les prisons françaises dans le rapport de Thomas Hammarberg


article de la rubrique prisons
date de publication : lundi 24 novembre 2008
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Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, s’est rendu en France au mois de mai 2008. Au cours de sa visite, il a rencontré la ministre de la Justice, la plupart des institutions nationales chargées de la protection des droits de l’homme et des représentants de la société civile. Il a ainsi pu évoquer certaines questions de droits de l’homme et notamment les droits des détenus. Il a également visité plusieurs établissements dont les prisons de Fresnes et Meyzieu (pour mineurs)

On trouvera ci-dessous les extraits du rapport du Commissaire qui concernent le respect des droits de l’homme des détenus
 [1]
– à l’exception de ce qui touche la loi sur la rétention de sûreté qui sera repris à part.

On lira par ailleurs le commentaire de Patrick Marest, porte-parole de l’OIP. Et voici un extrait de ce que Serge Portelli, vice-président du TGI de Paris, écrivait sur son blog le 23 mai 2008 [2] :

« La réalité toute simple est que la situation des prisons ne préoccupe pas nos gouvernants, que les paroles convenues ressassées pour la circonstance ou servies sur un plateau au commissaire européen ne correspondent en rien au discours d’une certaine droite décomplexée pour qui l’entassement des détenus et leur souffrance en prison font partie de l’ordre des choses.

« Nicolas Sarkozy le répète inlassablement depuis longtemps. En 2001, dans son livre “Libre”, il écrivait : “les critiques du système américain dénoncent la surpopulation carcérale. Je n’ai jamais compris la pertinence de cet argument car, après tout, il vaut mieux voir les délinquants en prison que dans la rue”. [...] Notre homme “libre” n’a pas varié d’un pouce cinq ans plus tard, quand, dans une interview au Parisien, le 28 mars 2006, il affirme : “Il y a 60.000 détenus en France. Qui décide que c’est trop ? Par rapport à quels critères ? Je souhaite qu’aillent en prison ceux qui le méritent”. »


Résumé

Les priorités du Commissaire lors de sa visite et ses principales conclusions concernant le respect effectif des droits de l’homme des détenus peuvent se résumer comme suit :

Le projet de réforme de la loi pénitentiaire devrait couvrir certains éléments importants pour la protection des droits fondamentaux des détenus tels que la diminution de la durée de placement en quartier disciplinaire, l’encadrement de l’isolement, le droit effectif de vote ou le maintien des liens familiaux. Il faut par ailleurs garantir le principe de l’encellulement individuel pour les prévenus. Les conditions de vie sont encore inacceptables pour nombre de détenus qui doivent subir le surpeuplement, la promiscuité et la vétusté des installations et des conditions d’hygiène. Enfin, il y a un risque d’arbitraire dans la mise en oeuvre de la rétention de sureté, qui exige la plus grande vigilance [3].

III. Respect effectif des droits de l’homme des détenus

18. Dans son rapport de 2006, le Commissaire invitait les autorités à accroître les moyens alloués aux établissements pénitentiaires afin d’améliorer les conditions de vie des personnes détenues.

19. En premier lieu, il convient de mettre en lumière les efforts entrepris par les autorités françaises pour améliorer les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires. L’Administration pénitentiaire (AP) a initié une réflexion d’envergure sur les modalités d’applications des nouvelles règles pénitentiaires européennes [4] et a pris l’initiative de les diffuser largement à son personnel. Dans le même temps, elle a initié une phase d’expérimentation de certaines de ces règles, prévoyant leur généralisation à tous les établissements en 2008. La transparence affichée de l’administration
 [5] doit être saluée. Quant à l’expérimentation en cours, qui ne porte que sur un nombre limité de recommandations et ne concerne qu’une partie des établissements, il convient de souhaiter qu’elle soit rapidement étendue.

20. En janvier 2006, des « Etats généraux de la condition pénitentiaire » ont été lancés à l’initiative de la société civile avec le soutien de la grande majorité des forces politiques françaises. Les conclusions des Etats généraux [6] demandaient la reconnaissance et la mise en oeuvre de l’ensemble des libertés et droits fondamentaux des personnes détenues, insistaient sur le besoin de faire de la réinsertion la mission première de la prison et appelaient à l’adoption d’une loi pénitentiaire. En mai 2007, la CNCDH a publié une étude approfondie relative aux champs pénaux et pénitentiaires allant dans le même sens [7].

