statistiques pénitentiaires 2009 : stabilité à un haut niveau


article de la rubrique prisons
date de publication : mardi 9 février 2010
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Les dernières statistiques pénitentiaires diffusées par la Direction de l’administration pénitentiaire au ministère de la Justice permettent à Laurent Mucchielli, Directeur de recherches au CNRS (CESDIP), de dégager quelques enseignements :

  • stabilisation de la population écrouée à un haut niveau,
  • baisse du nombre de personnes détenues du fait de l’augmentation des personnes placées sous surveillance électronique,
  • stabilité d’ensemble qui cache une hausse des condamnés et une baisse des prévenus.

La population carcérale s’est stabilisée en 2009 à un haut niveau

par Laurent Mucchielli [1]


Le début de chaque année est propice aux bilans statistiques. Ces jours-ci, ce sont les
dernières statistiques pénitentiaires qui viennent d’être diffusées par la Direction de
l’administration pénitentiaire au ministère de la Justice. On en résume ici les principaux
éléments [2].

1) Le premier enseignement à en retirer est la stabilisation de la population écrouée à un
haut niveau
 : 66 089 personnes écrouées au 1er janvier 2010 contre 66 178 au 1er janvier
2009.

Depuis 2002 et le changement de couleur politique du gouvernement, la hausse de la
population carcérale est ainsi de 36 %. Cette hausse s’est faite en deux temps : 2003-2004
puis 2008-2009, soit à chaque fois les deux années suivant les élections présidentielles
(tableau 1). Indiquons aussi que cette population est composée d’hommes à 96,6 % (contre
3,4 % de femmes) et de majeurs à 98,9 % (contre 1,1 % de mineurs).

Graphique 1 : évolution de la population écrouée de 1990 à 2010 (au 1er janvier de chaque année)

2) Le deuxième enseignement est la baisse du nombre de personnes détenues du fait de
l’augmentation des personnes placées sous surveillance électronique.

L’administration pénitentiaire ne gère et ne compte pas uniquement les personnes
emprisonnées, mais aussi celles qui bénéficient d’aménagements de peine. Le plus important
de ces aménagements, et celui qui se développe le plus ces dernières années, est le placement
sous surveillance électronique. Celui-ci a fortement augmenté en 2009, entraînant en
contrepartie une baisse de la population effectivement détenue dans les prisons (Tableau 1).
On reconnaît probablement là les effets des fortes incitations ministérielles depuis mi-2008,
sous la pression des syndicats de personnels pénitentiaires et des associations qui dénonçaient
la surpopulation carcérale.

De plus, durant l’année 2009, l’administration pénitentiaire a ouvert de nouvelles prisons. Ces
deux éléments conjugués (la réduction des détenus et l’augmentation des places disponibles)
permettent ainsi de ramener le taux de « sur-occupation » à 111 % au 1er janvier 2010 (contre
120 % un an plus tôt). Ce chiffre cache toutefois d’importantes disparités selon le type
d’établissement pénitentiaire. Ainsi, en 2010, si le taux d’occupation n’est que de 73,3 % dans
les EPM (établissements pour mineurs), il atteint 124,5 % dans les Maisons d’arrêt (où sont
incarcérées notamment les personnes placées en détention provisoire).

Tableau 1 : Personnes détenues et non détenues (au 1er janvier de chaque année)

2009 2010 Evolution
Ecroués non détenus 3 926 5 111 + 30,2 %
Dont condamnés en placement
sous surveillance électronique
3 431 4 489 + 30,8 %
Dont condamnés en placement
extérieur non hébergés
495 622 + 25,7 %
Ecroués détenus 62 252 60 978 - 2 %
Dont prévenus 15 933 15 395 - 3,4 %
Dont condamnés en semi-liberté 1 643 1 665 + 1,3 %
Dont condamnés en placement
extérieur hébergés
377 516 + 36,9 %
Dont condamnés non aménagés 44 299 43 402 - 2 %
Total 66 178 66 089 - 0,1%


3) Une stabilité d’ensemble qui cache une hausse des condamnés et une baisse des
prévenus.

Le nombre de détenus en détention provisoire a baissé régulièrement ces dernières
années, tandis que le nombre de condamnés augmentait fortement. Résultat : le pourcentage
des prévenus parmi l’ensemble des détenus ne cesse de diminuer, il est passée de 45,3 % en
1990 (et encore 37,6 % en 2003) à 23,2 % en 2010. Le mouvement « en ciseau » est
particulièrement net depuis 2004 (graphique 2).
Graphique 2 : l’évolution du nombre de condamnés et de prévenus de 1990 à 2010 (au 1er janvier de chaque année)

Graphique 2 : l’évolution du nombre de condamnés et de prévenus de 1990 à 2010 (au 1er janvier de chaque année)

Le 15 janvier 2010

80 000 détenus en 2017 ?

