Le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs est examiné par l’Assemblée nationale en première lecture [1].
Dès 2004, la composante sarkozyste de l’UMP avait tenté d’imposer ses vues remettant en cause le principe de l’individualisation des peines au nom de la lutte contre la récidive. En vain.
Une contribution de Jean Danet, délégué du groupe de travail LDH "justice", analyse le projet de loi, en démonte les dangers et l’inefficacité. Pour lui, "c’est la version pénale de l’individualisme triomphant" [2].
Quand les "juristes" de l’UMP s’opposaient à l’instauration de peines planchers
Le Monde, 17 juillet 2007L’Assemblée nationale examine à son tour, à partir du mardi 17 juillet, le projet de loi "renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs" adopté le 5 juillet en première lecture au Sénat. Le texte comprend trois volets : instauration de peines minimales d’emprisonnement pour les récidivistes, majeurs ou mineurs ; restriction de l’atténuation de la responsabilité pénale prévue pour les mineurs de plus de seize ans ; généralisation de l’injonction de soins.
Pour la plupart des députés, la discussion aura un air de déjà-vu. Voilà en effet trois ans que ce sujet s’invite régulièrement dans l’Hémicycle. C’est une
proposition de loi visant à instaurer des peines minimales en matière de récidive déposée le 4 février 2004 par Christian Estrosi, et cosignée par 175 députés de la majorité, qui avait lancé le débat. Le député (UMP) des Alpes-Maritimes se faisait le relais du ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, qui avait fait de cette question un thème de démarcation avec le chef de l’Etat, Jacques Chirac, et ses fidèles.Les chiraquiens allumaient alors un contre-feu en constituant une mission d’information, sous la responsabilité du président de la commission des lois, Pascal Clément (UMP, Loire). Celle-ci aboutissait à la rédaction d’une proposition de loi examinée en première lecture à l’Assemblée nationale le 14 décembre 2004. Le texte écartait le principe des peines planchers. M. Estrosi déposait une série d’amendements pour introduire les dispositions qui constituent, aujourd’hui, le corps du projet de loi. Les "juristes" de la majorité s’y opposaient.
Ainsi en était-il de l’amendement prévoyant des peines minimales dès la
deuxième récidive, sauf décision motivée de la juridiction. "Cet amendement remet en cause notre tradition juridique, et notamment le principe d’individualisation de la peine, qui est souvent rappelé par la Cour européenne des droits de l’homme, estimait alors M. Clément. Certes, la possibilité pour le tribunal d’écarter l’automaticité en motivant sa décision pourrait permettre de contourner la difficulté constitutionnelle. Cependant, la constitutionnalité d’une telle disposition reste pour le moins douteuse." Le député, qui deviendra ministre de la justice dans le gouvernement Villepin, exprimait sa "crainte que l’adoption de l’amendement de M. Estrosi n’inverse la logique judiciaire, instaurant le principe d’une peine plancher et l’exception d’une dérogation motivée".Jean-Luc Warsmann (UMP, Ardennes), qui préside aujourd’hui la commission des lois, s’opposait lui aussi à l’amendement estimant qu’il existe deux conceptions de la sanction pénale en cas de récidive : "Une vision fondée sur l’automaticité des peines, d’obédience anglo-saxonne, et une vision d’origine française, reposant sur le principe de l’aggravation des peines en cas de récidive". Il estimait ne pas pouvoir "souscrire au principe de la sanction automatique telle qu’elle ressort, même atténuée, de l’amendement présenté", jugeant celui-ci "en contradiction avec les réalités de la société contemporaine". "Précisément parce qu’il ne prend pas en compte des circonstances de chaque espèce, il pourrait conduire au prononcé de peines disproportionnées", indiquait-il.
Valérie Pécresse (UMP, Yvelines) regrettait pour sa part "qu’un tel amendement n’ait pas fait l’objet d’une étude d’impact" et faisait part de ses "doutes sur son efficacité". Quant à Guy Geoffroy (UMP, Seine-et-Marne), aujourd’hui rapporteur du projet de loi, il estimait qu’"en termes d’affichage l’adoption de l’amendement de M. Estrosi accréditerait l’idée que le législateur a fait le choix de l’automaticité des peines".
