Un bracelet électronique mobile (BEM) pour tous ou presque, et plus seulement pour les auteurs d’infractions sexuelles - c’est ce que propose Georges Fenech. Le député estime qu’il devrait concerner tous les auteurs d’infractions punies de cinq ans de prison. Il serait posé pour deux ans maximum, dans de multiples cas de figure : contrôle judiciaire, peine autonome, suivi socio-judiciaire, libération conditionnelle.
Lire également ci-dessous un reportage à Denver avec " Les forçats du GPS".
Communiqué de presse du Syndicat de la Magistrature
Paris le 20 avril 2005
Rapport Fenech : la banalisation de la surveillance électronique
Sous couvert d’atténuation des propositions votées en première lecture par l’assembée nationale, le rapport rendu par Georges Fenech, chargé de mission par le premier ministre, propose un recours extensif au dispositif de surveillance électronique mobile. Ce système pourrait être mis en oeuvre à tous les stades de la procédure (dans le cadre du contrôle judiciaire, à titre de peine principale, au stade de l’aménagement des peines sous diverses formes). Il serait applicable à un nombre accru de condamnés, quelle que soit la nature des faits commis, y compris à titre d’aménagement des peines prononcées de faibles quantum (inférieures ou égales à un an).
Les mineurs n’en seraient pas exclus, la spécificité de la justice des mineurs se trouvant ainsi une nouvelle fois remise en cause.
L’effet préventif de la récidive attribué à ce dispositif, n’est étayé par aucun élément précis d’évaluation des expériences anglo-saxonnes dont la mission s’est inspirée. Au contraire, cette mesure ne semble pas applicable aux délinquants dont la récidive est plus particulièrement redoutée, notamment en matière d’infractions sexuelles.
Le recours à une telle mesure, ne constituerait qu’une source d’extension de la répression, pour le plus grand profit de sociétés privées à qui seraient confiées les prestations de surveillance. Les expériences étrangères, et l’expérience française de la surveillance électronique fixe ne permettent nullement d’observer en contre-partie un moindre recours à la peine de prison.
Le Syndicat de la magistrature rappelle la nécessité de renforcer les mesures d’accompagnement socio-éducatif existantes, seules de nature à permettre l’accompagnement des personnes condamnées dans une démarche effective de réinsertion.
Syndicat de la magistrature
Dominique Perben soumettra prochainement à l’Assemblée nationale dix propositions avancées par un rapport parlementaire, pour développer l’usage du bracelet électronique mobile (BEM) pour les personnes poursuivies ou condamnées. Le garde des sceaux, lors d’une conférence de presse, mercredi 20 avril, a tout d’abord exclu que le bracelet électronique puisse être imposé à une personne comme mesure de "sûreté" en dehors de toute décision judiciaire. "Il pourra s’agir d’une peine, d’une modalité d’exécution de la peine, mais pas d’une double peine. Il devra résulter de la décision d’un juge", a-t-il dit.
Le ministre arbitre ainsi en faveur du Sénat, qui a repoussé à la fin de 2004 un texte sur la "prévention de la récidive" voté en première lecture à l’Assemblée et proposant une utilisation extensive et extrajudiciaire du BEM. A l’origine, la proposition de loi prévoyait d’imposer comme "mesure de sûreté" un placement sous surveillance des délinquants sexuels à leur sortie de prison pouvant atteindre 20 ans pour un délit et 30 ans pour un crime. Elle avait suscité un tollé de la part d’associations et de syndicats (Ligue des droits de l’homme, Syndicat de la magistrature, Union syndicale des magistrats, Syndicat des avocats de France...) et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui avaient dénoncé un texte instaurant "une double peine", attentatoire aux libertés. Le Sénat avait annulé cette disposition en février.
Surveillance limitée à 2 ans
Lors de la conférence de presse, Dominique Perben a ajouté que les dix points pourraient être introduits dans la version finale de cette proposition de loi, qui doit être examinée prochainement en deuxième lecture à l’Assemblée. La mission parlementaire, conduite par le député UMP du Rhône, Georges Fenech, lui a remis son rapport mercredi. Ce document préconise de limiter à deux ans le placement sous surveillance électronique, de le soumettre au consentement de la personne et de restreindre son champ d’application aux personnes encourant au moins cinq ans de prison. Par ces mesures et en limitant à deux ans la période de surveillance électronique mobile, le rapport du député est donc moins sévère que la proposition de loi sur la récidive.
En revanche, le bracelet pourrait être utilisé comme modalité d’un contrôle judiciaire pour une personne mise en examen, comme alternative à la prison et comme mode de surveillance des condamnés après leur libération, dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire.
Le rapport propose d’autre part la création d’une agence nationale pour gérer le dispositif, la formation d’agents spécialisés et la création d’un fichier des personnes dotées d’un bracelet.
