A l’université d’été du Medef, Nicolas Sarkozy a demandé la dépénalisation du droit des affaires :
« La pénalisation de notre droit des affaires est une grave erreur. Comment faire un calcul économique quand on ne sait pas à l’avance comment la réglementation va s’appliquer, quand on ne sait pas ce qu’on peut raisonnablement attendre des juges [...] quand le risque financier lié à l’incertitude juridique se double de plus en plus d’un risque pénal ? »
Exit l’abus de biens sociaux ? Exit le délit d’initié ? Si la chancellerie avance un simple "toilettage", une "modernisation" du droit français [1], les syndicats de magistrats sont très inquiets.
Comment ne pas rapprocher cette tolérance maximale à l’égard de la délinquance en col blanc de la politique de plus en plus répressive envers les actes de délinquance commune [2] ?
Conformément aux souhaits de Nicolas Sarkozy, le ministère de la Justice prépare des projets de loi qui limiteront les sanctions pénales dans le domaine des affaires et interdiront l’utilisation de lettres anonymes.
Ces projets inquiètent les syndicats de magistrats.
Le cabinet de Rachida Dati dit qu’il s’agit de moderniser le droit français pour faciliter la vie des entreprises, mais les deux principaux de magistrats disent craindre un "cadeau" législatif aux dirigeants de sociétés destiné à mettre un coup d’arrêt aux "affaires".
"Nous travaillons dans les directions fixées par le président. L’idée est d’aider la vie quotidienne des entreprises, mais tout ne peut pas être dépénalisé. Il n’est absolument pas question de faire une justice à deux vitesses, il s’agit de moderniser le droit des affaires", a déclaré le porte-parole du ministère de la Justice, Guillaume Didier.
Les textes supprimeraient diverses infractions pour privilégier "d’autres modes de régulation de la vie économique", comme la justice civile, qui règle les conflits entre personnes morales et décide d’éventuelles indemnisations.
Le porte-parole a cité comme exemple l’infraction visant une tenue irrégulière du registre des délibérations de conseil d’administration.
Il a dit ignorer si le délit d’"abus de biens sociaux", qui vise le détournement des fonds des sociétés, serait ou non réformé. Cette incrimination a été largement utilisée depuis les années 80, notamment pour sanctionner la corruption.
Les sociétés déplorent que ses règles de prescription complexes permettent aux juges d’enquêter sur des faits anciens et ils réclament de longue date une réforme.
SYNDICATS INQUIETS
Le Syndicat de la magistrature, classé à gauche, a estimé que le président de la République "avait choisi le camp des patrons indélicats alors qu’il (durcissait) sans cesse son propos et la législation contre les plus faibles".
L’Union syndicale de la magistrature (USM, majoritaire) a rappelé de son côté que les sanctions pénales françaises contre la délinquance financière étaient très faibles au regard des Etats-Unis.
L’ancien directeur général du courtier en énergie Enron, au centre d’un retentissant scandale, a ainsi été condamné à 24 ans de prison en 2006. Les peines de prison ferme frappant des chefs d’entreprise sont rarissimes en France.
Le ministère travaille aussi sur l’interdiction d’utiliser les lettres anonymes comme fondement à une enquête pénale, notamment en matière financière, a confirmé Guillaume Didier. [...]
Un projet de loi sur les lettres anonymes en préparation
Le Monde (avec Reuters), 31 août 2007Conformément aux souhaits du chef de l’Etat, le ministère de la Justice travaille sur un projet de loi qui visera à interdire l’ouverture d’une enquête pénale sur le fondement d’une lettre anonyme, déclare-t-on au cabinet de Rachida Dati.
"Nous travaillons sur le sujet, mais il faudra encore affiner la réflexion. Ce travail devrait déboucher sur une projet de loi rapidement", a expliqué le porte-parole du ministère, Guillaume Didier.
