Michèle Plasse-Bauer n’a toujours pas renoué de lien avec ses enfants dont elle est séparée depuis 1993, après un divorce conflictuel, mais elle estime, aujourd’hui, qu’elle est enfin « réhabilitée » en tant que mère. Après des années de procédures, d’humiliations en tous genres, après avoir été traitée de « folle », de « mystique », menacée des pires sanctions, cette Toulonnaise accueille l’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme - qui reconnaît son préjudice moral - comme l’ultime reconnaissance de ses souffrances.
En 2001, Me Christine Ravaz, avocate au barreau de Toulon, qui défend les intérêts de, cette mère brisée, a déposé une requête auprès de la Cour, à Strasbourg, portant sur la non-application d’un jugement prononcé en 1995 : « Ce jugement permettait à Mme Plasse-Bauer d’exercer son droit de visite sur sa plus jeune fille dans les locaux d’une association à Aix-en-Provence. Cette ordonnance était confirmée en 1997, mais n’a jamais été respectée, ce qui a entraîné une rupture totale des liens entre la mère et l’enfant. »
Préjudice moral et matériel
Son ex-mari, officier dans l’armée de l’Air, qui avait pris l’initiative de partir avec ses quatre enfants, a été relaxé en 2000 lorsqu’il a comparu devant le tribunal correctionnel d’Aix du chef de non-représentation d’enfant, au motif que « le personnel du point rencontre n’était pas suffisamment compétent. »
A l’unanimité, la Cour européenne des Droits de l’Homme, dans un arrêt rendu le 28 février 2006, « dit qu’il y a eu violation de l’article 6 de la
Convention, en raison de l’inexécution de l’arrêt de la cour d’appel du 4 février 1997, concernant les modalités du droit de visite accordé à la requérante..., l’État doit verser 3000 € pour dommage moral et 4 000 € pour les frais et dépens. »
Cette décision prend un relief particulier quand on sait qu’en 2005, 26 853 requêtes, émanant de tous les pays du continent européen, ont été déclarées irrecevables et 1000, seulement, déclarées recevables. Pour la France, 51 violations des droits ont été reconnues, sur 60 affaires traitées.
« Dans le cas de Michèle Plasse-Bauer, cet arrêt est déjà, en soi, une réparation (voir l’arrêt ci-dessous). Il arrive après l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui, en novembre 2005, avait également reconnu le préjudice subi par la mère. Aujourd’hui, cette mère veut simplement reconstruire ce qui a été détruit : la plus jeune de ses filles avait 6 ans lorsqu’elle est partie. Elle a été élevée dans l’idée que sa mère était dangereuse, puis qu’elle était morte. Il s’agit d’une aliénation parentale, d’une diabolisation de la mère, pour l’éliminer de l’univers de ses enfants. Le syndrome d’aliénation mentale est aujourd’hui reconnu par tous les experts. »
Michèle Plasse-Bauer, qui a été reçue par le préfet du Var, il y a quelques jours, demande toujours à savoir où se trouve la plus jeune de ses filles et dans quelles conditions elle vit. Son ex-mari est actuellement installé à Cayenne. Et pour que ses enfants, et ses petits-enfants, qu’elle ne connaît pas, sachent un jour ce que fut son combat, Michèle écrit chaque jour son histoire, qui ne comporte toujours pas le mot « fin »...
LE DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a été instituée en 1959. Elle assure le respect des droits fondamentaux des individus, et les Etats mis en cause dans ces procédures ont l’obligation de modifier leur législation. Les articles principaux portent sur le droit à la vie (article 2), l’interdiction de la torture (article 3), la liberté d’expression (article 10)...
Mme Michèle Plasse-Bauer a bénéficié de l’article 6, qui donne droit « à un procès équitable et impartial ». L’arrêt vise également le mauvais fonctionnement de certains « points de rencontre ».
Le recours devant cette Cour européenne se fait en général quand toutes les procédures ont été épuisées dans le pays d’origine, et au plus tard, 6 mois après la dernière décision de la Cassation.
Communiqué de presse du Greffier de la Cour européenne -
108(2006) - du 28.2.2006
Plasse-Bauer c. France (no 21324/02)
Violation de l’article 6 § 1 (équité)
La requérante, Michelle Plasse-Bauer, est une ressortissante française née en 1948 et résidant à Montréal (Canada). Elle est la mère de quatre enfants nés de son mariage avec M.O.
Le mari de la requérante, qui demanda le divorce en 1993, se vit provisoirement confier l’autorité parentale sur les enfants ; la requérante ne se vit pas accorder de droit de visite et d’hébergement en raison notamment de son impossibilité, médicalement constatée, à assurer la charge des enfants.
Le 4 février 1997, la cour d’appel d’Orléans prononça le divorce aux torts partagés des époux. La cour confia l’autorité parentale au père des deux enfants encore mineurs et accorda à la requérante un droit de visite médiatisé, à savoir, dans un point rencontre, en l’occurrence l’association « La Recampado » à Aix-en-Provence, et en présence d’un tiers, les premier et troisième samedis du mois de 14 heures à 17 heures.
La requérante ne rencontra qu’une seule fois sa plus jeune fille le 18 octobre 1997, dans des conditions difficiles, l’enfant refusant toute communication avec sa mère. A la suite de cet incident, le père de l’enfant refusa de l’emmener au point de rencontre. Saisi en référé par Mme Plasse-Bauer, le juge aux affaires familiales d’Aix‑en‑Provence suspendit son droit de visite le 13 mars 1998, en raison de l’impossibilité matérielle pour l’association de faire en sorte qu’un tiers soit présent lors de l’exercice par la requérante de son droit de visite.
A plusieurs reprises, la requérante porta plainte contre son ex-époux pour non-représentation d’enfants. Ce dernier fut relaxé le 14 novembre 2000.
La requérante se plaignait de l’inexécution de l’arrêt lui ayant accordé un droit de visite à l’égard de sa fille mineure. Elle invoquait les articles 6 § 1 (droit à un procès équitable) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
La Cour européenne des Droits de l’Homme admet que le comportement de la requérante n’a pas facilité la tâche des travailleurs sociaux. Cependant, bien que son comportement avec sa fille ait pu paraître contestable lors de la seule visite, l’on ne saurait spéculer sur l’existence des chances pour la requérante de renouer un lien avec celle‑ci notamment si d’autres visites avaient pu être organisées selon les modalités prévues par l’arrêt du 4 février 1997. De plus, compte tenu de l’âge de l’enfant, à savoir 11 ans en 1997, et du contexte familial perturbé, l’écoulement du temps a pu avoir des effets négatifs sur la possibilité pour la requérante de renouer une relation avec sa fille.
Par ailleurs, la Cour estime que, dans la mesure où la cour d’appel a expressément désigné une association pour accueillir la requérante et sa fille pour l’exercice du droit de visite, les autorités avaient l’obligation de vérifier préalablement la possibilité pour cette association d’assurer les modalités du droit de visite prévues par l’arrêt, afin d’en permettre l’exécution. Or tel n’a pas été le cas. Dans ces conditions, la Cour conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 6 § 1 et estime qu’il n’était pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de l’article 8.
La Cour alloue à la requérante 3 000 euros (EUR) pour dommage moral et 4 000 pour frais et dépens.