Le bracelet électronique, légalisé en France en 1997, y est peu utilisé. Seules 800 personnes font actuellement l’objet d’une surveillance "statique" par bracelet, ce qui revient à une assignation à résidence. Les bracelets les plus modernes, utilisés au Royaume-Uni et aux Etats-Unis avec des résultats jugés satisfaisants, sont reliés à un système de détection des déplacements par satellite. Leur coût est cependant élevé et leurs performances sont encore mal connues. Dans son rapport, Georges Fenech ne fournit pas d’estimation du prix de mise en oeuvre du dispositif.
La nomination de ce député à la tête de la mission avait suscité de vives critiques. Cet ancien magistrat est en effet mis en examen pour "recel d’abus de biens sociaux" dans une enquête sur des ventes d’armes à l’Angola en 1993 et 1994 et il pourrait prochainement comparaître en correctionnelle.
Dans le Colorado, l’administration pénitentiaire recourt de plus en plus au boîtier électronique pour surveiller les récidivistes. Bientôt en France...
Dans les quartiers noirs de Denver, tout le monde connaît « Big Cyco », un homme mince et musclé de 36 ans, rieur, volubile et agité. Pendant des années, Big Cyco fut un chef local des Crips, l’un des gangs noirs les plus puissants et les plus dangereux des Etats-Unis. Après des années de vie brutale et désordonnée, il fut envoyé en prison pour cinq ans, à la suite d’une bagarre avec des policiers. A sa sortie, en 2003, il se range, trouve du travail, se fait appeler à nouveau Michael, son nom de baptême.
Mais, un an plus tard, nouvel incident : lors d’une fête de famille, il se dispute avec une amie, qui appelle la police et l’accuse de l’avoir frappée. Les policiers, qui connaissent Big Cyco de réputation, l’arrêtent aussitôt et le font emprisonner. Il est libéré sous caution en attendant son procès, mais le juge, craignant pour la sécurité de la victime présumée, décide qu’il devra porter en permanence un appareil GPS (Global Positioning System) permettant de le localiser 24 heures sur 24.
Depuis, Michael traîne partout avec lui un boîtier pesant 1,7 kg, doté d’un écran et surmonté d’une antenne. Il contient deux appareils : d’une part, le récepteur GPS, en liaison avec un satellite, calcule en temps réel sa position géographique, au mètre près ; d’autre part, un émetteur transmet en continu les coordonnées GPS à un centre serveur, en utilisant un réseau de téléphonie mobile.
Michael ne peut jamais s’éloigner de son GPS, car il porte aussi un bracelet électronique inamovible vissé à la cheville, en liaison radio avec le boîtier : si la distance entre le bracelet et le boîtier excède 15 mètres, le serveur déclenche l’alerte, et Michael est considéré comme un fugitif. En outre, il est soumis de facto à un strict couvre-feu, car chaque nuit il doit recharger la batterie pendant huit heures d’affilée.
Installés au seizième étage d’un immeuble du centre-ville, les officiers de probation du service des community corrections (« peines de substitution ») peuvent à tout moment vérifier où se trouve Michael, en se connectant au centre serveur via Internet. La nuit et le week-end, les bureaux sont fermés, mais si un « client » commet la moindre infraction, le système avertit automatiquement les officiers de permanence, par téléphone, e-mail, pager ou SMS.
Depuis 2001, le comté de Denver a placé sous surveillance GPS plus de 700 inculpés en attente de jugement, surtout des hommes accusés d’agressions, de violence conjugale ou de délits sexuels. Le programme ne coûte rien aux contribuables, car les porteurs de GPS doivent payer 18 dollars par jour. L’argent est collecté par une société privée, Rocky Mountains Offender Management Systems (RMOMS), qui gère en sous-traitance toute la logistique du système.
En théorie, le GPS sert avant tout à empêcher les récidives. Ainsi, le quartier où réside la victime présumée de Michael a été déclaré « zone d’exclusion » : s’il s’y aventure, le centre serveur lui envoie des messages d’avertissement et déclenche une série d’alertes. Le système est souple : si la plaignante veut fréquenter un club de gym tous les mercredis matin ou aller dans sa discothèque préférée le samedi suivant, les officiers peuvent décider que ces lieux seront interdits à Michael durant ces tranches horaires. S’ils le souhaitaient, ils pourraient aussi confiner le « client » dans un quartier dont il n’aurait plus le droit de sortir.
