les prisons sont toujours la honte de la République


article de la rubrique prisons
date de publication : mercredi 12 septembre 2007
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En août 2007, la population carcérale a dépassé 64 000 — un record ! Elle a doublé en 25 ans.

Les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires sont souvent révoltantes : surpeuplement, promiscuité, hygiène déplorable, troubles psychiatriques, agressions sexuelles, trafics en tout genre, caïdat...


Bienvenue dans le quartier disciplinaire de Fleury

par Zineb Dryef, Rue89, le 11 sept. 2007

Un rapport accablant, que Rue89 s’est procuré, exige sa fermeture pour insalubrité. Etat des lieux en images.

Ordonnée en janvier par le tribunal administratif de Versailles — saisi par l’Observatoire international des prisons (OIP) — , une expertise dénonce les conditions de détentions des détenus du quartier disciplinaire de Fleury-Mérogis (Essonne), la plus grande prison d’Europe.

Selon les conclusions de l’expertise, loin de satisfaire aux normes internationales, ce secteur "met en danger la santé et la sécurité des personnes détenues qui s’y trouvent temporairement maintenues et des agents chargés de leur surveillance." Plus grave, l’OIP souligne que le risque de suicides y est accru.

Moins d’espace que dans un chenil

Parmi les manquements sévères à la règlementation internationale figure d’abord la taille des cellules : avec une surface totale de 8,21m2 chez les hommes et 7,59m2 chez les femmes, elles sont en deçà des 9m2 requis. Le constat est le même pour la surface dite de "déambulation" (surface totale moins le lit et les sanitaires). Avec à peine 4,15m2, cet espace est inférieur à la surface minimale fixée par la règlementation pour la détention de chiens en chenils (5m2). Les détenus peuvent y passer jusqu’à quarante-cinq jours.

A la petitesse des chambres, il faut ajouter le niveau d’éclairage et d’aération. Le premier est compris entre 7 et 30 lux (la norme est de 300 lux pour la lecture), la seconde est "déplorable, alors même que les pièces comportent des WC".

Lorsqu’ils sortent de ces réduits pour la promenade, soit une heure par jour, les détenus se retrouvent dans des cours de 20m2 à 30m2. Là aussi, l’expertise accuse : dans cette pièce étroite et couverte par des barreaux, le détenu ne se retrouve jamais à l’air libre. En outre, l’insalubrité des cours est telle qu’elles sont vite inondées (et donc inaccessibles) en cas de pluie.

"Un endroit inhumain" pour Dominique Voynet

C’est après une visite de Dominique Voynet à la maison d’arrêt des femmes de Fleury que tout commence. Contactée par Rue89, la sénatrice de Seine-Saint-Denis se souvient de cette visite :

"C’était il y a plus de deux ans. La directrice de la prison m’a expliqué que certaines détenues, ne supportant plus la promiscuité, demandaient à rejoindre une cellule d’isolement. D’autres femmes, violentes ou difficiles, y sont également placées.

"Une chose m’a frappé : la lumière électrique. Il n’y a ni lumière du jour ni aération. Ce n’est pas dans un endroit inhumain comme celui-là qu’on peut soigner des gens violents. Par ailleurs, les surveillants et le personnel souffrent aussi de ces conditions de détention."

Une première pour l’OIP

A l’issue de sa visite, Dominique Voynet a adressé un rapport de visite à l’OIP. Qui a demandé au juge administratif de nommer un expert-architecte chargé de procéder à un relevé dans les quartiers hommes et femmes de la maison d’arrêt.

Une fois le rapport établi et au vu de ses conclusions, l’OIP, par une lettre datant du 30 juillet, a appelé l’administration pénitentiaire à suspendre l’utilisation de ce quartier.