L’Union syndicale de la magistrature (USM, majoritaire) et le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) n’ont pas souhaité réagir, le contenu exact du projet n’étant pas connu, mais se disent sceptiques. Ils pensent que l’utilisation d’une lettre anonyme, dans certaines conditions, peut aider la justice.
S’exprimant devant l’université d’été du Medef, le syndicat patronal, Nicolas Sarkozy a annoncé jeudi son intention sur ce sujet, indiquant ainsi implicitement que le projet visait surtout les affaires économiques et financières.
"J’ai demandé à la Garde des sceaux Rachida Dati d’interdire la pratique des dénonciations anonymes (...) A quoi sert d’expliquer à nos enfants que Vichy et la collaboration, c’est une page sombre de notre histoire et de tolérer des contrôles fiscaux sur dénonciation anonyme ou des enquêtes sur dénonciation anonyme", a dit le chef de l’Etat.
Nicolas Sarkozy a connu l’expérience d’une enquête pénale déclenchée en 2004 sur lui-même et d’autres personnes après la remise à la justice sous forme de lettres anonymes de listings de la société financière luxembourgeoise Clearstream.
L’enquête a démontré qu’il s’agissait de faux et l’a blanchi en 2005. Son ex-rival à droite et ex-Premier ministre Dominique de Villepin est mis en examen comme instigateur présumé des courriers présentés comme anonymes et versés au dossier.
De nombreuses instructions financières ont commencé ou se sont développées par des lettres anonymes, comme l’affaire Elf, qui a abouti à de lourdes peines de prison pour les principaux dirigeants de la société pétrolière française en 1989-1993.
C’est le cas notamment pour la partie de cette affaire ayant visé l’ex-ministre socialiste Roland Dumas, finalement relaxé.
"Il y a un certain nombre de procédures, notamment économiques et financières, qui voient le jour après de telles lettres. Les gens ne veulent pas forcément nuire ou agir de manière calomnieuse. Ils agissent souvent comme cela car ils risqueraient quelque chose s’ils agissaient tout de suite au grand jour", a dit Emmanuelle Perreux, présidente du SM.
"Qu’est ce qui compte ? Qu’il y ait moins de poursuites possibles en matière économique et financière ? Si c’est cela, il faut le dire. On n’incarcère jamais les gens sur le seul fondement de lettres anonymes, il faut que les faits soient vérifiés et corroborés", a déclaré Laurent Bedouet, secrétaire général de l’USM.
La possibilité de témoignage anonyme, "sous X", existe dans la procédure française depuis la loi Perben de 2002, mais elle est relativement peu utilisée, car critiquée et non exempte de risques pour le témoin. La lettre anonyme n’a pas en revanche de statut précis dans les règles pénales françaises.
Voici comment Eric Alt, vice-président du syndicat de la magistrature, introduisait sa contribution à L’Autre campagne, « Traiter la délinquance financière comme une délinquance à part entière :
« Dans le silence assourdissant du débat public, la criminalité économique et financière prospère. Le populisme pénal, habilement entretenu par l’ordre établi, se satisfait d’une tolérance zéro appliquée à la petite délinquance. »
Quant à l’ex-juge Eva Joly, elle compare Nicolas Sarkozy à Silvio Berlusconi :
[Reuters 04.09.07] — L’ancienne juge d’instruction Eva Joly critique violemment les projets de Nicolas Sarkozy de “dépénaliser” la vie économique et d’interdire dans ce domaine l’ouverture d’enquêtes pénales sur le fondement de lettres anonymes. « Les méthodes qu’il suggère sont celles de M. Berlusconi. Pour moi, c’est un extraordinaire et étrange choix que de choisir de soutenir les délinquants contre les victimes », a-t-elle dit dans un entretien diffusé sur France Info.
[2] Une différence de traitement (laxiste d’un côté, répressif de l’autre) que corroborent bien d’autres exemples : l’absence de tout article contre les délits en "col blanc" dans la loi sur la prévention de la délinquance de 2007, l’absence des délinquants financiers du fichier des empreintes génétiques — Fnaeg.