la France championne d’Europe toutes catégories pour les suicides en prison


article de la rubrique prisons
date de publication : lundi 19 janvier 2009
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D’après des chiffres officiels, au cours de l’année 2008, 115 personnes se sont suicidées dans les prisons françaises. Et la situation ne s’annonce pas meilleure pour 2009 : au cours des quinze premiers jours de janvier, l’Observatoire international des prisons a dénombré 13 suicides.

Parmi les pays européens, c’est en France que le taux de suicide en prison est le plus élevé : 17 pour 10 000 détenus contre 6,7 pour 10 000 en Espagne, par exemple, ou encore 10,3 pour l’Allemagne [1].

La France est le premier Etat à avoir été condamné en octobre 2008 par la Cour européenne des droits de l’homme, pour atteinte au droit à la vie après le suicide d’un détenu en 2000.


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Le nouveau bâtiment des hommes à Fleury-Merogis, en octobre 2008. (Reuters)

« La plupart des personnes qui se suicident en prison étaient inconnues des
services psychiatriques. Parce que la principale cause des suicides, ce sont
les conditions de détention. Quand vous enfermez les gens dans des grottes,
quand vous les privez de lumière, quand les lettres au directeur ou aux
services sociaux n’arrivent pas ou n’ont pas de réponse, quand vous réservez
à une poignée d’élus les dispositifs de réinsertion, quand les gens ont peur
d’aller en promenade, qu’attendre d’autre ? »

Betty Brahmy, psychiatre [2]

Un détenu se suicide à Draguignan

par F. B., Var-Matin le 24 décembre 2008

Un homme d’une quarantaine d’années, sur le point d’être remis en liberté, a été découvert pendu dans sa cellule du centre pénitentiaire de Draguignan.

En effectuant leur ronde, hier matin vers 5 h 30, les surveillants du centre pénitentiaire de Draguignan ont découvert un détenu pendu dans sa cellule. Il s’agit de Francesco N., un homme d’une quarantaine d’années, qui purgeait une peine de 14 ans pour viol aggravé, un crime qu’il avait commis dans le Var. Il devait sortir de prison au mois de juin prochain.
Cet homme n’était pas particulièrement surveillé, son état ne présentant pas de signe dépressif particulier. Bref, rien ne pouvait laisser penser qu’il pourrait attenter à ses jours, a-t-on appris de source carcérale.

Le parquet ouvre une enquête

Pourtant, en cette période de fêtes, ces hommes et femmes incarcérés depuis longtemps craquent sans que quiconque puissent déceler leur détresse.
Le parquet de Draguignan a ouvert une enquête, et va demander une autopsie afin de déterminer les circonstances exactes de ce suicide.
C’est le premier acte irrémédiable qui se produit dans le centre pénitentiaire de Draguignan depuis le début de l’année. Un centre où l’on a toutefois déjà enregistré de nombreuses tentatives de suicides. Il y a deux mois, deux détenus avaient tenté de se pendre en l’espace de quelques heures.

F.B.

Condamnation de la France par la Cour européenne après le suicide d’un détenu

Joselito Renolde est décédé en juillet 2000 après s’être pendu dans sa cellule à la prison de Bois-d’Arcy où il était en détention provisoire. Sa soeur allègue que les autorités françaises n’avaient pas pris les mesures nécessaires pour protéger la vie de son frère et que son placement en cellule disciplinaire pendant 45 jours était excessif compte tenu de sa fragilité psychique.

Le 16 octobre 2008, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France [3], à l’unanimité, pour :

  • violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention, le placement de Joselito Renolde en cellule disciplinaire n’étant pas approprié à ses troubles mentaux.

L’OIP demande la création d’une commission d’enquête parlementaire

Communiqué

Paris, 15 janvier 2009

A l’heure où les établissements pénitentiaires sont le théâtre d’une vague de suicides sans précédent et où l’évolution de la mortalité intramuros et des phénomènes de violences prennent des proportions alarmantes, l’Observatoire international des prisons invite le Parlement à prendre la mesure, par lui-même, de la profonde dégradation survenue sur nombre d’aspects de la situation carcérale depuis que les commissions d’enquête de l’Assemblée nationale et du Sénat ont rendu leurs rapports en 2000.

Dans un contexte marqué par une hausse de 20 % du nombre des suicides survenus en prison et alors que treize personnes détenues se sont déjà données la mort depuis le 1er janvier 2009, il apparaît urgent que les parlementaires évaluent et réorientent la politique de prévention du suicide mise en œuvre depuis 2004 et établissent les raisons pour lesquelles la France demeure le pays d’Europe marqué par le taux de suicide en détention le plus élevé. La représentation nationale doit se saisir de cette question grave, la définition et le pilotage de la politique publique mise en œuvre en matière de prévention du suicide en milieu carcéral ne sauraient être laissés à la seule appréciation de l’administration pénitentiaire. Toute commission mise en place en son sein ou placée sous l’égide du seul ministère de la Justice se trouve inévitablement dans l’impossibilité de s’abstraire des contingences pénitentiaires, d’ordres sécuritaires ou gestionnaires.

