peines planchers et excuse de minorité, priorités de la ministre de la justice


article communiqué de la LDH  de la rubrique justice - police > justice
date de publication : mercredi 4 juillet 2007
version imprimable : imprimer


Le projet de loi sur la récidive des majeurs et des mineurs a été présenté par la ministre de la justice, Rachida Dati, mercredi 13 juin, en conseil des ministres. Le texte prévoit l’instauration de peines planchers pour les récidivistes, qu’ils soient majeurs ou mineurs, et l’abaissement de la majorité pénale pour les mineurs récidivistes. Ce texte, qui pourrait mener 10 000 personnes de plus en prison, sera examiné en première lecture au Sénat, début juillet.

[Mise en ligne le 25 juin 2007, mise à jour le 4 juillet 2007]

Appel du Syndicat de la magistrature à mobilisation contre le projet de loi sur les « peines-planchers » et les mineurs récidivistes

9 juin 2007

Le projet de loi tendant à durcir la répression contre les délinquants récidivistes sera le premier texte déposé au parlement par le nouveau gouvernement.

Nicolas Sarkozy avait fait de l’instauration de peines planchers et du durcissement de la réponse judiciaire envers les mineurs délinquants l’une des promesses phares de sa campagne électorale.

Taxés de laxisme, les juges devaient être encadrés afin de s’assurer d’une réponse judiciaire sévère envers les récidivistes.

La nouvelle ministre de la Justice a repris à son compte le texte déjà écrit par l’équipe de campagne du candidat Sarkozy. Il sera le premier voté par la nouvelle assemblée. Il prévoit la mise en place de peines planchers dès la commission en récidive d’un délit puni de trois ans d’emprisonnement et s’applique à tous, dès l’âge de 13 ans. Ainsi, pour une récidive de vol, la peine plancher est d’un an d’emprisonnement, abaissée à 6 mois pour les enfants de 13 à 18 ans.

L’article 3 du texte s’attaque quant à lui au principe de l’atténuation de peine pour les mineurs. Ce principe à valeur constitutionnelle (qui divise par 2 la peine encourue), peut être écarté dès la première récidive par la juridiction des mineurs et son application devient l’exception dés le troisième fait de violence commis par un adolescent de 16 à 18 ans.

Ainsi, un adolescent de 16 ans condamné deux fois pour un vol à l’arraché de téléphone portable devra par principe, la troisième fois, être condamné à une peine minimale de 2 ans d’emprisonnement. Peu importe la réelle gravité des faits commis comme la personnalité de l’auteur, le texte foule au pied le principe d’individualisation de la peine qu’il relègue au rang de simple exception. La justice pénale devient alors une machine à punir indifférente aux réalités des personnes qu’elle est amenée à juger. Animé d’une volonté de produire des effets dissuasifs par un affichage de fermeté, ce texte, pour ne pas encourir de censure par le Conseil constitutionnel, a dû concéder à l’État de droit le maintien d’un pouvoir d’appréciation pour le juge. Ainsi, les juridictions pourront déroger au prononcé de la peine plancher mais dans des cas limités encore réduits à la seconde récidive où les juges devront alors reconnaître au délinquant des garanties exceptionnelles de réinsertion. Nous dénonçons l’esprit particulièrement régressif de ce texte qui fait de la peine d’emprisonnement le centre de la réponse pénale.

L’objectif de dissuasion qu’il poursuit nous apparaît totalement illusoire et même contre-productif. Les prisons françaises, nous le savons, ne sont pas le lieu où l’on réinsère mais un lieu où l’exclusion et la violence aggravent souvent les problématiques des plus fragiles. Or, mécaniquement, ce projet de loi est une machine à créer de l’enfermement à un moment où la France atteint un taux d’incarcération inégalé depuis 1945. La peine de mort n’a jamais dissuadé du crime et les systèmes étrangers qui ont choisi de recourir aux peines planchers n’ont jamais démontré leur capacité à lutter contre la délinquance.

La lutte contre la récidive est une nécessité et nous y adhérons si la sanction s’inscrit dans la prise en charge de ceux qui ont enfreint la loi.

