Mobilisation pour demander la libération d’un mineur incarcéré après avoir violemment frappé son professeur.
[Première mise en ligne, le 17 avril 2005,
mise à jour, le 15 juillet 2005.]
Mardi 5 avril après-midi, B. [1], élève de Terminale ES au Lycée Beaussier de La Seyne sur Mer (83), casse le nez de son professeur. « Je trouvais que B. était somnolent, cela faisait la deuxième semaine qu’il avait cette attitude. Je lui ai proposé d’aller à l’infirmerie », explique le professeur. Pour toute réponse, les insultes ont commencé. « Je lui ai donc demandé de quitter le cours ... ». Mais la porte n’est pas restée close longtemps. B. a brusquement resurgi dans la salle, saisi son professeur par le col, et lui a donné un coup de poing en pleine figure. Bilan : fracture du nez et vingt-cinq jours d’interruption de travail.
Le lendemain de cette agression, l’ensemble des 160 professeurs du lycée a décidé de ne pas assurer de cours, le mercredi 6 au matin : « Nous sommes tous sous le choc, c’est la première fois qu’un incident d’une telle gravité se produit ici, mais nous pensons que c’est symptomatique d’une situation qui se dégrade partout », explique un professeur. Les cours ont repris normalement le lendemain au lycée Beaussier.
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Plaintes et exclusion immédiate
L’établissement a porté plainte, tout comme l’enseignant agressé. Quant à l’élève en cause, « il a été immédiatement exclu » de l’établissement. Un conseil de discipline sera convoqué après les vacances scolaires de Printemps.
Réunis en assemblée générale, les professeurs ont décidé d’adresser un courrier signé des diverses formations syndicales (SNES, Sud Education, FO) au recteur d’académie pour l’interpeller sur cette situation.
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B., âgé de 17 ans, a comparu dès le 8 avril devant le tribunal des mineurs, suivant la procédure de jugement à délai rapproché.
Il a été placé en détention à la prison de La Farlède, au quartier des mineurs. Il sera de nouveau entendu par un magistrat chargé des mineurs le 4 mai prochain.
Dès le vendredi 8 avril, la section de Toulon de la Ligue des droits de l’Homme a exprimé son point de vue dans un communiqué :
Communiqué de presse
Mardi dernier, 4 avril 2005, un lycéen de La Seyne-sur-Mer (83), a commis des voies de fait sur la personne d’un de ses professeurs. Nous ignorons les circonstances des faits. Mais c’est un acte grave qui doit être sanctionné. Nous adressons nos voeux de rétablissement à l’enseignant qui a été victime d’une violence inacceptable. Et nous
exprimons notre solidarité avec le corps enseignant qui accomplit une tâche importante dans des conditions difficiles.Cet acte a profondément surpris venant d’un jeune homme connu par ses professeurs et ses camarades pour sa gentillesse, sa sociabilité et son désir d’apprendre. Il n’est pas en révolte contre l’institution scolaire
et a la volonté de réussir. Dans le foyer où il vit, cette sociabilité a été également signalée par son éducateur.Aujourd’hui, vendredi 8 avril, il a comparu devant le Tribunal des mineurs qui a décidé son incarcération immédiate jusqu’à l’audience prévue pour le 4 mai. Il se trouve maintenant à la prison de Toulon-La
Farlède.La section de Toulon de la Ligue des droits de l’Homme s’interroge sur cette décision. Est-elle justifiée par les actes du lycéen ? L’emprisonnement est-il la seule solution ? N’aurait-il pas fallu donner une sanction éducative ?
N’a-t-elle pas pour finalité d’intimider les jeunes, d’en faire un cas exemplaire ?
La section de Toulon de la LDH demande que le
jeune lycéen soit remis en liberté sous contrôle judiciaire, de façon à pouvoir continuer à préparer son baccalauréat.Toulon, le 8 avril 2005
Des élus de La Seyne soutiennent cette position. Ainsi,
Marc Vuillemot,
président des élus socialistes du Groupe de la Gauche Unie du Conseil Municipal de La Seyne-sur-Mer, a réagi par une tribune libre [4] :
16 avril 2005
Après l’incarcération du jeune agresseur d’un professeur
L’agression d’un enseignant du lycée Beaussier par un élève mineur, survenant après d’autres manifestations de violence vécues depuis quelques mois dans et autour d’autres établissements scolaires seynois, pose deux questions fondamentales.
Celle de l’École publique, dont les moyens humains sont gravement grignotés, tant en ce qui concerne les enseignants devant s’occuper d’un nombre accru de jeunes au détriment d’un suivi individualisé de ceux qui sont en souffrance, qu’en ce qui concerne les services de vie scolaire dont les anciens surveillants sont peu à peu remplacés par des personnels aux statuts précaires qui peuvent difficilement jouer un rôle préventif en étant à l’écoute des adolescents, ou les services des psychologues chargés de l’orientation, ou encore les dispositifs d’insertion en faveur des jeunes en rupture scolaire.
L’affaire du lycée Beaussier pose aussi la question des lois Perben quant à la justice des mineurs.
Depuis l’ordonnance de 1945 sur l’éducation surveillée des mineurs, les mesures de justice avant jugement étaient le plus souvent à visée éducative : réparation, sanctions éducatives, travaux d’intérêt général, sursis avec mise à l’épreuve.
La nouvelle loi privilégie désormais les centres fermés dont la grande majorité des professionnels de la justice estiment qu’ils sont inopérants parce que la réinsertion des jeunes passe par leur implication volontaire "pour s’en sortir". Car chacun sait que, soit le jeune adhère sous la brimade et la contrainte, ce qui ne veut pas dire que son problème soit réglé, soit il éclate, s’enfuit ou se rebelle, et finit de toute façon en prison.
