Hubert Dujardin : "simple réprimande"


article de la rubrique justice - police > justice
date de publication : lundi 28 juin 2004
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Un déplacement d’office avait été requis contre le procureur adjoint d’Evry, dans l’Essonne.

Il s’estime victime "d’une politique de reprise en main des parquets".

Mais il convient qu’il n’a sûrement pas "une souplesse d’échine suffisante".


par Nathalie Guibert - Le Monde, 28 juin 2004

S’il devait toucher la nouvelle prime de rendement, il ferait sauter la banque. Hubert Dujardin, 61 ans dont trente-six de magistrature, est un travailleur infatigable, capable de régler la moitié des dossiers judiciaires de son tribunal dans une seule année. Procureur adjoint à Evry (Essonne) depuis 1993, ce professionnel hors norme a fait preuve, comme le disent les rapports de sa hiérarchie, de "si brillantes qualités intellectuelles" que "les affaires les plus délicates peuvent lui être confiées en toute confiance".

Quelle mouche a donc piqué le procureur général de la cour d’appel de Paris, Jean-Louis Nadal, qui a engagé contre lui, le 23 octobre 2003, sans aucun avertissement préalable, une procédure disciplinaire ? Vendredi 25 juin, devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), il est reproché à Hubert Dujardin plusieurs manquements à ses devoirs hiérarchiques et à la courtoisie. Pour les sanctionner, le directeur des services judiciaires de la chancellerie, Patrice Davost, a requis un retrait de ses fonctions, assorti d’un déplacement d’office.

M. Dujardin s’exprime d’une voix étouffée en raison d’une sévère surdité. Il veut croire qu’il n’est pas traduit devant ses pairs pour avoir, en 1996, lancé des poursuites contre l’épouse du maire de Paris, Xavière Tiberi, et ce, contre l’avis de son procureur, Laurent Davenas, alors en vacances dans l’Himalaya. L’affaire avait provoqué une panique au sommet de l’Etat. Le garde des sceaux, Jacques Toubon, avait dépêché un hélicoptère dans les montagnes pour faire revenir d’urgence le procureur. "Je ne fais pas de lien entre ces poursuites et les initiatives que j’ai prises en 1996", a expliqué M. Dujardin, après avoir réfuté "totalement" l’ensemble des griefs formulés contre lui.

"LA BARQUE EST PLEINE"

Le magistrat a dû attendre la fin 2001 pour être assuré qu’il ne ferait pas l’objet de poursuites disciplinaires pour l’hélicoptère. Fin 2002, les relations que M. Dujardin entretient avec son nouveau procureur, Jean-Michel Durand, se sont dégradées. On lui reproche ainsi d’avoir déposé son portable de service orné d’un Post-It dans le casier du procureur avec ce message : "Je n’assure plus les permanences hiérarchiques", assumées à tour de rôle par les responsables du parquet. A l’été 2003, M. Dujardin signale qu’il ne prendra pas d’audiences en juillet et en août. "Est-il normal que dans une collectivité, on sollicite toujours ceux qui travaillent le plus ?, s’est-il défendu vendredi. Il existe un moment où la barque est pleine et où on ne peut plus." Il refuse ensuite de se voir réattribuer une partie des fonctions hiérarchiques que M. Davenas lui avait retirées, en raison de sa charge de travail. Traduction du procureur général : "M. Dujardin veut définir seul son périmètre d’activité." A ces reproches s’ajoutent, selon la chancellerie, des refus de suivre les consignes dans deux dossiers. Dans l’un d’eux, Hubert Dujardin a choisi de requérir la mise en liberté d’un mis en examen. A l’occasion, il lui sera demandé de ne plus prendre de décision sans en référer à sa hiérarchie.

M. Dujardin estime avoir "toujours été loyal avec ses supérieurs, même avec M. Davenas", mais convient qu’il n’a sûrement pas "une souplesse d’échine suffisante". Au fond, s’inquiète-t-il, ces reproches sont surtout " une manifestation d’une politique de reprise en main des parquets". Or les membres du ministère public sont d’abord magistrats, et non fonctionnaires. Ils ont une clause de conscience et ne sont pas obligés de faire ce qui les choque.

Plusieurs témoins cités par le Syndicat de la magistrature (SM, gauche), auquel appartient le magistrat, sont venus défendre cette indépendance. Antonio Cluny, procureur général au Portugal, a insisté sur "la possibilité d’avoir une conscience critique de l’affaire en dehors de toutes les influences politiques et hiérarchiques". "De cette richesse dépendent nos libertés publiques, a estimé Dominique Barella, président de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire). On ne comprend pas bien ce qu’on reproche à M. Dujardin, sauf à dire qu’on souhaite en France un parquet préfectoralisé. Finalement, on lui reproche d’avoir fait décoller un hélicoptère en faisant son travail."

Pour son avocat, Me Antoine Comte, "il n’y a pas d’éléments objectifs dans l’acte de saisine du CSM". M. Dujardin, noué, a souhaité conclure par une anecdote. La scène se passe dans le bureau de Jean-François Pascal, l’actuel procureur d’Evry, lorsqu’il lui annonce les poursuites disciplinaires : "J’ai une mission délicate à accomplir", s’excuse-t-il. "Vous n’y êtes pas pour rien !", rétorque M. Dujardin. Et le procureur de répondre : "Il est vrai que j’ai mis la dernière couche."

Nathalie Guibert

P.-S.

Simple "réprimande" pour le procureur adjoint d’Evry

d’après Le Monde daté du 4 novembre 2004

Le ministre de la justice a pris son temps. Près de trois mois après l’avis rendu par le Conseil supérieur de la magistrature, Dominique Perben a choisi, comme le lui avait proposé le 16 juillet le CSM, d’infliger "la sanction de la réprimande", la plus légère prévue, à Hubert Dujardin, procureur adjoint du tribunal d’Evry (Essonne).

Ce magistrat de 61 ans au caractère bien trempé, traduit devant les instances disciplinaires par le procureur général de Paris, Jean-Louis Nadal, reste donc à son poste.


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