la main de fer des JAP de Lyon


article de la rubrique prisons
date de publication : jeudi 1er mars 2007
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Un noyau de juges très répressifs sévit à la tête du service d’application des peines.

par Olivier Bertrand, Libération, le 1er mars 2007

Il y a quinze ans, Lyon était un exemple en France pour l’application des peines. Des magistrats motivés usaient de tous les outils possibles pour éviter les incarcérations systématiques et accompagner les sorties de prison, afin de limiter les récidives. C’est fini. Depuis quelques années, un noyau de juges très répressifs a mis la main sur le service d’application des peines. Deux chiffres résument la situation. En 2000, 148
libérations conditionnelles étaient accordées à Lyon. L’année dernière, 11 seulement pour les maisons d’arrêt.

Pierre Sermanson, vice-président chargé du service de l’application des peines, admet cette « chute considérable », et assume : « Notre politique est plus restrictive, mais je préfère qu’on nous reproche cela plutôt que de voir fustiger un collègue parce qu’il aura mis en liberté un condamné qui commet un crime. » L’argument fait bondir les spécialistes : les libérations conditionnelles débouchent sur des taux de récidive plus bas que les sorties sèches, et les lois Perben II entendaient « redonner de la crédibilité aux alternatives à l’incarcération ». 

Fausser. Mais le vice-président Sermanson n’est pas sur cette ligne. Pour lui, les outils d’aménagement sont des « mesures bienveillantes ». Il ajoute : « La société souhaite-t-elle que l’on remette en liberté quelqu’un au prétexte qu’il présente des gages ? Je ne le crois pas. » Civiliste de formation, il répète que sa priorité, « ce sont les victimes ». Et ponctue : « Celui qui viole la loi doit subir une peine, et le latin nous enseigne que la peine renvoie à la souffrance. » 

La hiérarchie se garde de commenter publiquement les décisions de ses juges. Mais Jean-Olivier Viou, procureur général, rappelle que « l’on protège la société lorsque les gens comprennent le sens de la peine, et se réinsèrent ». Pierre Garbit, président du tribunal, ajoute : « Chacun d’entre nous s’interdit de juger les décisions des juges d’application des peines [JAP, ndlr]. Néanmoins, ils sont en quelque sorte les délégataires de la juridiction qui a prononcé la peine. Il leur incombe de mettre en oeuvre toutes les possibilités d’aménagement prévues par la loi, sans dogmatisme ni rigidité. » 

A Lyon, tous les outils patinent. Le centre de semi-liberté connaît depuis septembre un régime peu favorable à la réinsertion. Les bracelets électroniques sont délivrés au compte-gouttes (47 en 2006). Et aucun placement extérieur (pour des stages ou des chantiers) n’a été prononcé l’an dernier. La direction régionale de l’administration pénitentiaire a d’ailleurs retiré Lyon de ses statistiques, pour ne pas les fausser. Lionel Perrin, de l’Observatoire international des prisons (OIP), calcule que Lyon compte 2 % de la population carcérale, mais seulement 0,6 % des libérations conditionnelles françaises, et 13 % des révocations.

Comparaison. La chute des libérations conditionnelles a commencé avec l’arrivée de Christophe Trillou, nommé JAP en septembre 2000, après quatorze ans de parquet. Le magistrat explique que les textes venaient de changer, ce qui rendrait toute comparaison invalide. Mais la loi a changé partout en même temps, et les conditionnelles ont progressé de 5 % en France de 2000 à 2001, pendant qu’elles passaient à Lyon de 148 à 6. « Peut-être que j’ai une pratique plus rigoureuse que mes collègues vis-à-vis de la loi », réagit Christophe Trillou. Le JAP assure n’avoir « pas de volonté de faire passer une philosophie quelconque ». Mais il ajoute : « Lorsque quelqu’un vient me voir parce que sa grand-mère a été traînée par terre pour lui piquer son sac et qu’elle ne comprend pas que l’on offre une deuxième chance à l’auteur, je ne pourrais pas expliquer. » 

D’autres juges du service développent des pratiques curieuses. L’un d’eux s’occupe par exemple des remises de peines supplémentaires, accordées aux détenus en fonction des efforts fournis en détention. Le système mis en place à Lyon est tellement rigide qu’il enlève automatiquement les deux tiers des remises possibles aux détenus qui n’ont pas d’obligation de soin ni de parties civiles à indemniser. « Cela ne me paraît pas anormal, ils fournissent moins d’efforts », approuve Pierre Sermanson, qui admet cependant que la suite est « aberrante »  : l’année dernière, plusieurs détenus ont remboursé leurs victimes avant même d’être incarcérés, mais le JAP leur a refusé les remises de peine, car il ne prend en compte que les versements effectués « durant la détention ». Depuis, le service pénitentiaire d’insertion et de probation recommande aux détenus d’attendre l’incarcération avant de rembourser.

Les stratégies de contournement se multiplient. Les avocats – bien peu investis par ailleurs sur l’application des peines – conseillent à leurs clients de demander des transferts, plutôt que des conditionnelles. L’administration pénitentiaire affecte depuis peu à Villefranche-sur-Saône les détenus devant passer en comparution immédiate à Lyon. Ainsi les courtes peines auront ensuite un JAP fonctionnant normalement. Pareil pour les malades. Lorsqu’ils sont en état d’être transférés, l’unité hospitalière sécurisée interrégionale renvoie les détenus vers des prisons où les JAP accordent des aménagements, car les libérations conditionnelles médicales sont impossibles à obtenir à Lyon, même lorsque le pronostic vital est engagé. Certains magistrats, enfin, contournent eux-mêmes leurs collègues défaillant, en prononçant dès l’audience des peines aménagées, avec application immédiate. De la chancellerie au fin fond des cellules, tout le monde connaît la situation. Le Syndicat de la magistrature et la CFDT ruent dans les brancards, les autres critiques sont plus feutrées. Pierre Vittaz, premier président de la cour d’appel de Lyon, refuse de s’exprimer sur le sujet, mais l’un de ses collaborateurs confie : « Il suffit de regarder les chiffres pour comprendre le problème, mais c’est très complexe car on touche à l’indépendance du juge, qui est plus importante que tout. » Les juges d’application lyonnais restent intouchables tant qu’ils respectent la loi. Même s’ils en trahissent l’esprit.

Ecoeurés. Plusieurs jeunes juges ont tenté un travail plus dynamique. Mais ils sont repartis, écoeurés. « Le fonctionnement de ce service me semble dicté par le confort, soupire Emmanuel Razous, resté JAP durant deux ans. La politique très restrictive et les dysfonctionnements tarissent la source. Lorsqu’un JAP tente de mettre en oeuvre une dynamique d’aménagement avec comme ligne d’horizon l’absence de récidive, il se retrouve marginalisé, culpabilisé. » 

L’application des peines est désormais une forteresse repliée sur elle-même. Les oppositions se sont cristallisées. Pierre Sermanson sait tout le mal que la plupart de ses collègues et la hiérarchie pensent de son service. Mais il se recule dans son fauteuil pour lâcher en souriant : « Je suis indépendant et inamovible. Cela déplaît, mais je
resterai là jusqu’à ma retraite. » 

Olivier Bertrand

P.-S.

Le tribunal de Toulon compte également son JAP respectueux de la lettre de la loi mais non de son esprit : voyez le témoignage qui nous est parvenu.


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