Brice Hortefeux estime « disproportionné » de condamner des policiers à des peines de prison pour faux témoignage


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date de publication : lundi 13 décembre 2010
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Vendredi 10 décembre 2010, le tribunal de Bobigny a condamné sept policiers à des peines de six mois à un an de prison ferme. Trois mois plus tôt, le 10 septembre, ils avaient pris en chasse un individu conduisant une voiture volée, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Au cours de la poursuite, un gardien de la paix avait été percuté et blessé par une voiture de police. Que firent ses collègues ? Comme trois d’entre eux le reconnurent à l’audience, ils dressèrent un faux procès-verbal, accusant le voleur de voiture d’avoir volontairement foncé sur eux.

"Dénonciations calomnieuses" et "faux en écritures publiques", jugea le tribunal qui condamna les policiers coupables à des peines de prison ferme. Et on a pu entendre le ministre de l’intérieur déclarer une première fois, puis confirmer que "ce jugement peut légitimement apparaître comme disproportionné". A la suite des réactions provoquées par la condamnation des policiers, le Syndicat de la magistrature a diffusé un communiqué de presse.



Manifestation de policiers devant le Tribunal de Bobigny
envoyé par lesinrocks.


Communiqué de presse du Syndicat de la magistrature

Retour à Bobigny

Le 12 décembre 2010.


A la suite de la condamnation de sept policiers par le tribunal de grande instance de Bobigny, et des réactions qu’elle a engendrées,

« L’affaire de Bobigny », dans laquelle sept policiers viennent d’être condamnés pour une véritable machination ayant consisté à accuser sur procès-verbal une personne d’un crime qu’elle n’avait pas commis, révèle une dérive institutionnelle exceptionnellement grave qui met en cause plusieurs services de l’Etat.

Parmi ceux-ci, le procureur de la République de Bobigny porte une responsabilité éminente, à au moins trois titres. Tout d’abord, le jour où les faits ont été découverts, il a, contre l’avis de ses propres services, refusé de désigner un juge d’instruction indépendant, seul à même de conduire une enquête exhaustive et dépassionnée, préférant renvoyer directement les policiers devant un tribunal : cette décision, difficilement admissible, répondait d’évidence à des considérations étrangères à la bonne administration de la justice… Ensuite, il n’a pas hésité, en contradiction totale avec le code de procédure pénale, à imposer au vice-procureur d’audience les peines qu’il devait requérir, peines qui étaient sans commune mesure avec la gravité de l’affaire. Ce faisant, le procureur entendait visiblement masquer cette gravité, mais il a surtout empêché les prévenus de se préparer aux peines qui ne manqueraient pas d’être prononcées. Enfin, vendredi 10 décembre, en annonçant immédiatement, sans prendre le temps de la réflexion, qu’il faisait appel de la décision du tribunal – ce qui est rarissime lorsque les réquisitions du parquet sont dépassées –, il a contribué à jeter le discrédit sur cette décision de justice, et à donner le sentiment d’une soumission totale du ministère public à la police et au pouvoir exécutif.

Les policiers qui ont manifesté bruyamment après l’audience, à bord de leurs véhicules de service, se sont également déshonorés, épaulés en cela par des syndicats qui sont désormais, de façon presque systématique, à l’unisson de la place Beauvau. En soutenant de la sorte leurs collègues qui avaient très gravement failli, ils ont donné l’image d’une police qui ne supporte pas de rendre des comptes et se prétend au-dessus des lois – alors même que certains de ses membres venaient de trahir la confiance que leur portaient le peuple et les magistrats. Le Syndicat de la magistrature n’oublie pas, toutefois, que les policiers qui ont manifesté n’étaient qu’un faible nombre et qu’ils ne représentent heureusement pas l’ensemble de la profession.

Le ministre de l’intérieur et le préfet de la Seine-Saint-Denis ne sont pas en reste. En jugeant légitime la scandaleuse réaction des policiers, et en laissant entendre que la peine prononcée est disproportionnée, ils viennent de démontrer leur inféodation totale à la police et de manifester une conception singulièrement médiocre de leurs fonctions. Plutôt que de prendre acte d’une condamnation qui les obligeait à admettre d’évidents et graves dysfonctionnements, d’appeler au calme et au respect des institutions, ils ont choisi de céder à la pression policière et de se livrer à un nouvel exercice de style démagogique.

Le Syndicat de la magistrature constate avec regret que le corporatisme policier est désormais susceptible de disqualifier le fonctionnement de la justice, et d’aiguiller les déclarations des plus hautes autorités, qui se sentent sans doute plus à l’aise avec l’Etat de police qu’avec l’Etat de droit.

Il rappelle qu’au fondement de toute société se trouve un principe de confiance envers les actes effectués par la police, confiance sans laquelle il ne peut exister ni justice, ni République.

Qu’on y prenne garde : lorsque les conditions de jugement d’une affaire aussi grave prennent de telles proportions, lorsque des policiers et leur ministre se permettent de telles réactions, c’est un peu du pacte démocratique qui s’en va.

Le code pénal s’applique aussi aux ministres

[Editorial du Monde, 14 décembre 2010]


Il ne faut pas ramener la manifestation de policiers, dont le palais de justice de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, a été le théâtre vendredi 10 décembre, à un simple épisode de la guerre avec la justice. La réaction de Brice Hortefeux, le ministre de l’intérieur – réfléchie, revendiquée, réitérée – est plus que cela : une violation de la séparation des pouvoirs ; une atteinte à la sérénité de la procédure judiciaire, qui garantit les droits fondamentaux de chacun.

Les Français incrédules ont découvert vendredi soir les images du tribunal de Bobigny cerné de policiers en tenue, éclairés par leurs gyrophares, 200 représentants de l’ordre cédant au désordre de la rue, sirènes hurlantes. Ils protestaient contre la condamnation de sept d’entre eux à des peines allant jusqu’à un an d’emprisonnement ferme. La justice leur reproche d’avoir imputé à un innocent un accident survenu à l’un des leurs. Ces policiers poursuivaient un voleur de voiture et, dans le feu de l’action, avaient percuté un collègue, le blessant à la jambe. Plutôt que d’avouer leur cafouillage, ils avaient rédigé un faux procès-verbal.

La justice a-t-elle été trop sévère ? C’est l’avis du préfet de Seine-Saint-Denis, qui a fait part aussitôt aux protestataires de sa "compréhension". Lui-même a été couvert par Brice Hortefeux, selon lequel la condamnation de Bobigny pouvait "légitimement apparaître comme disproportionnée".

L’homme injustement accusé risquait, il faut insister sur ce point, la réclusion criminelle à perpétuité. Les peines infligées à ses dénonciateurs sont-elles à cette aune disproportionnées ? La cour d’appel, qui a été saisie par le parquet – tout l’appareil d’Etat a été mis en branle – en décidera. C’est ainsi que la justice se rend dans une démocratie. Les juges du siège décident en leur âme et conscience. Le parquet, soumis statutairement au gouvernement, donne son avis. Et les magistrats d’appel et de cassation entérinent ou non la décision initiale.

L’irruption du ministre de l’intérieur dans ce processus équilibré, où chacun peut faire valoir son point de vue, viole la loi. Le code pénal proscrit, il faut le redire, les déclarations qui jettent le discrédit sur une décision de justice, en portant atteinte à son "autorité" ou à son "indépendance".

C’est ce qu’a rappelé dimanche, mezza voce, le garde des sceaux, Michel Mercier, qui s’interdit, lui, de "commenter une procédure en cours". Brice Hortefeux, dont l’objectif latéral était de tester la pugnacité de son nouveau collègue, se moque de ce rappel à l’ordre. Il se sait absous d’avance, sinon encouragé à opposer le bon sens répressif au respect des garanties judiciaires.

Ancien ministre de l’intérieur, le chef de l’Etat joue depuis longtemps sur cette corde-là. Lui et Brice Hortefeux, son ami de toujours, sont d’autant plus enclins à surenchérir que leur bilan "sécurité" est décevant. Inquiets de la résurrection du Front national, ils ne se bornent plus à dénoncer la prétendue indulgence des magistrats. Ils encouragent les policiers à descendre dans la rue pour faire – c’est un précédent – le siège des tribunaux.

P.-S.

Lire également sur le blog de Jean-Pierre Rosenczveig : La confiance brisée.


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