un rapport accablant sur le nombre des malades mentaux en prison


article de la rubrique prisons
date de publication : mercredi 8 décembre 2004
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Huit hommes incarcérés sur dix présentent une pathologie psychiatrique. La première étude épidémiologique sur la santé mentale en prison confirme ce que tous ceux qui travaillent en milieu carcéral dénoncent depuis longtemps.


La prison, un monde de détenus murés dans leur folie

par Dominique SIMONNOT [Libération, mercredi 08 décembre 2004]

En 1999, dans son rapport sur la prison, le Dr Pierre Pradier titrait « Maladie mentale ou le désastre psychiatrique ». La formule aurait pu resservir hier lorsque fut dévoilée l’étude
 [1] de deux psychiatres lors d’un colloque sur la santé en prison. Les chiffres sont clairs et recoupent ce que dénoncent depuis longtemps tous ceux qui travaillent en milieu carcéral.

Tendance. Première tendance alarmante, les prisons comptent 7 % de schizophrènes, soit sept fois plus que dans la population générale. Et 7 % des prisonniers souffrent de paranoïa et de psychose hallucinatoire chronique (PHC), là encore sept fois plus que dehors. « La schizophrénie est une maladie très grave, chronique, dont on peut amender les symptômes, mais que l’on ne guérit pas », explique un des auteurs de l’étude, le Dr Bruno Falissard. « Or ces personnes ne sont pas devenues schizophrènes en prison, poursuit-il, elles l’étaient avant. » C’est même leur maladie qui a entraîné l’acte délinquant. « Quand ils sont délirants, ils font des bêtises et comme ils n’ont pas les pieds sur terre, ils se font prendre », analyse encore le médecin. Quant aux paranoïaques et aux malades atteints de PHC, « ce sont des maladies graves, moins spectaculaires que la schizophrénie. Mais il faut penser à ce que peut donner la vie en prison pour des gens qui se pensent persécutés », ajoute Bruno Falissard.

Ce n’est pas tout. Car 40 % des détenus sont dépressifs, 33 % souffrent d’anxiété généralisée et 17 % d’agoraphobie. Là, ce serait plutôt le contraire, la prison entraînant les troubles, selon le psychiatre : « Il ne s’agit pas nécessairement de pathologies, ces troubles traduisent la souffrance de la prison. On y fait en effet le deuil de ses amours, de son travail, de ses amis et, entre le deuil et la dépression, il n’y a qu’une feuille de papier à cigarette. Et puis le contexte carcéral est évidemment anxiogène. »

Il y a de quoi. Des médecins inspecteurs de la Ddass ont décrit hier les conditions de vie par ces temps de surpopulation : « des détenus qui dorment par terre, à proximité des rats », « les trois douches hebdomadaires rarement respectées ». Et ce témoignage d’Isabelle Roustang, médecin à Fleury-Mérogis : « Depuis dix ans, les actes de violence n’ont fait que croître à Fleury, les agressions contre les surveillants ont doublé, les suicides augmentent de manière inquiétante, et encore ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Car, en seize ans, je n’avais pratiquement jamais vu de violences entre détenus, maintenant, c’est deux fois par nuit. » Un autre médecin : « Nous sommes souvent très surpris de voir des gens déclarés responsables alors que manifestement ils sont fous. »

Responsabilité. Voilà que se dessine une population bien mal en point, dont on se demande combien parmi eux ont leur place en prison et dont on aimerait savoir comment ils ont pu être jugés responsables de leurs actes.

A ces constats, plusieurs réponses. « S’ils sont incarcérés, explique le Pr Frédéric Rouillon, de la direction générale de la santé, coauteur de l’étude, c’est qu’ils n’ont pas été dépistés car ils sont livrés à eux-mêmes. » C’est toute la politique de psychiatrie qui est en question, comme l’ont souligné la plupart des intervenants au colloque. L’asile psychiatrique a disparu, des lits ont fermé massivement, la psychiatrie s’est ouverte sur la cité. Beaucoup de fous sont restés dans la rue « lorsque fut décidée la réduction des lits. Nous avions alors demandé l’ouverture de structures spécialisées, elles n’ont pas vu le jour », dénonce un membre de l’association de réinsertion Aurore.

Le Dr Gérard Dubret, psychiatre à la prison d’Osny renchérit : « La psychiatrie s’est ouverte, oui, et j’en suis fier, mais il y a un énorme problème d’offres de soins qui n’a pas suivi. » Plus grave, la plupart des malades mentaux ne sont même pas détectés en amont du jugement, « car l’immense majorité sont jugés en comparution immédiate et ne voient même pas d’experts. Et pour ceux qui sont examinés, les diagnostics d’irresponsabilité ont été divisés par dix en dix ans ». Pire, quand la maladie est détectée mais qu’elle ne suffit pas à « abolir le discernement » ­ ce qui aboutit à l’irresponsabilité ­, mais seulement à « l’altérer ». « Eh bien, les peines sont alourdies au lieu d’être allégées », conclut le Dr Dubret.

Tout ceci sans parler des 38 % de toxicomanes et des 33 % d’alcooliques à leur arrivée en cellule. Ni des 28 % ayant des antécédents de maltraitance, ou des 16 % ayant connu l’hospitalisation d’office en psychiatrie. Ni du risque suicidaire repéré pour 40 % des hommes détenus et 62 % des femmes incarcérées. C’est une vraie catastrophe.