[publié sur lyoncapitale.fr, le 20 janvier 2010]


Le surpeuplement carcéral n’est pas l’effet du hasard et encore moins d’une augmentation de la criminalité. Il résulte d’un choix politique pleinement assumé.

Entre 2002 et 2007, la population carcérale a fait un bon de 10 000 personnes passant à 60 000 détenus, pour une hausse de près de 22%. Pourtant à la fin des 1990, la tendance était plutôt à la baisse : ils étaient 55 000 en 1996 et 47 000 en 2001. Dès lors à quoi attribuer cette inflation carcérale ?

Le sens commun proposerait l’explication la plus évidente : l’explosion de la criminalité. Or selon l’INSEE, entre 2001 et 2008, le taux de criminalité a perdu plus de 10 points passant de 68% à 57%. Les tentations criminelles et délictueuses des Français ne sont donc pas en cause. De plus les spécialistes de la prison dans leurs études ne démontrent aucun lien évident entre le taux de criminalité et les niveaux de la population carcérale.

“Extension du filet pénal”

En revanche, l’année 2002 marque l’entrée de la France dans un débat hypnotique sur la question sécuritaire et “le coup de tonnerre” de l’élection présidentielle avec Jean-Marie Le Pen au second tour en sera la matérialisation. S’ouvre alors une période de frénésie sécuritaire [3] pendant laquelle les gouvernements successifs vont trouver dans la politique pénale le dispositif qui permettra d’afficher la sincérité de leur volontarisme politique. De 2002 à 2007, quatre lois sont venues modifier le code de procédure pénale et une bonne trentaine est venue toucher le code pénal. Une infraction nouvelle a été créée pour répondre aux nuisances des squats de halls d’immeubles par des jeunes ; en 2003, le racolage passif des prostitués est également institué en délit. Il en va de même pour l’installation illicite des gens du voyage, la mendicité en réunion, la conduite en état d’ivresse, l’outrage à l’hymne national qui sont devenues des délits et sont passibles de prison ferme. Les spécialistes appellent ce processus “l’extension du filet pénal” consistant à augmenter le nombre de situations répréhensibles susceptibles d’être renvoyées devant un juge.

Le juge manchot

Mais pour aggraver le phénomène de surpeuplement des prisons, il n’est nul besoin d’étendre le filet pénal. La chose peut se faire aisément et presque mécaniquement : supprimer le droit de grâce présidentiel ou l’instauration des peines plancher suffisent à rendre la densité carcérale vite insupportable. Pourtant l’intention du législateur est également à l’aménagement de peines (bracelet électroniques, semi-liberté, placement à l’extérieur) permettant une alternative à la prison. Le juge est donc dans une situation paradoxale et contradictoire. Il peut tendre la main gauche qui offre d’autres solutions que l’incarcération, mais il ne peut tendre sa main droite puisqu’une main invisible la supplante en obligeant le juge à incarcérer et peupler des prisons de façon automatique (les peines planchers). Le juge devient manchot. D’autant que la main gauche n’a que peu de poids face à la main invisible des peines plancher.

Au 1er janvier 2009, les prisons françaises contenaient 66 178 détenus pour 50 500 places. Grâce à une loi de 2002, 13 200 places nouvelles seront créées d’ici 2011 portant la capacité à 64 000 places. Or, l’historien Jean Bérard et le sociologue Gilles Chantraine ont exhumé un document d’orientation de la Direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP) de juillet 2007 étudiant les hypothèses d’évolution de la population carcérale qui se traduira “par un accroissement sensible de la population confiée à l’administration pénitentiaire, qui pourrait atteindre 80 000 personnes en 2017” [4]. En clair, il ne faudra pas très longtemps pour que la nouvelle prison de Lyon-Corbas ne devienne obsolète.

Dalya Daoud, Laurent Burlet, Slim Mazni


Notes

[1Site internet : http://www.laurent-mucchielli.org/.

[2Source des chiffres : ministère de la Justice, Direction de l’Administration Pénitentiaire
Champ : France entière

[3Laurent Mucchielli, La frénésie sécuritaire, La Découverte, Paris, 2008.

[4Jean Bérard et Gilles Chantraine, 80 000 détenus en 2017 ?, éditions Amsterdam, Paris, 2008.


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