Ce mardi matin, l’officier Aubrée Coté, une grande blonde solide et souriante, décide de prendre des nouvelles de Michael. Elle se connecte au serveur et, aussitôt, une carte en couleurs d’un quartier de Denver s’affiche sur son écran. Michael se trouve dans la banlieue Nord, à un carrefour. Sa position est indiquée par un cercle vert, signifiant qu’il n’est pas en infraction. Aubrée zoome dans la carte et note l’adresse : « C’est la première fois que je le repère à cet endroit, je ne sais pas ce qu’il fait. »
Vingt minutes plus tard, elle constate qu’il n’a pas bougé. Elle demande alors au centre serveur de puiser dans sa mémoire pour retracer l’itinéraire complet de Michael au cours des dernières 24 heures. Sur la carte, le point vert se met à circuler en accéléré : Michael s’est beaucoup déplacé hier, à pied et en voiture. Il a tourné dans le centre-ville, s’arrêtant souvent, puis il a filé vers le nord en voiture : « Il est arrivé là-bas hier à 22 h 14, et il n’a plus bougé, il a dû y dormir. J’ai cru comprendre qu’il fréquente plusieurs femmes ces temps-ci. » Elle tape un message sur son clavier, qui va s’afficher aussitôt sur le boîtier de Michael : « Téléphonez-moi. »
En attendant, Aubrée se consacre à ses autres « clients ». Elle découvre sur sa carte un cercle rouge : le système a détecté une infraction. Une femme, accusée de violence sur ses enfants, a été chassée de chez elle par son nouvel amant et n’a plus accès à son chargeur : pas très grave, un officier va intervenir. Puis elle étudie les déplacements d’un garçon de 24 ans, réputé violent, qui possède une entreprise de bâtiment et qui vient d’embaucher deux hommes placés comme lui sous GPS : « Bizarre », pense-t-elle. A suivre de près.
Aubrée doit aussi s’occuper de Joe, un cas difficile. Joe n’a pas le droit de revoir son ex-femme, qui l’accuse de coups et blessures. Celle-ci a déménagé, mais il a découvert sa nouvelle adresse et, un soir, il s’est mis à rôder dans les parages : « Nous avions créé une zone d’exclusion autour de la nouvelle maison de sa femme, mais sans le prévenir. Alors, il testait le système, il faisait des petites incursions. Quand il s’est approché de la maison, nous avons averti la police en urgence. Les policiers sont arrivés sur les lieux avant lui. Quand il est entré, ils l’ont arrêté en flagrant délit. » Joe a passé le week-end en prison, mais, dès le lundi, le juge l’a libéré sous caution. Aubrée va le chercher à la maison d’arrêt, située en face de son bureau. Elle lui place un nouveau bracelet à la cheville d’une main experte, puis lui tend un boîtier GPS. Joe s’en va sans un mot.
Dans la pièce voisine, Tom Allison, un ancien policier travaillant pour la société de sous-traitance, vérifie la position de ses clients dans un comté rural. Il surveille un point rouge circulant à grande vitesse : « Il roule trop vite, mais je ne sais pas si c’est lui qui conduit, alors je laisse faire. » Plus loin, un point vert se déplace lentement dans un espace vide : « Celui-là est en train de jouer au golf, il est riche. Il est accusé de meurtre. J’ai plusieurs clients golfeurs ; quand je les observe, j’arrive à compter leurs coups et à deviner leur score. » Michael finit par rappeler, avec une heure de retard. Aubrée lui demande de venir sur-le-champ. Il élude, répond que c’est compliqué, que sa soeur a pris sa voiture, que sa carte d’autobus a expiré... Mi-agacée, mi-amusée, elle lui fixe un rendez-vous pour le lendemain.
En fait, Michael n’a pas grand-chose à cacher, il campe provisoirement dans le petit appartement d’une de ses demi-soeurs. Le chargeur de son GPS traîne au milieu du salon. Il a aussi amené son fils King, âgé d’un mois, dont la mère est absente ces temps-ci : « Je n’ai plus un sou. C’est impossible de trouver du boulot quand on se balade avec ce truc en bandoulière. En plus, ils m’ont remis en prison deux fois : d’abord, parce que je m’étais approché de la maison de la victime, alors qu’elle a quitté la ville depuis longtemps ; et, ensuite, parce que j’étais arrivé en retard à une audience. » Il ne paie plus son GPS depuis deux mois. Cela pourrait suffire à le renvoyer en prison, mais Aubrée a intercédé en sa faveur.