Nous n’acceptons pas le renoncement à l’éducation de nos enfants, fûssent-ils délinquants récidivistes. Nous considérons qu’afficher la prison comme seule réponse aux malaises de nos adolescents violents marque l’échec de notre société à les accompagner vers l’insertion sociale. Depuis de nombreuses années, les moyens donnés aux secteurs social et éducatif fondent comme neige au soleil, traduisant une volonté politique déterminée d’affecter tous les crédits au secteur carcéral. Ainsi, lorsqu’un juge des enfants ordonne une mesure d’assistance éducative pour un enfant en danger, il doit le plus souvent attendre des mois pour que la mesure soit effectivement mise en oeuvre. De la même façon, les juges de l’application des peines et les services pénitentiaires d’insertion et de probation qui sont chargés de la mise en place des mesures alternatives à la prisons prononcées par les tribunaux, n’ont pas été dotés des moyens à la hauteur de leurs missions.

Dans ce contexte, constater l’échec de l’éducatif pour durcir le système répressif relève de l’escroquerie et confine à la caricature.

C’est un choix de société que nous ne pouvons admettre. Nous appelons tous ceux qui partagent notre vision d’une société solidaire et responsable à s’unir contre ce projet de loi.

Les organisations signataires de cet appel sont l’Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la famille, les Verts, le Syndicat de la Médecine Générale, l’Association Nationale des Juges d’Application des Peines, le Syndicat National des Journalistes, le SNPES-PJJ-FSU, le SNEPAP-FSU, la CGT-Insee, Ras l’Front, le GENEPI, le SNUCLIAS-FSU, le Parti communiste français, SUD-Santé-Sociaux, le JAL, l’UGSP-CGT, la FSU, le SNUAS-FP-FSU, la Ligue des Droits de l’Homme, l’OIP, la FARAPEJ, l’Union syndicale de la psychiatrie, la CGT-services judiciaires-, la LCR
les personnalités signataires sont Henri MALBERG, Catherine VIEU-CHARRIER, Nicole BORVO, Antoine HIBON, Jacques VIGOUREUX scénariste, réalisateur, président d’honneur du Syndicat national des auteurs et des compositeurs, Serge GUICHARD adjoint au maire à PALAISEAU, Bernadette BOURZAI députée européenne (PS) et maire d’Egletons, Adeline HAZAN députée européenne (PS)

La loi contre la récidive pourrait mener 10 000 personnes de plus en prison

par Nathalie Guibert, Le Monde du 4 juillet 2007

Le nouveau projet de loi contre la récidive sera-t-il efficace ? Le texte examiné à partir de jeudi 5 juillet au Sénat se veut dissuasif à l’égard des délinquants. Il prévoit des peines planchers pour les crimes et les délits punissables de trois ans de prison au moins, la fin de l’excuse de minorité pour les 16-18 ans récidivistes et une obligation de soins en prison.

Il ne "correspond pas à la réalité de la récidive", ont dénoncé lors d’une conférence de presse, lundi 2 juillet, criminologues et professionnels de la justice. "Le travail sur le terrain comme les recherches existantes montrent qu’un programme efficace doit reposer sur quatre volets : une meilleure élucidation des actes délinquants par la police, une prévention pour éviter la première infraction, des conditions meilleures d’application des peines et une réforme du code pénal", a indiqué le chercheur Pierre Tournier.

Selon les estimations de ce dernier, la future loi pourrait conduire à une augmentation de 10 000 détenus. La France compte actuellement 63 600 personnes sous écrou, soit 12 000 détenus de plus que de places disponibles.

Les études menées par Pierre Tournier et Annie Kenzey, chargée de mission à l’administration pénitentiaire, ont montré que 59 % des sortants de prison sont de nouveau condamnés dans les cinq ans suivant leur libération. Ces recherches ont aussi montré la difficulté de tirer des conclusions générales sur la récidive.

Trois facteurs la font évoluer du tout au tout : le passé judiciaire de l’individu, son âge, et le fait de déclarer un emploi. Pour le délit de violences volontaires, la récidive varie ainsi de 0 % à 81 % selon la situation de l’auteur des faits.

