la France une nouvelle fois condamnée pour traitement inhumain et dégradant envers un détenu


article de la rubrique prisons
date de publication : jeudi 9 juillet 2009
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La France vient d’être une nouvelle fois condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour traitements dégradants envers un détenu. La CEDH jugeait la requête de Cyril Khider, 35 ans, détenu depuis 2001. Pour l’Observatoire international des prisons (OIP), cette décision condamne "l’orientation sécuritaire" de la politique pénitentiaire française.

Dans un arrêt du 16 octobre 2008, la CEDH avait déjà jugé les violations en milieu carcéral à l’article 3 de la Convention relatif à l’interdiction de traitements inhumains et dégradants. L’affaire concernait un détenu qui s’était vu infliger une mise en isolement de 45 jours après une tentative de suicide. Le prisonnier avait ensuite mis fin à ses jours.
Nous avons également évoqué sur ce site d’autres condamnations par la CEDH de la politique pénitentiaire de la France.


La France a été condamnée, jeudi 9 juillet, par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour traitements dégradants envers un détenu systématiquement transféré, mis à l’isolement et fouillé à corps. La CEDH, qui alloue 12 000 euros pour préjudice moral à Cyril Khider, 36 ans, reproche également à la France, qui a deux mois pour faire appel, une violation du droit du plaignant à un recours effectif.

Actuellement détenu à Liancourt (Oise), il a été condamné pour vol, séquestration, tentative d’homicide sur un fonctionnaire de l’administration pénitentiaire et concours à une tentative d’évasion par hélicoptère en 2001. Il se plaignait devant les juges de Strasbourg des mesures de sécurité qui lui ont été imposées en tant que "détenu particulièrement signalé".

Ses transfèrements répétés, les prolongations successives de sa mise en isolement et les fouilles corporelles systématiques auxquelles il était soumis, dont une fouille intégrale le 30 juin 2004, constituent un traitement inhumain et dégradant, selon la CEDH. Selon l’arrêt de la Cour, il a été transféré dans seize établissements différents en quatre ans. Des fouilles corporelles ont eu lieu jusqu’à trois fois par semaine dans toutes les maisons d’arrêt à l’exception de celle de Rouen.

L’exposition au regard des surveillants durant l’inspection anale et les postures que le requérant était alors contraint d’adopter constituaient une forme de profanation de son corps, une mesure de dépersonnalisation, pour la CEDH. L’administration pénitentiaire a essentiellement motivé ses décisions par la tentative de Cyril Khider de faire évader son frère.

Le 27 mai 2001, il avait contraint le pilote d’un hélicoptère à survoler la maison d’arrêt de Fresnes et avait alors jeté des armes à son frère et à un codétenu. Un surveillant avait été grièvement blessé dans un échange de tirs avant que les policiers du service "Recherche, assistance, intervention, dissuasion" (RAID) n’interviennent avec succès. Le 17 mars 2007, Cyril Khider a été condamné à dix ans de réclusion criminelle.

[...]

Lemonde.fr, 9 juillet 2009

Condamnation de l’orientation sécuritaire de la politique pénitentiaire par la CEDH : le législateur au pied du mur

Communiqué de l’OIP, le 9 juillet 2009

Ce jour, la Cour européenne des droits de l’homme a, à l’unanimité, condamné la France à raison du régime de haute sécurité appliqué depuis le début de son incarcération en 2001 à Cyril Khider, inscrit au répertoire des Détenus particulièrement signalés (DPS). [...]. Au travers de cette affaire portée par l’OIP, c’est toute la politique pénitentiaire conduite depuis 2003, orientée vers une gestion ultra-sécuritaire de la détention des prisonniers réputés dangereux qui fait l’objet d’une mise en cause cinglante.

La Cour a examiné dans le détail chacune des mesures qui constituent le régime de détention imposé au requérant. Elle incrimine d’abord les rotations de sécurité appliquées, c’est-à-dire un système de transfert continuel d’un établissement à un autre résultant d’une note confidentielle de l’administration pénitentiaire, dont l’OIP a obtenu l’annulation par le Conseil d’Etat le 29 février 2008. La Cour considère « qu’un nombre si élevé [14] de transferts du requérant pendant son incarcération (...) était de nature à créer chez lui un sentiment d’angoisse aigu quant à son adaptation dans les différents lieux de détention et la possibilité de continuer de recevoir les visites de sa famille et rendait quasi impossible la mise en place d’un suivi médical cohérent sur le plan psychologique. »

La Cour pointe « la mise à l’isolement pour une si longue période, combinée avec la dégradation de l’état de santé psychologique et somatique du requérant, qui d’après les certificats médicaux serait imputable aux prolongations répétées de celle-ci ». Elle met ensuite en cause « le caractère répété » de fouilles qui « combiné avec le caractère strict des conditions de détention dont le requérant se plaint, ne paraissent pas être justifiées par un impératif convaincant de sécurité, de défense de l’ordre ou de prévention des infractions pénales et sont, de l’avis de la Cour, de nature à créer en lui le sentiment d’avoir été victime de mesures arbitraires ». Selon les juges, « ces fouilles répétées, pratiquées sur un détenu qui présentait des signes d’instabilité psychiatrique et de souffrance psychologique, ont été de nature à accentuer son sentiment d’humiliation et d’avilissement à un degré tel qu’on peut les qualifier de traitement dégradant. »

La Cour condamne enfin la France à raison de la violation du droit à un recours effectif, constatant que l’intéressé ne disposait pas de moyens efficaces pour contester le régime de transfert et de fouilles corporelles, eu égard à la jurisprudence suivie à l’époque par les juridictions administratives. Enfin, elle alloue au requérant 12 000 euros à titre de réparation du dommage moral subi, considérant que le traitement appliqué était de « nature à provoquer désespoir, angoisse et tension ».

Par ailleurs, la Cour européenne a fait savoir, le 25 juin 2009, qu’elle examinerait les requêtes dirigées contre la France de deux autres détenus, également appuyées par l’OIP. Elle a dans ce cadre demandé au Gouvernement de fournir ses arguments notamment sur la conformité du régime disciplinaire des détenus au principe du procès équitable, ou la compatibilité des modalités d’intervention des ERIS (unités spéciales d’intervention) avec l’interdiction des traitements inhumains et dégradants.

L’OIP considère que la décision rendue aujourd’hui par la Cour européenne appelle une réorientation radicale de la gestion de la détention des personnes condamnées à des longues ou très longues peines. Il constate en outre que le projet de loi pénitentiaire en discussion au Parlement ne satisfait pas aux exigences résultant de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. En effet, le texte laisse, par son silence, en l’état la question du régime de l’isolement et celle des transferts des personnes détenues. Plus largement, le projet de loi accentue le pouvoir reconnu à l’administration de porter atteinte aux droits fondamentaux des personnes qui lui sont confiées, compte tenu de la possibilité qui lui est octroyée de différencier les régimes de détention en fonction de l’appréciation qu’elle porte sur la personnalité et la dangerosité des détenus. La décision de la Cour de Strasbourg met une fois de plus en lumière le fait que le projet de loi pénitentiaire apparaît en contradiction avec les prescriptions du droit européen. L’OIP appelle le législateur à en tirer toutes les conséquences.


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