miracle à l’église de scientologie


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date de publication : samedi 26 janvier 2008
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Après une instruction qui aura duré 25 ans, et la perte d’une partie du dossier de l’instruction par la juge Marie-Paule Moracchini, la justice prononce un non-lieu en faveur de membres de l’église de scientologie poursuivis pour “escroquerie”.

Certains Toulonnais se rappellent sans doute qu’il y a dix ans la juge d’instruction Marie-Paule Moracchini avait tenté de faire passer Albert Lévy, substitut à Toulon, pour un déséquilibré mental au motif qu’il voyait des fachos partout dans notre ville alors gouvernée par l’extrême-droite. Albert Lévy avait été accusé à tort d’avoir violé le secret de l’instruction dans une affaire pénale impliquant le Front national.

Le 14 novembre 2006, la 17ème chambre du Tribunal de grande instance de Paris a relaxé Albert Lévy. Son procès avait permis de démontrer et de rappeler l’intégrité de ce magistrat que le système politique local de l’époque, gangrené par la corruption, considérait comme un “gêneur”.


Voir en ligne : les méthodes d’instruction de Marie-Paule Moracchini dans l’affaire Borrel

Ordonnances de non-lieu pour des membres de la scientologie

par Franck Johannes, Le Monde, 19 janvier 2008

Ce sont des dossiers qui n’en finissent plus. Jean-Christophe Hulan, le quatrième juge chargé de deux instructions ouvertes il y a dix-neuf et vingt-cinq ans, a signé le 12 octobre deux ordonnances de non-lieu pour, d’une part, deux membres de l’Eglise de scientologie ; et de l’autre 21 scientologues - l’un d’eux est même mort en cours de procédure.

Ils sont poursuivis pour "escroquerie, extorsion de fonds et exercice illégal de la médecine", mais le parquet non plus n’estime pas les délits constitués, comme l’a révélé, mardi 15 janvier, le site bakchich.info (voir ci-dessous). Les avocats des parties civiles ont fait appel, et la chambre de l’instruction décidera de la suite.

Une autre plainte, déposée en 1998, est toujours à l’instruction. Mais le dossier principal a réellement débuté le 13 avril 1989 sur le bureau de Marie-Paule Moracchini, juge d’instruction à Paris.

Un certain Juan Esteban Cordero se plaignait d’être allé, l’année précédente, dans un centre de dianétique (méthode d’éveil personnel) où on lui avait expliqué qu’il était dépressif et que l’Eglise pouvait l’aider. Il avait versé 300 francs pour suivre des cours, puis un stage qui l’avait laissé "euphorique" sur le plan mental, moins sur le plan financier : il a signé un chèque de 47 391 francs, puis de 10 000 dollars, puis de 19 840 dollars pour des livres et des conférences à Philadelphie. Il a enfin versé 51 780 dollars pour passer à l’étape supérieure. Son amie a voulu s’y mettre, c’est lui qui a réglé les 24 000 dollars.

Juan Cordero a fini par prendre ses distances avec la scientologie fin 1988, non sans avoir encore versé un épais reliquat, ponctionné sur le compte de sa mère dont il avait une procuration. Il dit avoir payé, au total, 1 112 986 francs à l’Eglise (169 667 euros).

Deux autres plaintes ont été jointes, en 1989, puis une série d’autres en 1991 et 1992, mais les plaignants se sont désistés les uns après les autres, en raison de "négociations amiables" et parce que leur différend avait été "résolu à la satisfaction de tous".

En janvier 1992, 16 membres de la scientologie ont été mis en examen, de son président, Jean-Paul Chapelet, à Danièle Gounord, porte-parole de l’Eglise, incarcérée trois semaines dans un dossier parallèle instruit à Lyon, où elle a finalement été relaxée. Une pincée d’autres a suivi, dont un médecin du 18e arrondissement.

Péripéties judiciaires

Les premières difficultés ont commencé en 1998 quand la chambre d’accusation a découvert qu’un tome et demi du dossier avait disparu. Deux ans plus tard, un autre juge était désigné, puis deux autres, après mille péripéties judiciaires et d’ardus problèmes de prescription.

Le parquet, dans son réquisitoire du 4 septembre 2006, a finalement estimé que "l’information n’a pas permis d’établir que les remises de fonds effectués par les plaignants aient procédé de démarches frauduleuses". De même, "il ne peut être considéré que l’incitation à faire du sauna, prendre des vitamines et courir pour se "purifier" constitue un délit d’exercice illégal de la médecine."

Le parquet réclame ainsi un non-lieu général. "Je ne suis pas très inquiet, indique Me Olivier Morice, l’un des avocats des plaignants, on verra ce que décide la chambre de l’instruction. Et il y a beaucoup d’autres procédures où la scientologie est sévèrement mise en cause." Me Alexis Gublin, défenseur de la plupart des mis en cause, ne souhaite pas faire de commentaires. Juan Esteban Cordero, lui, ne saura pas le mot de la fin : il s’est noyé en 1993 dans une rivière en crue en Equateur.