L’agression physique d’un éducateur, peut-être plus que de toute autre personne, est un acte inqualifiable qui doit être sanctionné comme il se doit.
La déstructuration morale et sociale de mineurs en milieu carcéral est un acte presque aussi effrayant.
On n’embastille pourtant pas à titre préventif les majeurs "faiseurs de lois" qui génèrent les coups et blessures involontaires de la vie ayant entraîné les actes insensés de jeunes en perte de repères.
Souhaitons que ceux qui rendent la justice aient bien toutes ces données à l’esprit.
De même, Francisque Luminet, conseiller municipal d’opposition, a adressé au député-maire (UMP) Arthur Paecht une lettre ouverte lui demandant d’intervenir pour obtenir la libération du lycéen avant l’audience du 4 mai [5] :
Monsieur le maire,
J’ai reçu un coup de fil d’un responsable de la section de la LDH de Toulon.
Il m’a rappelé la position de son organisation concernant l’agression d’un professeur de Beaussier par un élève, qui s’est déroulée le 5 avril dernier. Tout d’abord, comme l’indique le communiqué de la LDH paru le 10.04.2005 : « C’est un acte grave qui doit être sanctionné. Nous adressons nos vœux de rétablissement à l’enseignant qui a été victime d’une violence inacceptable. Et nous exprimons notre solidarité avec le corps enseignant qui accomplit une tâche importante dans des conditions difficiles ». C’est clair.
Par ailleurs, et c’est là l’objet du contact du représentant de la LDH me demandant d’être son interprète auprès de vous, l’élève fautif - c’est indéniable - est un exemple de sérieux dans la fondation à laquelle il appartient. Ce que ses professeurs confirment. Mais l’incarcération de ce jeune, réputé jusque-là gentil, sociable, désireux d’apprendre, qui a pu réagir d’une façon regrettable a une circonstance ayant pesé sur sa personnalité, inquiète. Même si l’audience est prévue pour le 4 mai, « la Ligue des Droits de l’Homme demande que le lycéen soit remis en liberté, sous contrôle judiciaire, de façon à pouvoir préparer son Baccalauréat ».
La justice pourrait, peut cela.
Votre intervention pourrait, peut favoriser cela.Respectueuses salutations.
Francisque Luminet, conseiller municipal de La Seyne
[6]
Du côté des enseignants :
« nous ne souhaitons pas commenter la décision de justice. Nous ne pouvons que rappeler notre point de vue. Nous déplorons les conditions globales d’encadrement qui ne peuvent que faciliter ou encourager ces débordements. Mais La Ligue des droits de l’homme est dans son rôle lorsqu’elle demande la remise en liberté sous contrôle judiciaire », explique Philippe Tristani, représentant des enseignants de Beaussier.
Quant au professeur blessé, « très choqué, notre collègue se remet doucement de son opération » indique Philippe Tristani.
Le Président de l’Union Sportive du Mourillon nous a spontanément adressé le témoignage suivant [7] :
Toulon le 8 avril 2005
Je soussigné ***, Président de l’Union Sportive du Mourillon, atteste sur l’honneur que B., licencié dans notre club depuis 2002, a toujours eu un comportement exemplaire.
En effet, ce jeune joueur de rugby a toujours fait preuve de respect envers ses entraîneurs et ses camarades et a toujours respecté les règles de loyauté et de non-violence inculqués dans notre club et qui sont indispensables à la pratique du rugby.
Durant ces trois saisons, B. n’a jamais eu de comportements violents ou irrespectueux à l’égard des ses adversaires.
B. est très impliqué dans la vie associative du club, toujours très dévoué et volontaire pour aider notre école de rugby.
Communiqué de presse de la section de Toulon de la LDH
Toulon, le 4 mai 2005
Le 4 avril dernier, un lycéen de La Seyne-sur-Mer (83) avait agressé l’un de ses professeurs et lui avait cassé le nez. Le 8 avril, le Tribunal des mineurs de Toulon avait décidé de son incarcération immédiate à la prison de Toulon-La Farlède.
Le 4 mai, le tribunal des mineurs condamnait le jeune homme à une peine de 8 mois de détention dont 24 jours ferme – ce qui correspond à la durée de son séjour en prison – peine assortie d’une mise à l’épreuve avec obligation de soins, mesure qu’il avait lui-même sollicitée.
Le professeur blessé a été soigné. Il a pu reprendre son enseignement.
Le lycéen a quitté la prison ce soir.
Cet acte devait être sanctionné. Mais nous posons à nouveau la question : le recours à une peine de prison était-elle la bonne réponse ?
Epilogue
Peu après, un autre lycée a accueilli B. pour lui permettre de terminer son année scolaire.
En juillet 2005, il a réussi son baccalauréat avec mention !
[1] L’élève étant mineur, son identité ne peut être dévoilée ; il sera donc désigné par B. dans la suite de cette page.
[2] Var Matin, jeudi 7 avril 2005.
[3] Var Matin, jeudi 7 avril 2005
[4] Publiée dans La Marseillaise du 18 avril 2005.
[5] Lettre ouverte publiée dans La Marseillaise le 18 avril 2005.
[6] Francisque Luminet : ancien membre du conseil d’administration du lycée Beaussier de 1967 à 1969 et de 1972 à 1974 en tant que parent d’élève, et de 1995 à 2001 en tant qu’élu municipal - président fondateur du conseil de parents d’élèves du collège Henri Wallon (seule organisation à ce moment-là) de sa création en 1969 à 1972.
[7] Publié dans la Marseillaise le 18 avril 2005.