21. En 2007, le Gouvernement français a décidé de réformer la loi pénitentiaire. Le 19 novembre 2007, un Comité d’orientation restreint (COR) instauré par le Garde des Sceaux a adopté un rapport de 120 préconisations [8]. Ce rapport recommandait de favoriser les peines alternatives et de remettre le détenu au centre des préoccupations, en lui permettant d’être l’acteur de son temps d’enfermement, ainsi que de respecter ses droits (sociaux, familiaux, électoraux).

22. En juin 2008, le Garde des Sceaux a présenté au Conseil d’Etat un projet de loi pénitentiaire. Un certain nombre de professionnels ont regretté que ce projet ne reprenne pas plus largement certaines propositions formulées par les Etats généraux, la CNCDH ou le COR et ne fasse qu’entériner des pratiques déjà existantes. Le Commissaire n’entend pas se prononcer en détail sur un texte qui pourrait subir de
nombreuses modifications au cours de son processus d’adoption. Il souhaite néanmoins faire quelques observations d’ordre général.

23. Le Commissaire estime que les questions du maintien des liens et contacts familiaux, de l’accès aux prestations sociales de droit commun, du droit de vote en prison, du travail équitablement rémunéré, de la réduction substantielle de la durée de placement en quartier disciplinaire ou du placement en isolement ne doivent pas être éludées. Il souhaite souligner que les Règles pénitentiaires européennes, socle fondamental qu’il convient de respecter et de mettre en oeuvre au plus vite, ne sont qu’une base minimum. Elles ne devraient pas empêcher les autorités d’adopter une loi plus protectrice pour des détenus. Ainsi le Commissaire restera vigilant à ce que des pratiques telles que les fouilles corporelles soient strictement encadrées ou que la mise
en place de régimes de détention différenciés ne soit pas légalisée.

24. Depuis 2006, l’Administration pénitentiaire a expérimenté dans 28 sites « pilotes » les trois processus-clé suivants : l’accueil des arrivants, le traitement des requêtes, l’accompagnement et l’orientation des détenus. Un travail substantiel a été entrepris pour permettre l’accès au téléphone pour les condamnés en maison d’arrêt, la séparation prévenus-condamnés, la création de quartiers réservés pour les arrivants et le traitement des requêtes dans des délais raisonnables. Il faut souhaiter que ces nouvelles dispositions soient rapidement appliquées à l’ensemble des détenus, ce qui n’est pas encore le cas. A titre d’illustration, l’accès au téléphone n’est possible que pour environ 70 % des condamnés et il n’était pas effectif à l’Etablissement
Pénitentiaires pour Mineurs (EPM) de Meyzieu lors de la visite du Commissaire.

25. Le Commissaire est également conscient des réformes d’envergure entreprises concernant le régime de l’isolement administratif. Les dispositions introduites en juin 2006 consacrent un renforcement du rôle des magistrats dans la procédure qui est devenue contradictoire ainsi qu’une limitation relative de la durée d’isolement à deux ans. De plus, les détenus concernés peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle pour l’assistance d’un avocat. Ces réformes ont entraîné une diminution d’un tiers du nombre de détenus placés en isolement entre 2005 et 2008. Toutefois, le décret établit une mesure d’isolement judiciaire qui est particulièrement préoccupante car elle est non susceptible de recours et peut être prolongée jusqu’à la durée maximale de la
peine encourue. Il est regrettable qu’au cours de cette réforme les autorités n’aient pas pris la décision d’autoriser les détenus concernés à accéder aux activités ordinaires de la prison et de limiter plus strictement la durée maximale d’isolement.