Patrick Roger
Le projet de loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs est examiné par la Sénat à partir du 5 juillet 2007.
Ce texte est la reprise d’un projet ancien de Nicolas Sarkozy qui avait été jusqu’à présent repoussé, y compris par les parlementaires de la
majorité. L’intitulé même du texte gouvernemental mérite commentaire : « projet de loi renforçant la lutte contre la récidive ». En effet, la dernière loi sur la récidive date du 12 décembre 2005. Une fois de plus la récidive est posée comme notion centrale du discours sécuritaire. Le projet de loi, qui réunit ici
mineurs et majeurs, est une loi démagogique. Le texte laisse entendre que ce sont les juges et leur laxisme, dénoncé depuis longtempspar l’actuel chef de l’Etat, qui sont responsables de l’insécurité.
I. Des peines planchers pour les majeurs
a - Des peines planchers dès la première récidive
Le principe de la peine minimale va s’appliquer pour tous les crimes et les délits punis de trois ans d’emprisonnement au moins.
Ces peines planchers sont graduées en fonction de la peine encourue (qui est la peine maximale). Rappelons que pour les crimes, il existait déjà deux peines minimales pouvant être assorties du sursis, d’un an ou de deux ans selon les cas.
Ce projet de loi prévoit donc, en matière criminelle, des peines planchers de 5, 7, 10, ou 15 ans, soit autour de 1/3 de la peine encourue dès le premier crime. Quant aux délits, les peines planchers sont de 1, 2, 3 ou 4 ans soit entre 33% et 40% de la peine encourue pour le premier délit. Les peines planchers du texte gouvernemental ont été fixées entre 15% et 20% de la peine encourue par le récidiviste. Cela peut paraître bas et être invoqué au soutien du caractère « raisonnable » du projet de loi. Mais, cela traduit
d’abord l’invraisemblable inflation des peines encourues, enregistrée au fil des réformes passées depuis le nouveau Code pénal : ce n’est pas le plancher qui est bas, c’est le plafond qu’on n’a pas cessé d’être rehaussé !
Le texte n’interdit toutefois pas le juge de descendre au dessous de la peine plancher dès lors qu’il motive spécialement sa décision. Par ailleurs, il a également la possibilité de prononcer une peine autre que l’emprisonnement, telle qu’une amende ou un travail d’intérêt général.
b - Un régime encore plus sévère à compter de la deuxième récidive
Cela va concerner les crimes et les délits punis de dix ans d’emprisonnement, et ils sont nombreux dans le Code pénal, ainsi que les délits d’atteintes ou d’agression sexuelle, de violences ou accompagnés de la circonstance aggravante de violences qui sont aussi très nombreux dans le Code pénal.
Le principe va donc être celui de l’application de la peine plancher, sans possibilité de prononcer d’autre peine que l’emprisonnement.
Toutefois une exception existe : le juge peut descendre au-dessous de la peine plancher si l’auteur présente des garanties exceptionnelles de réinsertion.
Analyse
Ces peines planchers sont présentées au Parlement sans avoir fait l’objet d’études d’impact, comme cela doit être le cas. Personne ne sait évidemment ce que donnera leur application, et ce, au regard des chiffres actuels des con-
damnations. Combien de détenus en plus ? Quel effet d’allongement des peines ? Sur quels délits ou quels crimes ? Aucune réponse ne peut être apportée. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs regretté l’absence de telles études. Mais le gouvernement lui a fait valoir que cela n’était pas grave puisque la loi était faite pour dissuader, et non pas pour envoyer plus longtemps en prison.L’exposé des motifs, quant à lui, se borne à rappeler que pour l’année 2005, 4500 personnes ont été condamnées en situation légale de récidive. Cependant, le gouvernement s’abstient de dire que les règles et la notion de récidive ont été modifiées par la loi de décembre 2005 dans le sens d’un élargissement de cette notion, et que les situations de récidive ne sont pas toujours visées aujourd’hui en raison de délais d’inscription au casier, ce dernier élément factuel étant dû aux dysfonctionnements des greffes.
Sur les effets de la loi en terme d’allongement des peines, donc d’aggravation de la sur-occupation des prisons, il est fort probable que ces effets seront progressifs. Ils seront sans doute, compte tenu des peines planchers prévues et des peines habituellement prononcées actuellement contre les récidivistes, plus nets pour les délits que pour les crimes. C’est plutôt l’ordre public de la rue, et les petits et moyens délits qui sont le « cœur de cible » du texte soumis aux parlementaires.
En revanche, il est possible d’affirmer dès à présent que :
le texte gouvernemental a d’abord une fonction d’affichage et de leurre. Il nous est expliqué qu’il s’agit de lutter contre la récidive ? On va le voir. On peut penser que cela sera inefficace. Et ce faisant, on se dispense d’une vraie
politique de prévention, en amont des passages à l’acte.
le texte renvoie à une conception utilitariste de la peine et à une conception de la récidive qui atomise le délinquant. C’est la version pénale de l’individualisme triomphant. L’idée est simple : le délinquant récidiviste saura par cette loi qu’il encourt une peine plancher. Par conséquent, l’effet dissuasif marchera.
Demandez aux spécialistes en la matière, et aussi aux victimes, témoins, et aux citoyens, si ce portrait du délinquant calculant la peine encourue les convainc ? Nous savons tous que c’est là une illusion dont on est revenu depuis longtemps. Pourtant, on fait semblant d’y croire. L’important est de dire que le gouvernement a fait quelque chose, et non pas de parler de l’efficacité réelle du dispositif.
le texte renvoie également à une conception purement rétributive de la peine, et qui n’envisage pour seule peine sérieuse que la prison, pensée dans sa seule fonction d’exclusion. Il s’agit là d’un retour aux conceptions de 1830. Par ce texte, le gouvernement tourne le dos à la diversification des peines engagée depuis 1975.
sont ignorés les enseignements de la criminologie contemporaine qui démontrent que l’on ne travaille efficacement sur le risque de dangerosité potentielle que si on travaille sur les vulnérabilités de ceux qui sont passés à
l’acte. Ce n’est surement pas en prison que ce travail sera effectué.
l’ensemble du projet n’est pas seulement une défiance à l’égard du juge. La possibilité de descendre en dessous de la peine plancher a d’abord pour fonction d’éviter le reproche d’inconstitutionnalité. Le texte constitue en fait
une négation de la fonction du juge, et de la personnalisation des peines. Pourquoi ? Parce que ce système va déstabiliser le juge. Comment ? Le pouvoir d’écarter la peine plancher par une motivation spéciale fait porter sur le juge la responsabilité de la récidive suivante. Ainsi, en cas de récidive, le magistrat s’entendra dire que si la peine plancher avait été prononcé, la personne n’aurait pas récidivé. Et, à la troisième dénonciation médiatique d’un « juge laxiste », on sait trop bien ce qui se passera : les juges n’oseront
plus sortir du principe.A la suite de ce texte, que peut-il se passer ? Les conséquences sont de deux ordres :
la surenchère n’est pas exclue à l’assemblée nationale, sachant que des propositions de loi plus dures avaient déjà été soumises à l’assemblée par certains parlementaires. Ainsi, avait été proposée la possibilité, en première récidive, de prononcer une autre peine que la prison.
à l’avenir, les planchers risquent d’être remontés. Le principe admis des peines planchers, toutes les surenchères seront possibles, d’autant qu’on aura beau jeu de constater que l’efficacité n’est pas au rendez vous. Il ne sera pas remis en cause cette médication sociale dangereuse. La dose sera renforcée.
II. Des peines planchers pour les mineurs
a - Les mineurs entre 13 et 16 ans
13 ans est l’âge à partir duquel il est possible, non seulement prononcer des mesures éducatives (les juges ont cette faculté dès qu’ils estiment que le mineur a du discernement), et des sanctions éducatives (ce qui peut être fait
dès l’âge de 10 ans), mais aussi des peines.
Le principe, dans le projet de loi présenté, est posé d’une manière presque provocatrice : le gouvernement explique que la diminution de moitié de la peine pour minorité s’applique aussi pour les peines planchers ! On a envie de répondre sur un mode ironique « Trop bons ! ».