Franck Johannes


Avec la scientologie, la justice tient du miracle

par Serge Faubert, bakchich.info, le 15 janvier 2008

La plus longue instruction de l’histoire judiciaire française - 25 ans- se conclut par un non-lieu. « Bakchich » raconte ses péripéties : pièces du dossier mystérieusement disparues, valse des juges d’instruction, avocat oublié…

Qui a dit que la scientologie ne réalisait pas de miracles ? Au terme de 25 années d’instruction – oui, vous avez bien lu, un quart de siècle, ce qui en fait la plus longue instruction de l’histoire judiciaire française ! - une vingtaine de membres de la secte, poursuivis pour « escroquerie et exercice illégal de la médecine » ont bénéficié, en octobre 2007, d’une très discrète ordonnance de non-lieu rendue par un juge parisien. L’épilogue – provisoire - d’une affaire abracadabrantesque, comme diraient Rimbaud et Chirac.

Il y a dix ans, ce dossier avait fait les gros titres des médias. Parce que, déjà, l’instruction s’étirait en longueur, bien sûr. Mais aussi parce que l’affaire venait de connaître un incroyable rebondissement.

Reprenons le fil. Nous sommes en 1998 à Paris. Nicolay Fakiroff, avocat d’une des victimes de la secte, s’inquiète de l’inertie du dossier auprès du juge d’instruction, Marie-Paule Moracchini. Quinze ans se sont déjà écoulés depuis la première plainte…

Stupeur : à la faveur des diligences de l’avocat, on constate qu’une partie du dossier d’instruction a disparu. Un tome et demi s’est volatilisé, peut-être dans le cabinet du juge, peut-être dans les couloirs du Palais de justice de Paris. Qu’à cela ne tienne, il y a certainement des copies. Non !

Contrairement à la règle et à l’usage, Marie-Paule Moracchini n’a pas photocopié les pièces. Gênant, très gênant. Car, il devient impossible de déterminer si l’instruction tombe sous le coup de la prescription. En clair, est-on encore dans les délais légaux pour poursuivre les membres de la secte ?

Bien évidemment, les avocats de la scientologie s’empressent de répondre par la négative. Et les conseils des victimes soutiennent la position inverse. Saisis par le Garde des Sceaux, Elisabeth Guigou, les services de l’inspection judiciaire concluent à une « soustraction frauduleuse ». Le Parquet de Paris ouvre une information judiciaire qui ne donnera aucun résultat.

Marie-Paule Moracchini, elle, comparaît quelques mois plus tard devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Malgré les dysfonctionnements constatés dans la conduite de l’instruction, elle ne fait l’objet d’aucune sanction. Estimant que la farce a assez duré, deux des plaignants saisissent le tribunal correctionnel de Paris. Ils obtiendront 3000 euros de dommages et intérêts en janvier 2000.

Les scientologues entreprennent, eux aussi, de poursuivre l’Etat pour « faute lourde ». Les dysfonctionnements de la justice ont empêché qu’ils soient jugés dans un délai raisonnable, plaident leurs avocats. La justice va se montrer plus généreuse avec la secte qu’avec ses victimes : en 2005, l’Etat est condamné à verser 109 400 euros aux scientologues poursuivis. Fin du premier acte. On se dit alors que l’Etat va se montrer plus vigilant. Après deux ans d’échanges devant la chambre d’instruction à propos de la prescription, le dossier est confié en 2000 au juge Philippe Courroye, une pointure des affaires politico-financières.

L’espoir est de courte durée. Quelques mois plus tard, un troisième juge prend le relais. Bientôt remplacé par un quatrième juge, Jean-Christophe Hullin. Le dossier d’instruction n’est plus qu’une peau de chagrin. Certaines parties civiles se sont désistées, d’autre sont décédées. Va-t-on enfin renvoyer l’affaire devant un tribunal ?

Nous sommes en février 2006. L’infatigable Fakiroff n’a jamais cessé de rendre visite aux différents magistrats instructeurs en charge de l’affaire. Aussi, quelle n’est pas sa surprise quand le juge Hullin lui affirme ne pas retrouver sa trace dans le dossier. Cela ne fait que 17 ans qu’il est régulièrement constitué dans la procédure ! Après les pièces de l’instruction, c’est maintenant l’avocat des parties civiles qu’on a égaré. Là encore, aucune explication ne sera apportée à cette manifestation surnaturelle.

Morphée s’abat à nouveau sur l’instruction. L’avocat Fakiroff, qui, dans l’intervalle, a réussi à réintégrer le dossier, relance le juge Hullin à l’automne 2007. Un électrochoc apparemment fatal. Car, dans les jours qui suivent, le magistrat rend une ordonnance de non-lieu, dont les attendus ont de quoi réjouir tous les scientologues de France. Le juge considère que la sincérité manifestée par les adeptes de la scientologie dans leurs convictions les exonère de toute responsabilité : «  S’agissant des personnes mise en examen qui ont été les interlocuteurs des plaignants, écrit le magistrat dans ses réquisitions, l’information n’a pas permis de mettre en évidence qu’elles aient frauduleusement opéré des manœuvres ou extorqué des fonds , dans la mesure où elles-mêmes apparaissent avoir été convaincues de l’efficacité des prestations proposées et animées d’une foi authentique dans leurs démarches ». Inutile de continuer à leur chercher des poux dans la tête. Le 12 octobre 2007, le Parquet de Paris entérine le non-lieu.

Fin de l’histoire ? Pas vraiment. Nicolay Fakiroff a fait appel de la décision devant la chambre d’instruction. Mais la date de l’audience n’est pas encore fixée…

A quelque chose, malheur est bon. On s’est longtemps demandé pourquoi, entre autres curiosités, l’Eglise de scientologie a pour habitude de faire signer à ses adeptes les plus chevronnés un contrat d’engagement dans la secte d’un milliard d’années. Avec cette instruction, la réponse devient évidente…

Serge Faubert

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