26. L’administration reconnaît que les règles pénitentiaires européennes relatives aux conditions minimales d’hygiène ne sont pas pleinement appliquées notamment en raison de la vétusté et l’ancienneté de certains établissements. Le Commissaire a pu
constater lors de sa visite à Fresnes que des efforts matériels ont été entrepris pour cloisonner les toilettes dans les cellules. Néanmoins, cette séparation matérielle qui permet d’avoir un minimum d’intimité n’existe toujours pas dans 20 % des cellules considérées administrativement comme « individuelles ». Une solution devrait être
apportée à ce point dans les plus brefs délais car l’accroissement de la population carcérale contraint souvent deux ou trois voire quatre détenus à partager une cellule initialement prévue pour une personne. Il n’est pas acceptable que des détenus soient encore obligés d’utiliser les toilettes aux vues de leurs codétenus.

1. Séparation entre prévenus / condamnés et encellulement individuel

27. Dans son rapport de 2006, le Commissaire avait rappelé l’impérieuse nécessité de séparer les prévenus des condamnés. Ce principe, réitéré par les Règles pénitentiaires européennes
 [9], a pour fondement le respect de la présomption d’innocence.

28. L’encellulement individuel des prévenus est reconnu par les Règles pénitentiaires européennes [10] et le code de procédure pénale français
 [11] mais la mise en oeuvre de cette disposition a été reportée à deux reprises. Le 12 juin 2008, la Ministre de la Justice a promulgué un décret qui entend témoigner de sa volonté d’améliorer le
respect des droits des prévenus. Cette volonté doit être soulignée même si son application soulève certaines difficultés.

29. Tout d’abord, il est regrettable que le décret renverse le droit reconnu à un encellulement individuel et le transforme en une simple possibilité, de surcroît sur la base d’une demande du prévenu. Dans la pratique, le décret ne permet en fait aux prévenus que de demander leur transfert dans un autre établissement en vue de bénéficier d’une cellule individuelle. Au-delà de cet aspect juridique, il est à craindre
que la mise en oeuvre de ce droit se fasse au détriment d’autres droits.

30. Selon le décret, en l’absence de places disponibles dans la maison d’arrêt, le chef d’établissement dispose de deux mois pour faire des propositions de transfèrement dans d’autres établissements après autorisation du juge d’instruction. La durée moyenne de détention provisoire étant de 5,7 mois [12], on peut imaginer que peu de
prévenus mettent en place cette procédure administrative. D’autant plus qu’au 1er mai 2008 la suroccupation des maisons d’arrêt était de plus de 140 % soit près de 14 000 personnes en surnombre alors qu’il n’y avait que 313 cellules non occupées.

31. Au surplus, en raison de la surpopulation quasi-généralisée des maisons d’arrêts, le prévenu demandant à bénéficier d’un encellulement individuel risque de se voir proposer une place dans un établissement fort éloigné de son lieu de résidence habituelle. Il sera contraint de choisir entre bénéficier de conditions d’incarcération dignes d’une part et maintenir des liens familiaux ou des contacts directs avec son avocat d’autre part. Ces éléments sont à garder à l’esprit pour permettre
potentiellement d’expliquer le nombre relativement faible de demandes pour bénéficier de cette disposition [13]. Tout en saluant l’intention de permettre une amélioration des conditions de détention des prévenus, le Commissaire invite les autorités françaises, dans le cadre de l’adoption de la nouvelle loi pénitentiaire, à reconnaitre de nouveau l’encellulement individuel comme un droit pour tous les prévenus, à permettre sa mise en oeuvre dans les faits et à assurer la séparation entre prévenus et condamnés.

2. Surpopulation

a. Etat des lieux

32. Malgré les efforts non négligeables entrepris pour rapprocher les conditions matérielles de détention en France des standards européens, leurs effets positifs sont largement amoindris par la persistance de la surpopulation carcérale. Dans son rapport de 2006,
le Commissaire constatait l’existence d’un engorgement des établissements pénitentiaires. Ces constatations se basaient sur des travaux au niveau national, et notamment deux rapports parlementaires de 2000 [14] sur les conditions des prisons en France.

33. D’autres instances notamment européennes ont alerté les autorités françaises sur la détérioration des conditions de vie en prison en raison du surpeuplement. Ainsi le Comité européen pour la Prévention de la Torture (CPT) a dans un rapport publié en 2004 considéré que « un ensemble de facteurs néfastes – surpeuplement, conditions matérielles déplorables, conditions d’hygiène créant un risque sanitaire indéniable, sans même mentionner la pauvreté des programmes d’activités – […] peuvent légitimement être décrits comme s’apparentant à un traitement inhumain et dégradant » [15]. Il a réitéré des constatations similaires dans son rapport publié en
2007 [16].

34. Au niveau national, l’Etat a été condamné en mars 2008 par une juridiction française en raison de conditions de détention « dégradantes ». Pour la première fois, une juridiction administrative a considéré la responsabilité de l’Etat engagée en raison des
conditions de détention qui constituaient « un manquement aux règles d’hygiène et de salubrité » et étaient contraires au « respect de la dignité humaine » [17].

35. Les causes de ce surpeuplement sont multiples. Une part de ce surpeuplement peut être imputée aux programmes de rénovation de certains établissements, comme tel est le cas actuellement à la maison d’arrêt de Fresnes en raison des travaux effectués à celle de la Santé. Toutefois, les raisons de cet accroissement résident principalement
dans le durcissement des peines prononcées par les juridictions pénales et par un recours accru à la mise en détention. En effet, depuis 2002, une série de lois a modifié la politique pénale en accentuant sa dimension répressive.

36. Cette tendance risque de s’accentuer avec la mise en place de la nouvelle loi du 10 août 2007 qui institue des peines minimales dites « planchers » pour les délinquants récidivistes. Les juges peuvent écarter ces peines minimales, mais sont contraints de motiver spécialement leur décision. De plus, cette loi consacre l’impossibilité de prononcer une peine autre que l’emprisonnement à la deuxième récidive pour un grand
nombre de délits.

37. L’inflation carcérale constatée depuis 2000 s’est poursuivie. Ainsi, au 1er juin 2008, 63 838 personnes étaient incarcérées soit environ 3 000 personnes de plus que l’année précédente à la même date
 [18]. En conséquent, plus de 13 000 détenus étaient en surnombre par rapport aux places disponibles soit un taux d’occupation moyen de près de 125 %. La plupart des établissements pour peines – réservés aux condamnés
à de longues peines – dépassent rarement leur taux d’occupation maximal. Il en est tout autre pour les maisons d’arrêts qui ont un taux d’occupation moyen de 140 %. Dans 13 maisons d’arrêts, ce taux dépasse les 200 % et certaines dépassent même le seuil des 220 % comme à Béthune, Chambéry ou la Roche-sur-Yon. On estime que
sept détenus sur dix sont écroués dans des établissements surpeuplés.

38. Le personnel pénitentiaire étant déterminé pour chaque établissement en fonction de sa capacité maximale théorique, toute surpopulation engendre automatiquement une carence en terme de surveillants, de travailleurs sociaux ou de personnel administratif.
Ceci a pour conséquence une promiscuité subie accrue, une détérioration des conditions d’hygiène en raison d’un accès réduit aux douches, des délais rallongés pour l’obtention d’une consultation médicale ou des difficultés dans la gestion des parloirs. Les tensions et des violences entre surveillants et détenus mais aussi entre détenus sont également plus fréquentes. De telles conditions sont intolérables pour les détenus mais aussi pour le personnel de l’administration pénitentiaire qui subissent tous les dysfonctionnements de la gestion pénitentiaire française.

b. Réponses apportées à la surpopulation carcérale

39. Pour faire face à cette situation, les autorités françaises indiquent vouloir trouver une réponse dans une augmentation substantielle du nombre de places disponibles. Le Ministère de la Justice ambitionne de disposer de 63 000 places de détention en 2012 [19]. Des projections récemment rendues publiques prévoient 80 000 détenus en 2017. Une telle réponse ne peut être suffisante car toute sanction ne doit pas avoir pour unique fonction de punir mais doit aussi préparer à la réinsertion. Comme le rappelle la Recommandation du Comité des Ministres « l’extension du parc pénitentiaire devrait être plutôt une mesure exceptionnelle, puisqu’elle n’est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement » [20].