Désoeuvré, Michael traîne avec des jeunes du quartier, son GPS dans une musette. Il entre dans un centre commercial mais, au bout d’un quart d’heure, un message s’affiche sur son écran pour lui ordonner de sortir. Le satellite a perdu sa trace, Michael doit rester debout sur le parking, le temps que la connexion soit rétablie. Il trépigne d’énervement : « On dirait qu’ils veulent me pousser à la faute. De toute façon, tous ces gens qui me regardent vivre sans arrêt, il faut que ça cesse. Ils se prennent pour Dieu, c’est malsain. »
Malgré tout, Michael doit reconnaître que le GPS a aussi des avantag es : « L’autre fois, il y a eu une bagarre sanglante dans une maison de dealers. Plusieurs policiers ont juré sous serment qu’ils m’avaient vu là-bas, et sont venus m’arrêter. Ma parole contre la leur, j’étais foutu. Mais les officiers de probation ont vérifié mes allées et venues grâce au GPS, et ont certifié que j’étais à l’autre bout de la ville ce jour-là. Les flics étaient fous de rage, mais ils ont dû me relâcher. » Par ailleurs, le GPS ne l’a pas empêché de se trouver une nouvelle petite amie : « On se voit souvent, mais jamais chez elle, je ne veux pas que le système sache qu’elle existe. Si un jour on m’ôte mon GPS, j’irai m’installer avec elle, on ne me retrouvera plus. »
ADenver, le GPS semble complètement entré dans les moeurs judiciaires. Pourtant, Marilyn Rosenberg, créatrice et directrice du programme, se souvient que les débuts furent incertains : « Pour moi, c’était un moyen d’éviter de jeter les gens en prison, pour faciliter leur réinsertion. J’ai dû me battre contre les juges et les politiciens conservateurs car, selon eux, le GPS était une peine trop douce pour les délinquants violents. Puis la tendance s’est inversée, ils ont compris que ça coûtait beaucoup moins cher que de les garder en prison et que c’était efficace. Bien, sûr, quelques « clients˜ ont jeté leur GPS et se sont enfuis, mais le taux d’échec est faible. »
Tom Moore, chef du service des community corrections, tient un discours moins libéral, mais il soutient Mme Rosenberg depuis le début : « J’ai toujours été sensible au problème du droit des victimes, bien avant que ce soit à la mode. » Cela dit, il estime que l’engouement des autorités pour le GPS est presque devenu excessif : « Aujourd’hui, certains juges rêvent de placer tous les prévenus sous GPS. J’ai même entendu des choses stupides : une conseillère municipale voudrait s’en servir sur les prostituées, pour les empêcher de venir en centre-ville. »
Depuis quelques semaines, son service teste toute une gamme de nouveaux boîtiers GPS, fabriqués par différentes sociétés. Certains possèdent des batteries de longue durée qui donneront au « client » plus d’autonomie. D’autres, légers et discrets, ressemblent à des téléphones mobiles. Un laboratoire a mis au point un appareil expérimental : plus besoin de boîtier, tout tient dans le bracelet fixé à la cheville.
Le département commence aussi à utiliser le Scram, un gros bracelet qui teste en continu le taux d’alcoolémie à travers la peau du mollet. Certains condamnés vivent avec un bracelet à chaque jambe : le GPS d’un côté, le Scram de l’autre. Dans d’autres comtés, les tribunaux commencent à recourir à la détention à domicile sous GPS pour punir de simples délits, comme la conduite sans permis.
De son côté, l’administration pénitentiaire de l’Etat du Colorado possède un programme GPS destiné à des condamnés à de lourdes peines bénéficiant d’une libération anticipée avec mise à l’épreuve. Plusieurs dizaines d’entre eux ont été regroupés dans la ville de Colorado Springs. Ils vivent entassés à six par chambre dans des anciens motels reconvertis en centres de détention ouverts.
Nicholas, 60 ans, est un homme distingué et énergique, qui s’exprime avec aisance. Il porte son GPS à la ceinture, car on lui a attribué un modèle récent, très compact. Il reconnaît avoir commis trois agressions sexuelles au cours de sa vie mais affirme que, grâce à une longue thérapie, il est enfin guéri : « Le jour, je travaille comme administrateur de biens et, le soir, je rentre au centre. Si je veux aller en ville avant de me coucher, je dois demander l’autorisation et négocier mon itinéraire et mes horaires. » Nicholas est persuadé que le GPS l’a aidé au cours de sa thérapie : « Il m’a responsabilisé, discipliné. En revanche, une surveillance GPS utilisée seule, sans thérapie, ne servirait à rien. Le délinquant sexuel non traité va récidiver, quoi qu’il arrive, même s’il a toutes les chances de se faire prendre : l’addiction est trop forte. »
Après huit mois de vie au centre, Nicholas a été provisoirement dispensé de GPS. Dans quelques semaines, il aura le droit de s’installer en ville : il sera alors à nouveau placé sous GPS, pour deux ou trois mois. Il se fait une raison, mais il estime que tout doit avoir une fin : « Une fois la peine purgée et la thérapie achevée, le délinquant sexuel devrait être libre, comme n’importe quel autre condamné. Mais, au Colorado, nous sommes soumis à une mise à l’épreuve à perpétuité. C’est très injuste, quand on se sent guéri. Heureusement, ils ne nous collent pas le GPS à vie. Enfin, pas encore. »