le rapport du Comité de prévention de la torture sur les prisons françaises - janv 04


article de la rubrique prisons
date de publication : février 2004
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Après les visites des prisons de Loos, Clairvaux et Toulon, effectuées en 2003, le Comité européen de prévention de la torture blâme le surpeuplement carcéral et parle de « traitements inhumains » dans les prisons françaises.

par Dominique SIMONNOT - Libération, mercredi 28 janvier 2004


C’est au-delà du pire. Plus accablant encore que tout ce qui a pu être dit et écrit sur les prisons françaises : « En France, les conditions de détention s’apparentent parfois à des traitements inhumains et dégradants », affirment dans leur rapport les experts du Comité européen de prévention de la torture [1] après une visite d’une semaine, au mois de juin, dans deux maisons d’arrêt et une centrale de haute sécurité. La visite de cette institution, émanation du Conseil de l’Europe, ne devait rien au hasard. Au contraire. Elle se trouvait « exigée par les circonstances », explique le CPT, en raison de « l’augmentation récente et alarmante du surpeuplement des maisons d’arrêt ainsi que du nombre de suicides ».

Le diagnostic alarmant du CPT rejoint celui dressé depuis des mois par les syndicats pénitentiaires, les organisations de défense des détenus et des droits de l’homme. A Loos, près de Lille, le CPT a décompté 1 103 détenus (dont 25 mineurs) dans 461 places, soit un taux d’occupation de 239 %. A Toulon, il a constaté la présence de 348 prisonniers pour 145 places ­ 240 % d’occupation. Les conséquences de cette inflation carcérale sont « critiques » : à Loos, « les détenus vivent confinés à trois dans des cellules de 9 m2, ou au quartier des femmes, à quatre voire à cinq dans 12 m2 ». Les locaux sont « vétustes, mal entretenus et pour certains, dont le cabinet dentaire, insalubres ». Dans les coursives, « des containers débordant d’immondices malodorantes étaient laissés plusieurs heures à l’entrée des sections par là même où étaient acheminés les chariots repas »..

Promiscuité. Même chose à Toulon, où les détenus dorment sur des matelas posés à même le sol, où les cellules sont « délabrées et mal entretenues » mais où, au moins, un effort d’entretien maintient les parties communes « en état de propreté convenable ». Bien sûr, étant donné le ratio surveillants/détenus, il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de prendre des douches, qui doivent être accompagnées. Quant aux parloirs, ils sont écourtés et parfois supprimés. Sans parler de la « pauvreté » des programmes d’ateliers ou de travail qui relèguent l’immense majorité des prisonniers dans l’oisiveté totale. « Unanimes », les détenus et les surveillants ont raconté au CPT ce qu’entraînait cette promiscuité forcée : « la tension croissante dans les relations » tant entre détenus et surveillants qu’entre codétenus. Et la délégation a « de visu » observé « la mission quasi impossible pour les surveillant(e)s de devoir assumer seul(e)s la prise en charge de plus d’une centaine de détenus ». En résumé, il s’agit là de conditions « intolérables ».

A Clairvaux, centrale où sont purgées les longues peines, pas de surpeuplement. Le problème est ailleurs : dans le système sécuritaire renforcé au printemps 2003, sur ordre du garde de Sceaux, par la fermeture des portes des cellules dans la journée. Du coup, impossible aux détenus de se rencontrer et d’avoir accès aux salles communes de télévision. Pourtant, dès 2000, le CPT avait souligné devant les autorités françaises « la nécessité d’offrir aux détenus purgeant de longues peines des régimes compensant de manière positive et proactive les effets désocialisants de la réclusion de longue durée (...). Pour stimuler leur sens d’autonomie et de responsabilité personnelle ». En pure perte.

Comment en est-on arrivé là en si peu de temps ? En 2000, comme le rappelle Patrick Marest, de l’Observatoire international des prisons, les élus de tous bords qualifiaient pourtant « d’humiliation pour la République » l’état des prisons. Tous s’accordaient pour les dépeupler et adoptaient la loi sur la présomption d’innocence ; la droite jugeant même qu’elle n’allait pas assez loin. Mais depuis deux ans, l’inflation carcérale a été sans précédent en France. Et sur le sujet, le CPT met directement en cause la politique du gouvernement Raffarin : « A la différence des responsables politiques qui soutiennent que l’augmentation de la population carcérale s’explique par l’aggravation de la délinquance (...), les hauts responsables de l’administration pénitentiaire et les interlocuteurs rencontrés » ont assuré que c’était le résultat d’une « politique pénale répressive », « de la tolérance zéro, de la sévérité accrue des parquets, de l’adoption d’un arsenal législatif répressif ». Le tout conduisant à « ce taux d’incarcération galopant ».

Obsession. En cause donc, les lois Perben et Sarkozy, leur obsession sécuritaire et un ministre de l’Intérieur qui a clamé à la télévision que les prisons étaient remplies de violeurs et d’assassins. « Aucun progrès réel ne pourra être accompli sans réduction immédiate et drastique du surpeuplement. Ceci constitue une exigence fondamentale pour assurer des conditions dignes et humaines à la population incarcérée. » C’est peu dire que le gouvernement n’en prend pas le chemin.

Notes

[1Institution du Conseil de l’Europe dont les 35 membres (magistrats, juristes, psys, etc.) contrôlent les lieux où des personnes sont privées de liberté (prisons, centres de rétention, centres pour mineurs...).


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