40. Pour remédier à la surpopulation, les autorités françaises entendent aussi mettre en place « une politique volontariste en matière d’aménagement des peines ». Le développement de l’aménagement des peines a été facilité par la mise en place de différents mécanismes et notamment la création de la conférence régionale d’aménagement des peines en juin 2007. Au 1er mai 2008, 5 920 condamnés écroués
exécutaient leur peine en aménagement de peine ce qui représente 11,8 % de l’ensemble des condamnés [21]. Ce nombre n’a jamais été aussi important tant en valeur absolue que par rapport au nombre de détenus. La majorité de ces condamnés bénéficiaient d’un placement sous surveillance électronique dont le nombre est en forte augmentation. Le nombre de personnes bénéficiant d’un régime de semi-liberté est lui aussi en augmentation mais reste toutefois modeste [22].

41. Les services pénitentiaires d’insertion ont la responsabilité d’organiser l’aménagement des peines, d’entreprendre des démarches pour permettre aux détenus de suivre des formations ou de les aider à trouver un emploi. Ces travailleurs sociaux jouent un rôle de première importance dans la réussite de la libération conditionnelle ainsi que dans
la prévention de la récidive. Or, bien que des efforts importants aient été réalisés ces dernières années, il apparaît que ces travailleurs sont en sous-effectif flagrant et que les moyens à leurs dispositions sont insuffisants [23]. Le Commissaire appelle les autorités françaises à offrir un service d’insertion de qualité et à permettre l’accès à la libération conditionnelle au plus grand nombre de détenus.

42. Dans cette réflexion sur l’aménagement des peines, le Commissaire tient à saluer les efforts mis en oeuvre pour développer les peines alternatives. Il invite les autorités à poursuivre ses efforts notamment via l’accroissement des moyens disponibles pour permettre les placements extérieurs ou l’élargissement des possibilités de libération
conditionnelle. Le projet de loi pénitentiaire diminuant le recours à la détention préventive va également dans le bon sens. Compte tenu de la surpopulation aggravée des prisons françaises, il convient en effet de ne recourir à une telle détention que lorsqu’elle est totalement indispensable et pour une durée aussi brève que possible.

43. Toutefois ces dispositions requièrent un certain délai avant d’avoir un impact réel sur le taux de surpopulation. Dès lors, le Commissaire appelle instamment les autorités françaises à répondre immédiatement aux conditions inacceptables de détention des détenus contraints de vivre dans des cellules surpeuplées et souvent vétustes.

3. La prise en charge médicale des personnes détenues

a. L’accès aux soins

44. La question de l’accès aux soins constitue un autre sujet de préoccupation. Depuis la loi de 1994, la prise en charge des détenus est confiée au secteur hospitalier afin d’assurer en prison une qualité et une continuité de soins équivalents à ceux offerts à l’ensemble de la population [24].

45. Selon la société civile, la mise en oeuvre de cette loi a permis l’amélioration générale de la prise en charge des détenus malades. Néanmoins, des progrès restent à faire en matière d’accès à des consultations de spécialistes ou de continuité des soins à la sortie de prison notamment. Les conditions de consultation des détenus à l’hôpital sont rendues difficiles principalement en raison du port des menottes et de la présence quasi permanente du personnel pénitentiaire. Le Commissaire avait pourtant dénoncé ces pratiques dans son rapport de 2006. Il avait également soulevé le problème des
annulations de consultations et d’hospitalisations à l’extérieur en raison du manque de personnel pour assurer le transfert. Malgré les améliorations apportées par l’ouverture d’unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI), ces constatations demeurent
toujours d’actualité et le Commissaire a été informé que des détenus nécessitant une intervention médicale sont parfois contraints d’attendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines.

46. Dans le même sens, la question de la permanence des soins le week-end et la nuit a été évoquée. Il apparaît qu’ils ne soient pas pleinement garantis en raison de l’absence de soignants disponibles voire du refus des surveillants d’alerter les services compétents, en fonction de leur propre évaluation de l’urgence. Le Commissaire invite
les autorités françaises à assurer la continuité des soins et à éviter que des détenus ne se retrouvent sans soins appropriés pendant une durée prolongée.

