisées et de l’étude statistique, il ressort que cette procédure revêt un caractère expéditif (les affaires sont jugées en 36 minutes en moyenne), peu respectueux des droits des personnes prévenues et des victimes. Elle met à mal les principes de la justice républicaine : présomption d’innocence, procès équitable, individualisation et sens de la peine. La population concernée est surtout jeune, pauvre, précaire et masculine, souvent en mauvaise santé et pour plus de la moitié « colorée », en un mot de « mauvais pauvres ». Les auteurs s’interrogent sur les mesures discriminatoires que subissent « Beurs » et « Blacks » en situation régulière ou non (sans papiers), moins concernés par les délits avec violence, les atteintes aux biens et aux personnes, mais plus souvent envoyés en prison.

Bras armé de la politique pénale, la judiciarisation du quotidien que sont les comparutions immédiates donne à voir les effets destructeurs de la précarité et de la petite délinquance. Les récidives (massives dans les délits de circulation, les violences conjugales, comme les atteintes aux biens) montrent l’échec de cette procédure et de l’exemplarité de la peine.


Comparutions immédiates : quelle justice ? Patrick Castex et Daniel Welzer-Lang (ed) – Co-Auteurs : Remi Cochard, Hervé Dubost, Americo Mariani, Frederic Rodriguez, Sébastien Saetta
Regards citoyens sur une justice du quotidien [1]


À l’initiative de la Ligue des droits de l’Homme de Toulouse, cet ouvrage est aussi enrichi par les apports de responsables de centre de réinsertion pour sortants de prison, d’association pour femmes victimes de violences, d’avocats et magistrats. Serge Portelli, Gilles Sainati, magistrats et Laurent Mucchielli sociologue, qui ont développé des analyses sur les comparutions immédiates et sur le thème de l’insécurité ont également contribué à cet ouvrage – voir le sommaire.

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Comparutions immédiates :
« Si la République est aveugle à la différence, la Justice ne l’est pas »

par Etienne Baldit, Carré d’info, le 27 mars 2012


« Procédure attentatoire » pour certains, l’audience en comparution immédiate fait débat. A l’initiative de la Ligue des Droits de l’Homme, une étude a été réalisée et un ouvrage collectif publié. Chiffres accablants et analyses au vitriol à l’appui, les auteurs se disent « révoltés » .

« La justice, par certains côtés, ressemble à une machine à punir. Les audiences en comparution immédiate en sont l’exemple parfait. » Venant d’un magistrat du siège à la retraite, le propos peut surprendre. Mais Patrick Castex est également militant à la Ligue des Droit de l’Homme (LDH), et co-auteur d’un ouvrage collectif, Comparutions immédiates : quelle justice ?. Sous-titré « Regards citoyens sur une justice au quotidien », ce livre est l’aboutissement d’un long travail mené par Patrick Castex et Daniel Welzer-Lang, professeur de sociologie à la faculté du Mirail et chercheur au CNRS.

Cinq mois d’observations réalisées par des militants de la LDH, d’Amnesty International et du Genepi, qui ont assisté à 543 affaires réparties en 102 audiences en comparution immédiate au Tribunal de Grande Instance de Toulouse. Après avoir suivi une formation aux « éléments essentiels de la justice », ces « simples citoyennes et citoyens ont pu être présents dans les prétoires » dans le but de « remettre un peu de citoyenneté dans la justice », explique Jean-François Mignard, président d’honneur de la section LDH de Toulouse. Une observation militante validée scientifiquement par le travail de sociologues et de statisticiens, et dont les conclusions sont édifiantes.

« Une minute de délibéré équivaut à un mois de prison »

Selon leur enquête, une audience en comparution immédiate, au cours de laquelle sont jugées plusieurs affaires, dure en moyenne 36 minutes, délibérés compris. « On a calculé qu’une minute de délibéré équivaut à un mois de prison », explique Daniel Welzer-Lang. Pour eux, cette justice « expéditive et systématique » s’avère aussi « inefficace » :

  • le taux de récidive s’établit aux alentours des 50 % ;
  • seulement 2 % des affaires font l’objet d’une relaxe ;
  • 57 % aboutissent à une peine de prison ferme ;
  • dans 80 % des cas, les juges suivent les réquisitions du parquet.