Bien que le débat se focalise sur les crimes les plus traumatisants, deux délits représentent les trois quarts des récidives : le vol-recel (taux de récidive : 8 %) et la conduite en état d’ivresse, qui n’est cependant pas visée par la nouvelle loi car elle n’encourt que deux ans de prison (taux de récidive : 14 %).

Aucune corrélation n’a pu être établie entre le montant de la peine prononcée et la récidive. En matière d’infractions à la législation sur les stupéfiants, plus la peine est forte, moins les personnes récidivent. Mais pour les violences volontaires, c’est l’inverse.

Pour d’autres actes, on ne note aucun effet. Les auteurs d’agressions sexuelles sur mineurs affichent un taux de nouvelle condamnation quasi identique, qu’ils aient purgé une peine de moins de cinq ans de prison ou une peine de plus de cinq ans (23 % et 22 %). Même constat pour les auteurs de vols avec violence : 68 % des condamnés à moins de six mois écopent d’une nouvelle condamnation, 72 % après deux ans de prison.

Les études disponibles ont également montré qu’un mineur incarcéré pour la deuxième fois sera, dans plus de 90 % des cas, impliqué dans une nouvelle affaire dans les cinq ans qui suivent sa libération. "Ces chiffres invitent à mettre sérieusement en doute le caractère dissuasif de la prison", indique M. Tournier.

Autre donnée criminologique : la récidive est toujours plus forte après une "sortie sèche" de prison que dans le cadre d’une peine aménagée (une libération conditionnelle, un sursis avec mise à l’épreuve, etc.). "L’aménagement de la peine est le meilleur moyen de faire diminuer la récidive", défend Eric Martin, membre de l’Association des juges de l’application des peines. L’Anjap critique vivement le projet, estimant notamment que l’obligation de soins faite aux condamnés sera inapplicable : " La moitié des tribunaux ne peuvent exécuter les peines de suivi socio-judiciaire qui comprennent l’injonction de soins faute de médecins coordonnateurs", explique M. Martin. "En détention, l’offre de soins est très inégale, et de nombreux condamnés sont sur des listes d’attente."

L’importance de la récidive dépend de l’accompagnement des condamnés et de leurs possibilités réelles de réinsertion. "Nous constatons que le travail de préparation à la sortie est de plus en plus difficile avec la surpopulation des maisons d’arrêt", témoigne Michel Jouannot, secrétaire général de l’Association nationale des visiteurs de prison. "Les prisons bouillonnent, le projet risque de les conduire à l’explosion."

Le "noyau dur" des récidivistes est formé de toxicomanes et de personnes désinsérées, avait fait remarquer Véronique Degermann, chef de l’unité de traitement en temps réel de la délinquance du parquet de Paris, lors d’une visite de la ministre, Rachida Dati, le 29 juin. A leur sortie de prison, avait ajouté la magistrate, "leur RMI n’est pas en place, ni leurs soins. Du jour au lendemain ils sont à la rue, et les facteurs de récidive sont réunis".

Nathalie Guibert

_________________________________

La commission de suivi de la récidive doute de la pertinence des peines planchers

par Alain Salles, Le Monde du 24 juin 2007

LA COMMISSION de suivi de la récidive est réservée sur le projet de loi créant des peines planchers pour les récidivistes. Dans un avis du 8 juin, qui n’a pas été rendu public, cette commission, créée par le ministère de la justice, commence par observer que le projet de loi " aura nécessairement comme conséquences l’augmentation de la population carcérale des majeurs et des mineurs ". Elle rappelle que " les peines minimales ont existé et ont été abandonnées sous la pression de la pratique ".

La commission a analysé le développement des peines planchers aux Etats-Unis et au Canada : " Il n’existe pas de travaux qui aient démontré l’effet attendu de diminution de la récidive. Plusieurs études enregistrent même une augmentation de la récidive, en particulier celle des mineurs ayant commis des faits de violence grave. "

Dans le cadre d’une deuxième récidive pour les délits avec violence, le juge ne peut prononcer une peine inférieure au seuil prévu qu’en invoquant des " garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion ". Selon la commission, cette disposition " risque en pratique d’être très difficile à établir, ce qui restreindra considérablement la liberté d’appréciation du juge ".