Tenue d’apporter une réponse dans un délai de deux mois, l’administration pénitentiaire n’a toujours pas répondu. Ce qui revient à un rejet implicite. Hugues de Suremain explique que l’OIP est déterminée à obtenir la fermeture de ce quartier :

"Il s’agit de la première procédure de ce type qu’on intente. Si l’administration pénitentiaire ne répond pas d’ici le 30 septembre, nous saisirons à nouveau le tribunal administratif.

"L’Etat contrevient, dans cette affaire, aux normes internes établies par la préfecture d’Evry en matière d’hygiène et de salubrité des lieux d’habitation, mais également à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme".

Contactée par Rue89, l’administration pénitentiaire s’est refusée à tout commentaire, l’affaire étant en cours.

Les images sont extraites du rapport d’expertise.

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Prison : la contradiction

éditorial du Monde, le 6 sept. 2007

La cote d’alerte est atteinte dans les prisons. La ministre de la justice en parle avec gravité — elle a toutes les raisons de s’inquiéter de la situation —, mais le passé ne plaide pas pour l’avenir. Depuis 1974, l’année où les prisons se sont embrasées, les meilleures intentions se sont toujours heurtées à l’inertie du corps social et des pouvoirs publics. Comme si, dans l’inconscient collectif, la prison devait rester un lieu sordide où l’on punit les misérables, et rien d’autre.

La page "Focus" que nous publions montre combien ce pessimisme est fondé : 64 000 personnes sont actuellement enfermées dans les prisons françaises, soit 120 détenus pour 100 places en moyenne. L’air du temps, on s’en rend compte tous les jours, n’est plus à l’indulgence, à la prévention, à la réhabilitation, mais à la répression. La police se montre de plus en plus ferme, la justice hésite de moins en moins à envoyer les délinquants derrière les barreaux. Et les politiques multiplient les lois tournevis, comme celle sur la récidive adoptée fin juillet. A elle seule, elle pourrait conduire 10 000 personnes supplémentaires en prison.

Les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires sont souvent révoltantes. Promiscuité, hygiène déplorable, troubles psychiatriques, agressions sexuelles, trafics en tout genre, caïdat... Débordées par l’afflux de nouveaux détenus, les autorités en oublient que, depuis la Révolution, la mission du système carcéral est certes de punir, mais aussi d’amender le condamné. De le remettre sur le droit chemin. L’échec de cette mission saute aux yeux. Le milieu carcéral est à ce point criminogène que 59 % des détenus relâchés dans la nature sont de nouveau condamnés dans les cinq ans. Comme le remarquait déjà l’historien Alexis de Tocqueville (1805-1859), la prison reste le "noviciat de la récidive". Une école du crime.

Le fatalisme qui domine depuis deux siècles les réflexions sur le système pénitentiaire n’autorise pas les gouvernants à baisser les bras. Mais il relativise leurs déclarations d’intention. Nicolas Sarkozy s’est engagé à faire en sorte que les détenus bénéficient à terme d’une cellule individuelle, une norme prévue depuis... 1875. Il n’a pas fixé de date, et l’on comprend pourquoi : l’administration pénitentiaire a beau se doter chaque année de nouvelles capacités d’accueil, la politique répressive dont M. Sarkozy se veut le champion creuse inéluctablement l’écart avec les besoins.

Une loi pénitentiaire "exigeante", dixit le président de la République, est en préparation. Fort bien. De quels moyens sera-t-elle dotée ? Favorisera-t-elle les alternatives à l’incarcération, seules capables de désengorger les prisons : libération conditionnelle, bracelet électronique, mesures de semi-liberté ? On attend de voir. Non sans un certain scepticisme.

La population carcérale a doublé en 25 ans.

Projet de loi pénitentiaire : les prisons surpeuplées

par Alain Salles, Le Monde du 6 sept. 2007

Scène de la vie ordinaire de la surpopulation carcérale, dénoncée par l’Observatoire international des prisons (OIP), à la nouvelle prison moderne de Meaux-Chauconin (Seine-et-Marne), fin 2006 : "Depuis quelques semaines, certaines cellules de 13,5 m², initialement prévues pour accueillir deux personnes, sont "triplées", le troisième détenu devant dormir sur un matelas à même le sol."