47. Enfin, la loi sur la rétention de sûreté semble remettre en cause le caractère intangible du secret médical en prison. En effet selon la loi, le personnel soignant est désormais tenu de signaler au directeur de la prison les patients présentant un risque sérieux pour la sécurité d’autrui. Bien qu’insérée dans la loi relative à la rétention de sûreté, cette disposition s’applique à l’ensemble des établissements pénitentiaires. La loi dispose certes que cette communication doit se faire dans le respect du secret médical. Toutefois, ce dernier repose sur la confiance absolue qui doit s’établir entre le patient et le soignant. Une remise en cause même partielle risque d’en altérer les fondements.
Le Commissaire invite les autorités françaises à garantir le respect le plus strict du secret médical.

b. La prise en charge des maladies psychiatriques

48. En octobre 2006, le Comité d’éthique a exprimé sa préoccupation quant au taux de pathologies psychiatriques qui est vingt fois plus élevé en prison qu’au sein de la population dans son ensemble. Cela s’explique en partie par la forte diminution du nombre de personnes reconnues irresponsables pénalement. D’autres explications résident dans l’allongement de la durée des peines et dans la dégradation des
conditions d’incarcération qui accroissent la fragilité psychique des détenus. En 2006, la France a d’ailleurs été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour le maintien en prison, sans traitement approprié, d’un homme souffrant de troubles mentaux
 [25]. Il apparaît également qu’au lieu d’être hospitalisés, certains malades relevant de la psychiatrie sont placés en quartier d’isolement, voire en quartier disciplinaire ou encore font l’objet de régimes de détention plus stricts, dans le cadre des régimes différenciés. Le Commissaire invite les autorités à se montrer vigilantes sur une gestion disciplinaire des personnes souffrant de troubles mentaux et à développer les aménagements de peine à leur égard.

49. En plus des SMPR (services médico-psychologiques régionaux) créés en 1986, la France a opté pour la création d’unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) [26] pour recevoir les détenus souffrant de troubles psychiatriques. Cette solution est rejetée par un certain nombre de praticiens, comme entretenant la confusion entre maladie mentale et criminalité. Les difficultés à prévenir les suicides en prison illustrent cette carence qu’il conviendrait de résoudre.

50. Enfin, concernant la prise en charge psychiatrique des délinquants sexuels, la législation semble s’orienter vers les impératifs de sécurité pour prévenir les récidives, plus que sur les soins à apporter à ces personnes durant leur détention. Quelques établissements, comme la prison de Melun, se distinguent par la création de parcours de soins thérapeutiques pour les délinquants sexuels, mais ils constituent des
exceptions non encore accessibles à l’ensemble des détenus qui devraient en bénéficier. Le Commissaire invite les autorités françaises à développer de telles pratiques et à permettre aux détenus nécessitant une prise en charge particulière d’en bénéficier.

VII. Conclusions et recommandations

3. Pour le Commissaire, la réforme en cours de la loi pénitentiaire ne doit pas éluder les questions du maintien des liens et contacts familiaux, de l’accès aux prestations sociales de droit commun, du droit de vote en prison, du travail équitablement rémunéré ou de la
réduction substantielle de la durée de placement en quartier disciplinaire. Il appelle également à ce que les fouilles à corps soient strictement encadrées et les régimes différenciés ne soient pas légalisés. Il recommande que les détenus placés à l’isolement puissent bénéficier d’activités et que la durée maximale de leur isolement soit plus limitée.

4. Le Commissaire invite les autorités françaises à reconnaître de nouveau l’encellulement individuel comme un droit pour tous les prévenus, à garantir sa mise en oeuvre et à assurer la séparation entre prévenus et condamnés.

85 Amendement à l’article L 2215-1 du Code général des collectivités territoriales.

86 Rapports annuels de la CNDS de 2005 et 2006.

5. Le Commissaire appelle les autorités françaises à apporter une réponse immédiate aux conditions inacceptables de détention des détenus contraints de vivre dans des cellules surpeuplées, souvent vétustes et aux conditions d’hygiène inacceptables. Compte tenu de la surpopulation aggravée des prisons françaises, il convient de ne recourir à la détention que lorsqu’elle est totalement indispensable et à augmenter substantiellement le nombre d’aménagement de peines. Les nouvelles dispositions mises en place dans 28 sites pilotes devraient aussi être appliquées à l’ensemble des détenus.

6. Le Commissaire invite les autorités françaises à assurer la continuité des soins en prison, à pleinement respecter le secret médical, à strictement limiter le recours au menottage lors des consultations ainsi qu’à permettre aux détenus nécessitant une prise en charge
particulière d’en bénéficier.