Le Conseil d’Etat a cependant posé un bémol : la juridiction aura la possibilité de choisir la logique éducative, les mesures éducatives ou les sanctions éducatives, et en ce cas les peines planchers ne s’appliqueront pas. Ce n’est
que si la juridiction décide de prononcer une peine qu’elle sera tenue par la peine plancher, diminuée normalement de moitié en raison de la minorité.
b - Les mineurs entre 16 et 18 ans
Pour cette tranche d’âge, l’atténuation de la responsabilité du mineur pourra être plus largement et plus facilement écartée. A la première récidive, la juridiction peut l’écarter désormais pour tout délit commis avec violences, y compris les délits commis avec une circonstance aggravante de violences. Les cas prévus par la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance sont ici élargis. A compter de la seconde récidive, l’excuse de minorité est écartée de plein droit sauf si le juge motive le maintien de l’atténuation.
Analyse
Avec ce nouveau projet de loi, la spécificité du droit pénal des mineurs agonise, et si ce n’était la réserve du Conseil d’Etat, on pourrait dire qu’elle est morte. Par ailleurs, la méconnaissance totale et délibérée des ressorts psychologiques du passage à l’acte chez les mineurs est manifeste, et notamment les comportements compulsifs des adolescents. Alliée aux procédures accélérées qui vont se développer dans les juridictions des mineurs et au développement de l’informatisation qui pourra permettre une
transcription plus rapide des décisions au casier judiciaire, faisant ainsi émerger au plan juridique plus de situations de récidive, la loi va construire de toute pièce une population de mineurs récidivistes dont un nombre plus important sera passé par « la case prison ». Et ce, sans vraie prise en
charge, sans vrai travail sur leurs vulnérabilités.La construction automatique de carrières pénales, voire carcérales est le risque le plus grave de cette loi. Là encore, c’est un retour vers le début du XXème siècle. En ce sens encore, rappelons que depuis la loi Perben II, le ca-
sier des mineurs n’est pas expurgé à leur majorité. Donc les condamnations prononcées contre un mineur seront la base de situations de récidive si le jeune vient à commettre une nouvelle infraction à sa majorité. L’effet d’étiquetage se renforce, avec au bout la prison en peine automatique.
III. L’injonction de soins devient obligatoire
En matière de suivi socio-judiciaire, de SME, ou de surveillance judiciaire, sitôt qu’une expertise vient dire que le traitement est possible, l’injonction de soins devient obligatoire. Le champ de l’injonction de soins est donc élargi. En cas de refus de soins, la sanction en est la suppression des réductions de peines et l’exclusion de la libération conditionnelle.
Analyse
Par ces nouvelles dispositions, se poursuit le réaménagement des relations entre psychiatrie et justice. Avec le souci permanent de transférer le risque judiciaire de mise en cause, quand c’est possible, de la justice vers l’expert.
Ici encore aucune évaluation de l’injonction de soins qui a été instaurée en 1998. On est encore dans la démagogie totale quand on sait l’actuel manque de moyens de la psychiatrie en prison. Le champ des injonctions de soins en
prison est encore élargi alors que l’on ne parvient pas à assumer les implications des choix précédents.Au surplus, des réserves peuvent être largement émise sur la systématicité de cette « injonction obligatoire » au regard de ce qu’est l’alliance thérapeutique entre le patient et le psychiatre, et de ce qu’elle suppose sinon au début, du moins au terme, d’un consentement à ces soins.
Au final, il s’agit d’un exercice de haute voltige démagogique. Des réponses inefficaces et dangereuses à la question de la récidive, qui dispensent d’une politique de prévention et de vraies prises en charge. Mais également, une
remise en cause - sous couvert de la notion de récidive - de la notion de minorité pénale et donc du droit pénal des mineurs ainsi que des enseignements de la criminologie contemporaine. Une mesure, l’injonction de soins obligatoire qui « pathologise » un peu plus encore la délinquance.
[1] Pour accéder aux travaux sur le site de de l’Assemblée.
[2] On pourra également se rendre sur le site du syndicat de la magistrature qui publie un appel à mobilisation contre le projet de loi sur les « peines-planchers » et les mineurs récidivistes.
[3] Cette analyse est disponible au format pdf sur le site national de la ldh.