Les prisons sont pleines à craquer, au moment où l’application de la nouvelle loi du 10 août sur les peines planchers va encore augmenter le nombre des détenus. Il y avait 64 069 personnes sous écrou le 1er août. Un record qui s’explique par la suppression de la grâce présidentielle du 14-Juillet. Cette grâce, décriée par de nombreux professionnels parce qu’elle ne permettait pas de préparer la sortie des détenus, servait de soupape à l’administration pénitentiaire (AP), permettant de faire de la place, avant les "rentrées" d’automne.

Pendant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy avait annoncé "l’élaboration d’une loi pénitentiaire exigeante et la création d’un contrôle général indépendant des prisons, qui feront qu’il ne sera plus possible, en France, d’obliger un détenu à partager sa cellule". Le texte sur le "contrôleur général des lieux d’enfermement" a été adopté en première lecture au Sénat. Il a suscité de nombreuses critiques sur les limites accordées à sa mission. La ministre de la justice, Rachida Dati, a créé un comité chargé de préparer une loi pénitentiaire qui devrait être présentée au Parlement en novembre. Mais l’engagement présidentiel sur l’emprisonnement individuel sera difficile à tenir.

La densité carcérale est de 120 %, c’est-à-dire qu’un détenu sur cinq est en surnombre. La situation devient critique quand un détenu souffre de troubles psychiatriques, comme c’est le cas pour environ un quart de la population incarcérée.

Le taux de suroccupation varie en fonction des établissements. Il y a 137 détenus pour 100 places dans les maisons d’arrêt. Censées n’accueillir que des détenus effectuant des peines inférieures à un an, ou des prévenus (en attente de jugement), elles hébergent des prisonniers condamnés à des peines plus longues. Selon le spécialiste Pierre Tournier, près de 10 000 détenus sont dans ce cas. En 2000, la commission du Sénat sur les prisons demandait : "S’il y a beaucoup à faire pour améliorer les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires français, la commission d’enquête estime que priorité doit être donnée au désengorgement des maisons d’arrêt, dont la situation est aujourd’hui indigne d’une démocratie."

La situation n’a guère changé. Depuis 2002, Les maisons d’arrêt ont dû accueillir l’essentiel des 10 000 détenus supplémentaires. Dans un document destiné à la préparation du projet de loi, l’administration pénitentiaire estime que la population sous écrou "pourrait atteindre 80 000 personnes en 2017". Ce scénario a été élaboré avant l’introduction des peines planchers et la fin des grâces présidentielles, qui pourraient entraîner, en cumulant les estimations du chercheur Pierre Tournier, une augmentation à terme, de 17 500 détenus.

Le combat contre la surpopulation est-il gagnable ? Depuis 2002, les gouvernements successifs se sont lancés dans une politique d’accroissement du nombre de places de détention de 13 200 unités. Mais les programmes de construction de prisons coûtent cher et les places sont généralement vite remplies.

L’enthousiasme affiché par l’administration pénitentiaire sur l’application des règles européennes se heurte à la réalité de la surpopulation. L’AP reconnaît que l’emprisonnement individuel - prévu par la loi française depuis 1875 - comme la séparation des prévenus et des condamnés ne sont pas, actuellement, réalisables. Quant aux règles sur les conditions d’hygiène, elles "peuvent poser dans certains cas des difficultés d’application, en raison de la vétusté ou de l’ancienneté de certains établissements". La surpopulation n’est pas prise en compte par les juges. Comme le rappelait l’ancien président de la Cour de cassation, Guy Canivet : "La décision d’un juge de placer en prison ne tient aucun compte des capacités d’exécution de la mesure. On place en détention sans limite de capacité des établissements et l’on demande à l’administration pénitentiaire d’exécuter !"