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La majorité des détenus souffrent de troubles psychiques

par Cécile Prieur [Le Monde du mercredi / décembre 2004]

Selon la première étude épidémiologique sur la santé mentale en prison, huit hommes incarcérés sur dix présentent une pathologie psychiatrique. Pour près de 10% d’entre eux, il s’agirait d’une schizophrénie.

La statistique vient confirmer ce que le personnel pénitentiaire sait depuis des années : les prisons abritent désormais une majorité de personnes souffrant de troubles psychiques. La première étude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues, rendue publique mardi 7 décembre, estime que huit hommes détenus sur dix et plus de sept femmes détenues sur dix présentent au moins un trouble psychiatrique, la grande majorité en cumulant plusieurs. Ces chiffres impressionnants, à manier avec précaution étant donné la méthodologie de l’enquête, regroupent des pathologies aussi variées que les troubles anxieux (56 % des détenus en présenteraient au moins un), les troubles dépressifs (47 %), les dépendances aux substances illicites ou à l’alcool (34 %) et les troubles psychotiques (24 %).

Dévoilée à l’occasion d’un colloque sur la santé en prison, cette enquête a été menée conjointement par la direction générale de la santé (DGS) et l’administration pénitentiaire sous la direction du professeur Bruno Falissard, biostatisticien et épidémiologiste, et du professeur Frédéric Rouillon, psychiatre. Près d’un millier de personnes, détenues dans 23 établissements pénitentiaires et constituant un échantillon représentatif de la population carcérale, ont été interrogées entre juillet 2003 et septembre 2004.

Les entretiens ont été réalisés selon le Mini international neuropsychiatric interview (Mini), un questionnaire diagnostique standardisé, couplé à un entretien ouvert réalisé par un psychiatre. Centrée sur le repérage de symptômes et non de pathologies identifiées, cette méthodologie aboutit souvent à des prévalences plus élevées que l’observation clinique.

D’un âge moyen de 38 ans, les détenus interrogés étaient en majorité incarcérés pour des atteintes aux personnes, 55 % d’entre eux faisant l’objet d’une procédure criminelle. Ils présentaient tous des antécédents personnels difficiles : durant leur enfance, 42 % ont été séparés d’au moins un de leurs parents pendant plus de six mois, 34 % ont vécu le décès d’un proche et 28 % ont subi des maltraitances physiques, psychologiques ou sexuelles.

Ces difficultés n’ont pas attendu l’incarcération pour s’exprimer : avant leur entrée en prison, plus du tiers des détenus avaient déjà consulté et 16 % avaient déjà été hospitalisés pour raisons psychiatriques. 6 % d’entre eux avaient été suivis par le dispositif de lutte contre la toxicomanie et 8 % par celui de lutte contre l’alcoolisme.

RISQUE SUICIDAIRE

Des troubles souvent anciens, donc. Toutefois, le contact avec l’univers carcéral, très anxiogène, explique, en partie, qu’un détenu sur deux ait été repéré comme manifestant des troubles anxieux ou dépressifs. Parmi eux, 31 % souffriraient d’anxiété généralisée, une pathologie deux fois plus fréquente en maison d’arrêt et en centre de détention qu’en maison centrale. Au sein des personnes souffrant de troubles de l’humeur, l’enquête a identifié 39 % de détenus présentant des syndromes dépressifs, avec une proportion moindre en centre de détention.

Les conduites addictives, souvent à l’origine des comportements violents ayant entraîné l’incarcération, concernent un tiers de la population carcérale : un abus ou une dépendance à l’alcool ont ainsi été diagnostiqués chez 30 % des détenus incarcérés depuis moins de six mois et un abus ou une dépendance aux substances, chez 38 % d’entre eux. Enfin, l’étude a repéré un risque suicidaire pour 40 % des détenus, risque jugé élevé pour la moitié d’entre eux. Ces résultats sont cohérents avec le taux de suicides dans les prisons françaises, qui, avec 22,4 pour 10 000 détenus en 2002, reste le plus important d’Europe.

Les résultats de l’étude en matière de prévalence des troubles psychotiques sont plus surprenants. Signant la maladie mentale, la psychose se caractérise par une perte de contact avec la réalité, une désorganisation de la personnalité et une transformation délirante du vécu. Ce sont ces symptômes, qui peuvent s’exprimer parfois bruyamment, qui troublent le plus la vie en détention. Un détenu sur quatre (24 %) serait atteint de troubles psychotiques : 8 % présenteraient une schizophrénie, 8 % une psychose chronique non schizophrénique, 3 % une schizophrénie dysthymique (associée à des troubles de l’humeur) et 5 % une pathologie dont le type n’a pas été précisé par les enquêteurs.

Ces chiffres sont importants au regard des études par site qui évaluaient à 10 % environ le nombre de psychotiques parmi les détenus. Ils appuient ainsi l’idée que la prison serait devenue le refuge ultime des malades mentaux, palliant par l’enfermement la pénurie croissante de moyens dans le secteur psychiatrique.

Notes

[1Etude effectuée de juin 2003 à septembre 2004, portant sur 800 détenus interrogés et examinés.


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