Daniel Welzer-Lang explique cette automaticité de la sanction par un « effet système » : « une étude similaire menée à Lyon a révélé des chiffres semblables. De plus, les chiffres n’ont pas changé depuis la réforme de la garde à vue du 15 avril 2011 et la loi sur les étrangers du 28 avril : il y a donc un effet système qui s’impose aux magistrats, et on a l’impression que la machine est plus forte que les humains qui la font marcher.  »

Des conclusions qui n’ont pas surpris l’ancien magistrat pénaliste, Patrick Castex : « Elles confirment, permettent de mettre en évidence les caractéristiques de cette procédure, qui est très frustrante pour un professionnel du droit. Ça donne l’impression qu’on est pris dans un engrenage avec cet effet système, qui fait que la marge d’appréciation du juge est de plus en plus limitée. Les magistrats du siège doivent faire attention à ne pas se laisser instrumentaliser par la procédure. »

Une « justice de classe très colorée »

Malgré l’interdiction juridique d’établir des statistiques « ethniques », le groupe de travail s’est livré à l’exercice. Ils ont pu constater que 65% des prévenus étaient d’ « apparence maghrébine ou d’apparence noire ». D’autre part, la moitié des prévenus avaient moins de trente ans ; la moitié, également, bénéficiaient des minimas sociaux. Des chiffres devant lesquels Daniel Welzer-Lang s’autorise à parler d’une « justice de classe très colorée, une justice pour les jeunes pauvres. »

« Les beurs et les blacks sont surreprésentés à ces audiences, et pourtant ils représentent une minorité des cas de violence individuelle et collective, d’atteinte aux personnes, c’est-à-dire les affaires qui provoquent le sentiment d’insécurité. Ils sont plus concernés par des affaires de stupéfiants, d’atteinte aux biens, d’infractions au code de la route », détaille Daniel Welzer-Lang. «  On tord le cou à l’idée ou au sentiment général selon lequel les populations colorées sont impliquées dans les affaires les plus graves, enchaîne Patrick Castex. En réalité, ils sont surreprésentés, mais pour les crimes les moins graves. Dès qu’on inclut l’indicateur “violence” dans les statistiques, ils sont beaucoup moins présents. »

« On transgresse tous les principes pour avoir une réponse sécuritaire et rapide »

Les auteurs de l’ouvrage et les personnes ayant participé à l’enquête dénoncent une procédure attentatoire, irrespectueuse des droits fondamentaux des prévenus et des victimes – le délai est si court qu’il arrive que les victimes ne puissent pas être averties de la tenue du jugement – ainsi que les conditions dans lesquelles se déroulent ces audiences. « On transgresse tous les principes pour obtenir une réponse sécuritaire et rapide, estime Patrick Castex. On est aujourd’hui face à une justice d’exception banalisée. ». « On est révolté, renchérit Daniel Welzer-Lang. La manière dont on les traite, c’est scandaleux. C’est en notre nom qu’une justice pour les pauvres se fait de façon particulière. »

Pour Jean-François Mignard, cette étude a permis de montrer que le discours de la LDH « n’est pas qu’idéologique, mais que c’est la réalité. » « Si la République est aveugle à la différence, la Justice ne l’est pas. »

Comparution immédiate mode d’emploi

La comparution immédiate est une procédure qui permet de faire juger dans un délai assez court quelqu’un à la suite de la garde à vue.

Trois conditions doivent être réunies :

  • Les preuves doivent être suffisantes pour que l’affaire soit en état d’être jugée
  • La peine d’emprisonnement encourue doit être au moins égale à deux ans ; en cas de délit flagrant, cette peine doit être supérieure à six mois
  • Le prévenu ne peut être mineur et il ne peut s’agir d’un délit de presse, ni d’un délit politique, ni d’une infraction dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale

P.-S.

Conférence de lancement et présentation du livre par
  • Maître Henri Leclerc, Président d’honneur de la LDH,
  • Serge Portelli, Vice Président au TGI de Paris et membre du Syndicat de la Magistrature,
  • Patrick Castex (ancien magistrat), Rémi Cochard, Daniel Welzer-Lang (sociologue, CNRS Toulouse), coordinateurs de l’ouvrage,
  • Evelyne Sire-Marin, Vice-présidente de la LDH.

mardi 3 avril 2012, à la bibliothèque de l’Ordre des avocats du TGI de Paris, de 10h à 13h

Entrée du Palais de Justice : 4, boulevard du Palais, 75001 Paris (Métro : Cité, Chatelet ou Saint Michel).

Contact : Rémi Cochard (06 07 58 12 56, ldh.toulouse@gmail.com).


Notes

[1Éditions érès, mars 2012, 304 pages, 20.00 €.


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