Plus largement, l’OIP appelle les parlementaires à examiner l’impact sur l’augmentation de la mortalité et des phénomènes de violences intramuros des conditions matérielles et psychologiques dans lesquelles s’effectuent les peines privatives de liberté, de l’organisation et du fonctionnement des établissements pénitentiaires, et des politiques pénale et pénitentiaire mises en œuvre. Il apparaît que 56 décès par mort naturelle ont été constatés lors du premier trimestre 2008 dans les prisons françaises, contre 103 pour l’ensemble de l’année 2007. Les chiffres officiels concernant les phénomènes de violences entre détenus et entre détenus et surveillants sont contestés par les organisations professionnelles de personnels. L’opacité de l’administration pénitentiaire sur ces sujets témoigne de son incapacité à admettre et mettre en œuvre les réformes décisives que ces phénomènes appellent.

Pour toutes ces raisons, l’OIP demande à l’Assemblée nationale et au Sénat de décider sans délai de la création de commissions d’enquête. L’OIP attend notamment des parlementaires qu’ils tirent toutes les conséquences du diagnostic posé par le contrôleur général des lieux de privation de liberté sur la question du suicide. « Privé du droit de recours, de rencontre avec un travailleur social, enfermé sans lumière, apeuré à l’idée d’aller en promenade ou à la douche, un détenu peut avoir les idées noires, ce sont là quelques-uns des ingrédients du suicide en prison », a estimé Jean-Marie Delarue en marge de la publication de sa première recommandation. L’OIP s’adresse solennellement à l’ensemble des parlementaires pour qu’ils refusent que la discussion sur le projet de loi pénitentiaire du gouvernement soit engagée avant que leurs travaux et conclusions soient rendus publics.

Un tous les trois jours en 2008

par Alain Salles, Le Monde du 16 janvier 2009

Après deux années de baisse, le nombre de suicides en prison a fortement augmenté en 2008, avec 115 décès contre 96 l’année précédente, une hausse de 20 %. Soit environ un suicide tous les trois jours. Avec treize suicides en quatorze jours, la situation s’annonce alarmante pour 2009. L’augmentation des suicides est supérieure à celle de la population carcérale. Le nombre de détenus dans les prisons était de 63 619 le 1er décembre 2008, ce qui représente une hausse de 2,6 % en un an et de 7,8 % en deux ans, selon les chiffres de l’administration pénitentiaire.

La ministre de la justice, Rachida Dati, avait qualifié en novembre 2008 l’évolution des suicides de "préoccupante". Elle a confié une mission au docteur Louis Albrand pour faire le bilan du dispositif de lutte contre les suicides en milieu carcéral. Celui-ci doit rendre son rapport le 31 janvier.

Après un nombre record de suicides en 2002 (122 morts), l’administration pénitentiaire avait demandé au psychiatre Jean-Louis Terra un rapport sur la prévention. Depuis 2003, ce professeur travaille avec l’administration pour surveiller la mise en oeuvre de ses recommandations et former le personnel. En 2008, un quart du personnel avait été formé à la prévention du risque suicidaire.

L’’administration pénitentiaire, qui voulait faire baisser le nombre de suicides de 20 % en cinq ans, s’est concentrée notamment sur les nouveaux arrivants et les détenus placés en quartier disciplinaire, dans les maisons d’arrêt. Cette action a été à l’origine d’une baisse du nombre de suicides en 2006 et 2007. Cela s’avère insuffisant en 2008 : de nombreux suicides ont eu lieu dans des cellules ordinaires, voire dans des établissements pour peines (destinés aux condamnés à plus d’un an de prison).

Selon le Conseil de l’Europe, en 2005, la France avait le plus fort taux de suicide en prison, avec 21,2 suicides pour 10 000 détenus - il est de 17 pour 10 000 en 2008 selon l’administration pénitentiaire -, soit le double de celui de l’Allemagne ou la Grande-Bretagne et le triple de celui de l’Espagne. La France est le premier Etat à avoir été condamné en octobre 2008 par la Cour européenne des droits de l’homme, pour atteinte au droit à la vie après le suicide d’un détenu en 2000.

Alain Salles

Notes

[2Betty Brahmy est une collaboratrice du contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue. Référence : « Trop de tensions en détention », L’Humanité du 7 janvier 09.

[3Affaire Renolde c. France, n° 5608/05 : http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/v....


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