7. Préoccupé quant au risque d’arbitraire en relation avec l’appréciation de la dangerosité dans le cadre de la rétention de sûreté, le Commissaire invite à une extrême précaution dans son application. Il recommande de mettre en oeuvre les mesures destinées à prévenir la récidive et pouvant éviter le placement en rétention. Il encourage les autorités à examiner les résultats obtenus par les autres pays où une mesure similaire est en
vigueur ainsi qu’à recourir à des études indépendantes régulières.

Notes

[1Le rapport, y compris les réponses du gouvernement français, est téléchargeable : http://tempsreel.nouvelobs.com/file....

Le résumé du mémorandum ainsi que l’ensemble de ses conclusions et recommandations sont repris dans cette page de ce site : France, pays de violations massives et persistantes des droits de l’Homme (rapport 2008 de Thomas Hammarberg).

[3Ce qui concerne la rétention de sûreté sera regroupé dans une autre page non encore rédigée.

[4Recommandation (2006)2 sur les règles pénitentiaires européennes, 11 janvier 2006.

[5Ministère de la Justice, Application des règles pénitentiaires européennes en France, août 2006 http://www.justice.gouv.fr/art_pix/....

[7CNCDH, Sanctionner dans le respect des droits de l’Homme, volume I et II, 23-24 octobre 2007.

[8Comité d’orientation restreint de la loi pénitentiaire, Orientations et Préconisations, novembre 2007.

[9Règle 18.8 : « La décision de placer un détenu dans une prison ou une partie de prison particulière doit tenir compte de la nécessité de séparer : a. les prévenus des détenus condamnés ».

[10Règle 18.5 « chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus »

[11Article 716 « Les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire sont placés au régime de l’emprisonnement individuel de jour et de nuit Il ne peut être dérogé à ce principe que dans les cas suivants : 1° Si les intéressés en font la demande … ».

[12Commission nationale de suivi de la détention provisoire, rapport 2007.

[13Entre la publication du décret le 12 juin et le 4 juillet, 33 demandes d’encellulement individuel ont été enregistrées par l’administration pénitentiaire dont 28 d’entre-elles auraient abouti à un refus.

[14Rapport de la Commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, créée en vertu d’une résolution adoptée par le Sénat le 10 février 2000. Tomes I et II. Paris : Sénat, déposé le 29 juin 2000 et Rapport fait au nom de la Commission d’enquête sur la situation dans les prisons françaises. Paris : Assemblée nationale, déposé le 28 juin 2000.

[15Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France du 11 au 17 juin 2003, publié le 31 mars 2004, CPT/Inf (2004) 6 §12.

[16Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France du 27 septembre au 9 octobre 2006, publié le 10 décembre 2007, CPT/Inf (2007) 44 §146.

[17Arrêt du Tribunal administratif de Rouen, 27 mars 2008 confirmé en appel le 24 juin 2008.

[18Ministère de la Justice, Statistiques mensuelles de la population écrouée et détenue en France, 1er juin 2008.

[19« Programme 13 200 » lancé en 2002 qui vise à la construction de 13 200 places d’ici 2012.

[20Recommandation n° R (99) 22 du Comité des Ministre s concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, 30 septembre 1999

[21Ministère de la Justice, Statistiques mensuelles de la population écrouée et détenue en France, 1er mai 2008.

[221863 personnes bénéficiaient de ce régime au 1er mai 2008.

[23Rapport « Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux », de Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, remis au Président de la République, 30 mai 2008.

[24Selon cette loi, des unités de consultations et de soins déambulatoires (UCSA) ont été créées dans les prisons, les équipes médicales étant fournies par les hôpitaux publics. Les détenus malades qui nécessitent des examens poussés, une hospitalisation ou une intervention chirurgicale sont transférés dans un hôpital public. Ceux qui doivent être hospitalisés sur la longue durée sont incarcérés à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes.

[25CEDH, Rivière c. France, 11 juillet 2006

[26Construction de 440 places prévue entre 2008 et 2010 et de 265 places entre 2010 et 2011. Prévu par la loi Perben I de 2002.


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