Rachida Dati a demandé à la commission sur la loi pénitentiaire de développer les alternatives à la prison et les mesures d’aménagement de peine. Elles restent le parent pauvre de la justice, même si des efforts sont faits. Au 1er août, 2 780 personnes étaient sous écrou sans être en prison, ce qui représente une hausse de 65 %, due principalement au développement des bracelets électroniques. Mais ces mesures demandent des moyens. Le nombre de conseillers d’insertion et de probation augmente, mais ils sont 3 600 pour suivre 146 000 personnes. Moins de 5 % des détenus bénéficient d’une libération conditionnelle. Mesure plébiscitée car elle favorise l’insertion, mais décriée quand un fait divers concerne un détenu en libération conditionnelle.

Alain Salles

"Il faut systématiser les aménagements de peine et la liberté conditionnelle"

par Pierre Tournier, chercheur au CNRS
  • Quel peut être l’impact de l’abandon des grâces présidentielles et de l’instauration des peines planchers sur la surpopulation pénale ?

L’impact de la fin des grâces sera plus important que je ne le pensais, car il entraîne un allongement de la durée de détention, qui s’ajoutera au mouvement de 3 000 détenus qui sortaient généralement après le 14-Juillet. Il entraînera une augmentation de la population carcérale, qu’on peut évaluer entre 5 700 et 7 500, dans un délai d’environ cinq ans. J’ai estimé que les lois sur les peines planchers aboutiraient à une augmentation de 10 000 détenus, dans le même délai. Cela veut dire que l’"effort" fait par l’administration pénitentiaire dans la construction de nouvelles places de prisons sera annulé par l’effet des lois Dati et l’abandon des grâces, s’il n’y a pas de refonte radicale de la politique pénitentiaire.

  • Comment peut-on diminuer la surpopulation carcérale ?

Ce n’est pas une fatalité. Le nombre de détenus a baissé en France de 1996 à 2001. Il est en forte croissance depuis. 12 000 prisonniers sont en surnombre dans les prisons, ce qui représente une augmentation de plus de 30 % en cinq ans. On assiste à une évolution dans la population carcérale.

Ainsi, les délinquants sexuels ne sont plus la première catégorie de détenus. Ils représentent 18 % des condamnés, contre 22,4 % en 2001. Au 1er juillet, la première catégorie est celle des gens détenus pour "coups et blessures volontaires". Ils représentent 21,4 % de la population, contre seulement 9,8 % en 2000. Cela coïncide avec l’augmentation des violences contre les personnes dans les statistiques de l’Observatoire de la délinquance.

  • Quelles sont les conséquences de ces évolutions ?

Elles entraînent un bouleversement de la population carcérale. En cinq ans, les condamnés à des peines d’un an et moins ont progressé de 57,2 %. Ils représentent près de 40 % de la population condamnée.

Si la loi Perben II était appliquée, ces courtes peines pourraient être aménagées, pour favoriser une réinsertion. Et cela résoudrait 70 % de la surpopulation carcérale.

  • Qu’attendez-vous du projet de loi pénitentiaire ?

Qu’on systématise les aménagements de peines et la libération conditionnelle. C’est le moyen de lutter contre la surpopulation et la récidive. L’application des règles pénitentiaires européennes va dans le bon sens. Mais cela nécessite que l’on résolve le problème de la surpopulation. Sinon, ce sera un catalogue de voeux pieux.

Je considère que l’application de la règle 50, qui permet aux détenus de participer à l’organisation de la détention et de la vie carcérale quotidienne, est très importante. L’administration pénitentiaire ne la juge pas applicable. Ce serait une véritable étape vers la citoyenneté des détenus. Une expérimentation ne coûterait rien, et cela changerait du tout au tout la vie dans les prisons.

Propos recueillis par Alain Salles
Le Monde du 6 sept. 2007

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