La commission suggère enfin que " l’impact des dispositions envisagées sur la taille de la population carcérale soit évalué " et qu’une phase d’expérimentation soit prévue. Installée par Pascal Clément en décembre 2005, cette commission, composée de magistrats, de sociologues, de psychiatres ou de juristes, a remis un rapport qui n’a pas été rendu public. L’ancien garde des sceaux avait créé cette commission pour que " les décisions que nous serions amenés à prendre pour réduire encore la récidive reposent sur la meilleure expertise qui soit ".

Alain Salles

_________________________________

Rachida Dati a présenté le projet de loi sur la récidive en conseil des ministres

par Alain Salles, Le Monde du 14 juin 2007

LE PROJET DE LOI sur la récidive des majeurs et des mineurs a été présenté par la ministre de la justice, Rachida Dati, mercredi 13 juin, en conseil des ministres. Le texte prévoit l’instauration de peines planchers pour les récidivistes, qu’ils soient majeurs ou mineurs, et l’abaissement de la majorité pénale pour les mineurs récidivistes. Il sera examiné en première lecture au Sénat, début juillet.

Le texte prévoit l’instauration de peines minimales de l’ordre d’un tiers de la peine maximale encourue, dès la première récidive pour les crimes et les délits passibles de trois ans d’emprisonnement. Le juge peut toutefois prononcer une peine inférieure, " par une décision spécialement motivée ", tenant compte " des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou de ses garanties d’insertion ou de réinsertion ". La possibilité de prononcer une peine inférieure est plus sévèrement encadrée à la deuxième récidive pour les cas de violences volontaires, délits commis avec la circonstance aggravante de violences, agression ou atteinte sexuelles ou délit puni de dix ans d’emprisonnement. La décision du juge doit alors reposer uniquement sur " des garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion ".

En ce qui concerne les mineurs de 16 à 18 ans, à la deuxième récidive, l’excuse de minorité est écartée pour les crimes d’atteintes volontaires à la personne et les délits de violence volontaires, agression sexuelle ou délits commis avec la circonstance aggravante de violences.

Le texte a reçu l’aval du Conseil d’Etat, mais le gouvernement a dû retirer l’essentiel de l’article 4 du projet - qui prévoyait la possibilité pour un juge de retenir la récidive même si celle-ci n’avait été relevée par une précédente juridiction -, devant les réticences des juges administratifs. Le Conseil d’Etat a également fait part d’une " réserve d’interprétation " sur la justice des mineurs. Dans son avis, non rendu public, le Conseil d’Etat rappelle l’esprit de l’ordonnance de 1945, qui privilégie les mesures éducatives.

Le projet suscite une grande inquiétude chez les magistrats et les avocats qui redoutent une brutale augmentation de la population carcérale.

Le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) a lancé un appel contre le projet de loi : " Nous dénonçons l’esprit particulièrement régressif de ce texte qui fait de la peine d’emprisonnement, le centre de la réponse pénale. (...) Mécaniquement ce projet de loi est une machine à créer de l’emprisonnement à un moment où la France atteint un taux d’incarcération inégalé depuis 1945. " " Nous n’acceptons pas le renoncement à l’éducation de nos enfants, fussent-ils délinquants multirécidivistes ", poursuit l’appel du SM.

Le projet est jugé insuffisant pour le syndicat de gardiens de la paix Alliance, classé à droite, qui propose son propre texte sur les peines planchers. Pour son secrétaire général, Jean-Claude Delage, " on ne fait pas de distinction entre récidive légale et réitération d’un délit. Les victimes ne font pas la différence. Un délinquant qui fait du trafic de stupéfiants et qui agresse un policier n’est pas récidiviste. Sur certains points nous sommes moins durs que le projet de Mme Dati. par exemple, sur les mineurs où nous prévoyons davantage de mesures éducatives ".

Alain Salles

Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP