la cour d’appel de Nancy « interprète strictement la loi  »


article de la rubrique justice - police > justice
date de publication : dimanche 18 décembre 2005
version imprimable : imprimer


Certes, la lettre de la loi était contraire à ce que voulait le législateur [1].

L’application stricte du texte aurait été favorable à un détenu, les magistrats ont donc argué de l’erreur du législateur.
Et nous qui attendions un peu d’ “humanité”...

Posons néanmoins la question : « Comment se seraient-ils prononcés dans le cas inverse ?  », et relisons Oswald Baudot.


DOSSIER N° 2005/00740

ARRET N° 
du 15 Décembre 2005

N. H.

Requête article R 721 du CPP

COUR D’APPEL DE NANCY - CHAMBRE DE L’INSTRUCTION

ARRET DU 15 Décembre 2005
REJET

L’an deux mil cinq et le quinze décembre,

La Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de NANCY, réunie en Chambre du Conseil, au Palais de Justice, a rendu l’arrêt suivant :

N. H.
Né le... ... à ... ...
de H. H. et de A. B.

Détenu au Centre de détention de M.

NON COMPARANT - NON REPRESENTE - sans avocat

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré et de l’arrêt :

Monsieur STRAEHLI, Président de la Chambre de l’Instruction, désigné par décret du 20 février 1997,
Monsieur RUFF, Conseiller assesseur titulaire et Monsieur JOBERT, Conseiller assesseur titulaire,
tous trois désignés en application des dispositions de l’article 191 du Code de Procédure Pénale,
_ Madame SONREL, Avocat Général, lors des débats et du prononcé de l’arrêt, occupant le siège du Ministère Public,
_ Monsieur TOUVET, Greffier lors des débats et Madame LEPRIEUR, Greffier lors du prononcé de l’arrêt.

RAPPEL DE LA PROCEDURE :

Vu la requête en difficulté d’exécution présentée le 01 Novembre 2005 par N. H.,
Vu les réquisitions du Procureur Général en date du 23 Novembre 2005,
Vu les autres pièces du dossier,

DEBATS :

A l’audience, en Chambre du Conseil, du 24 Novembre 2005, ont été entendus :

Monsieur STRAEHLI, Président de la Chambre de l’Instruction, en son rapport,
Le Ministère Public en ses réquisitions,

Les débats étant clos, la Chambre de l’Instruction, a mis l’affaire en délibéré et le Président a annoncé que l’arrêt serait rendu le 15 Décembre 2005 .

Advenue l’audience dudit jour, la Chambre de l’Instruction, après en avoir délibéré conformément aux dispositions de l’article 200 du code de procédure pénale, a rendu l’arrêt suivant :

EN LA FORME :

Attendu que la requête régulière en la forme est recevable ;
Attendu que les dispositions de l’article 197 du code de procédure pénale ont été observées ;

AU FOND :

N. H., actuellement détenu au Centre de Détention de M. pour l’exécution d’une peine de quinze ans de réclusion criminelle prononcée le 2 octobre 2002 par la cour d’assises de Meurthe-et-Moselle pour meurtre et d’une peine d’un an d’emprisonnement prononcée le 29 juillet 2004 par la cour d’appel de Nancy pour violences volontaires aggravées, port d’arme prohibée, a saisi la chambre de l’instruction sur le fondement de l’article 710 du code de procédure pénale, aux fins de voir statuer sur la difficulté d’exécution résultant de l’application de l’article 721 du code de procédure pénale concernant le calcul du crédit de réduction de peine dont il doit bénéficier.

Ce texte est en effet ainsi rédigé : “Chaque condamné bénéficie d’un crédit de réduction de peine calculé sur la durée de la condamnation prononcée à hauteur de trois mois pour la première année, de deux mois pour les années suivantes et de sept jours par mois”.

En application de ce texte, N. H. s’est vu attribuer un crédit de réduction de peine calculé sur la période du 3 juin 2004 au 24 septembre 2013 d’un montant d’un an, sept mois et 21 jours, le rendant libérable, en l’état de sa situation pénale et après un retrait de 80 jours décidé par le juge de l’application des peines, le 22 janvier 2012. Cette décision lui a été régulièrement notifiée le 14 janvier 2005.

L’intéressé conteste ce calcul, estimant qu’il aurait du bénéficier, en application de l’article 721 du code de procédure pénale d’une réduction de peine supplémentaire de sept jours par mois, en plus des trois mois pour la première année et deux mois pour les années suivantes.

Il a saisi le procureur de la République de Verdun, compétent en vertu de l’article D115 du code de procédure pénale d’une requête en ce sens qui a été rejetée par décision du 24 octobre 2005.

Le Procureur Général requiert le rejet de la requête.

Il constate que le texte de l’article 721 du code de procédure pénale pose effectivement une difficulté d’interprétation qui est de la compétence, s’agissant d’une condamnation criminelle, de la chambre de l’instruction. La difficulté provient de la disparition, au cours des débats parlementaires, après “...de sept jours par mois”, des termes “pour une durée d’incarcération moindre”.

Il rappelle que l’article 721 du code de procédure pénale issu de la loi du 9 mars 2004 reprend les principes posés par les dispositions antérieures notamment quant au quantum de réduction de peine octroyé en fonction du quantum de peine prononcée ou du reliquat de peine restant à effectuer, en l’espèce trois ou deux mois par année pleine de détention restant à subir et sept jours par mois pour une durée de détention inférieure à une année entière.

Par ailleurs, il est constant que l’article 721-1 du code de procédure pénale, bien que modifié en ce qui concerne le quantum de réductions supplémentaires de peine a maintenu la distinction entre les droits ouverts par année (trois mois ou deux mois) ou par mois (sept jours ou quatre jours). Dès lors, selon le Procureur Général, il semblerait spécieux de considérer que le législateur ait voulu introduire entre les réductions de peines et les réductions de peines supplémentaires un mode de calcul différent. La volonté du législateur, telle qu’exprimée dans les débats parlementaires va d’ailleurs clairement en ce sens.

Cette interprétation est en outre implicitement confirmée, selon lui, par l’article D115-1 du code de procédure pénale qui dispose que “lorsque la peine prononcée est supérieure à un an, le total du crédit de réduction de peine correspondant aux mois excédant la première année d’emprisonnement ou la ou les années d’emprisonnement qui suivent ne peut dépasser deux mois”.

Au surplus, selon le Procureur Général, l’interprétation proposée par le requérant peut entraîner une conséquence dangereuse pour les condamnés à une peine inférieure à un an. En effet, la suppression de la formule “pour une durée moindre d’incarcération” dans l’article 721 du code de procédure pénale impliquerait que des réductions de peine ne peuvent pas être octroyées lorsque la peine ne dépasse pas une année ce qui, à l’évidence, n’était pas la volonté du législateur.

MOTIFS DE L’ARRET

La chambre de l’instruction est compétente en application de l’article 710 du code de procédure pénale.

Le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale interdit au juge de substituer au sens clair que comporte la lettre d’un texte de loi sa propre interprétation. A l’inverse, ce n’est que lorsque la loi reste pour lui, malgré tous ses efforts d’analyse, définitivement obscure, que le juge, qui ne peut se soustraire à son obligation de juger, doit statuer dans le sens le plus favorable à la personne concernée. Entre ces deux cas de figure, il appartient au juge pénal, en présence d’un texte de loi qui peut recevoir des interprétations différentes, de rechercher la volonté du législateur s’il peut la déduire avec certitude, non de textes réglementaires ultérieurs, mais des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi, notamment en ce qui concerne la finalité de celle-ci, et du soutien de la raison lorsqu’elle lui permet de vérifier que l’une des interprétations possibles de la loi peut conduire à une application manifestement contraire à son esprit et doit être écartée.

Dans le cas présent, contrairement à ce que soutient N. H., il ne découle pas nécessairement de la lettre de l’article 721 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 9 mars 2004, que le condamné doive bénéficier, pour les peines exprimées en années pleines, en plus du crédit de réduction de peine calculé sur cette base, d’un crédit supplémentaire de 7 jours afférent à chacun des mois de cette même période.

Une telle interprétation est soutenue à partir de la suppression, dans la rédaction actuelle de l’article 721, des mots « pour une durée d’incarcération moindre » qui, dans la rédaction antérieure, par leur précision, permettaient de distinguer, sans le moindre effort d’interprétation, deux régimes de réduction de la peine selon que celle-ci était exprimée en années ou en fraction d’année. Dans cette rédaction, la conjonction de coordination et qui, dans la langue française, sert à opérer une addition ou à exprimer un rapprochement, un lien entre deux parties, avait, sans possibilité de doute, ce deuxième sens. Il est incontestable que la suppression dans la lettre du texte des mots susvisés a amoindri sa précision.

La question est de savoir si l’on doit en déduire nécessairement que la conjonction de coordination et, déjà présente dans le texte antérieur, aurait désormais pris un nouveau sens, à savoir celui d’une addition.

Il ressort des débats parlementaires que l’Assemblée Nationale a inséré dans le projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, à l’initiative du rapporteur de la commission des lois, une nouvelle rédaction de l’article 721 du code de procédure pénale dont la finalité était de substituer au régime de réduction de peine pour bonne conduite un crédit de réduction de peine pouvant être remis en cause en cas de mauvaise conduite du condamné. Dans une première rédaction, le texte prévoyait un crédit de réduction de peine de « trois mois pour la première année, deux mois pour les années suivantes, sept jours par mois pour les condamnations inférieures à un an et cinq par mois au moins pour les autres condamnations ». Il ressort des débats menés au Sénat que la commission des lois de celui-ci a proposé une réécriture de ce texte afin de ne pas « modifier les règles relatives aux durées de réduction de peine » qui peuvent être accordées.

L’amendement n° 220, présenté par Monsieur ZOCCHETTO, au nom de la commission des lois du Sénat, a proposé de rédiger ainsi l’article 721 : « Chaque condamné bénéficie d’un crédit de réduction de peine calculé sur la durée de la condamnation prononcée à hauteur de trois mois par année et de sept jours par mois ». C’est à ce moment des travaux du législateur que la précision « pour une durée d’incarcération moindre » a disparu, sans qu’à aucun moment n’ait été débattue ni même envisagée dans les travaux la possibilité, pour les peines prononcées en années, d’un cumul entre le crédit de réduction de peine afférent à chaque année et celui afférent à chaque mois. Approuvé par le Gouvernement en la personne de Monsieur BEDIER, Secrétaire d’Etat, puis modifié à nouveau jusqu’à sa rédaction finale dans laquelle ont été distingués le crédit afférent à la première année de détention et celui afférent à chacune des années suivantes, ce texte n’a pas davantage par la suite été accompagné d’une quelconque discussion laissant à penser que le législateur aurait substitué au sens d’un rapprochement entre des parties qu’avait la conjonction de coordination et dans l’article 721 du code de procédure pénale antérieur à la loi du 9 mars 2004 celui d’une addition.

Au surplus, l’interprétation dans le sens d’un cumul proposée par le requérant aboutirait, dans certaines hypothèses, à un résultat manifestement contraire à l’intention clairement exprimée par le législateur dans les débats ayant précédé l’adoption de la loi, de distinguer les condamnés entre eux, pour l’attribution d’une réduction de peine, selon le seul critère du mérite. En effet, à titre d’exemple, en suivant l’analyse du texte proposée par le requérant, à mérite égal et par le seul effet automatique de la loi, une personne condamnée à dix mois d’emprisonnement, qui bénéficie d’un crédit de réduction de peine de sept jours par mois, sera libérée après 235 jours de détention et une personne condamnée un an d’emprisonnement, qui bénéficie d’un crédit de réduction de peine de trois mois serait libérée, non après 275 jours de détention, mais, par l’effet du cumul revendiqué, après 191 jours seulement.

En conséquence, il est permis d’interpréter strictement la loi de la manière suivante : le crédit de réduction de peine de sept jours par mois ne bénéficie, d’une part, qu’aux personnes condamnées à une peine formulée en mois et non en années et, d’autre part, pour la fraction de la peine formulée en mois, qu’aux personnes condamnées à des peines dont une partie, excédant la durée exprimée en années, est formulée en mois.

La demande présentée par N. H. est mal fondée et doit être rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La Chambre de l’Instruction,

En la forme, déclare recevable la requête en difficulté d’exécution présentée par N. H..

La dit mal fondée et la rejette.

Dit que le présent arrêt sera exécuté à la diligence de Monsieur le Procureur Général.

Le présent arrêt a été lu et prononcé en Chambre du Conseil, à l’audience du 15 Décembre 2005, par Monsieur STRAEHLI, Président de la Chambre de l’Instruction, ayant participé aux débats et au délibéré, conformément aux dispositions de l’article 199 du code de procédure pénale.

Monsieur STRAEHLI, Président et Madame LEPRIEUR, Greffier ont signé la minute du présent arrêt après lecture faite.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,

Notes

[1La preuve en est que le Parlement a, à l’occasion de l’adoption de la loi sur le récidive, corrigé la rédaction de l’article 721 du CPP qui devient

Chaque condamné bénéficie d’un crédit de réduction de peine calculé sur la durée de la condamnation prononcée à hauteur de trois mois pour la première année, de deux mois pour les années suivantes et, pour une peine de moins d’un an ou pour la partie de peine inférieure à une année pleine, de sept jours par mois . référence : JO du 13 12 2005


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP