Les musulmans, qui représentent moins de 10% de la population française, sont nettement majoritaires à l’intérieur des prisons françaises. Ces détenus sont souvent des hommes jeunes dont l’incarcération résulte fréquemment du fait que la société française n’a pas su leur laisser prendre une juste place en son sein.
Du fait d’une interprétation restrictive de la laïcité, l’Islam ne bénéficie pas, dans les prisons françaises, de la même reconnaissance que d’autres religions. Cela a pour conséquence de livrer les détenus à un prosélytisme islamiste incontrôlé — et ce n’est pas la radicalisation de la répression de l’“Islam radical ” dans les prisons qui résoudra le problème.
Le quotidien américain estime que "60 % à 70 %" des détenus français sont musulmans, une proportion particulièrement élevée par rapport aux pays voisins et représentative de l’échec de l’intégration des minorités en France.
Le quotidien américain Washington Post constate, dans un reportage paru dans son édition du mardi 29 avril [1], la sur-représentation des prisonniers musulmans dans le système carcéral français, en particulier par rapport à ses voisins européens. Prenant comme exemple la maison d’arrêt de Sédequin, à Lille, et se basant sur des chiffres compilés par des responsables de la communauté musulmane, des sociologues et des chercheurs, l’article estime que "60 % à 70 %" des détenus en France sont musulmans alors qu’ils représentent "à peine 12 % de la population totale du pays". "Sur un continent où la présence des immigrés et de leurs enfants dans les systèmes carcéraux est généralement disproportionnée, les données françaises sont les plus flagrantes", note l’article.
En Grande-Bretagne, 11 % des prisonniers seraient musulmans, pour 3 % de la population. Une étude de l’ONG Open Society du milliardaire américain George Soros souligne de son côté qu’aux Pays-Bas, 20 % des détenus sont musulmans alors qu’ils représentent 5,5 % de la population, et, en Belgique, au moins 16 % de la population carcérale pour 2 % de la population totale.
Les chiffres avancés ne sont pas officiels, explique le Washington Post, car l’Etat français ne demande pas à ses citoyens de communiquer leur origine ou leur religion. En revanche, le quotidien affirme qu’il s’agit d’"estimations généralement acceptées" par les démographes et les sociologues.
"PAS DE CORRÉLATION ENTRE ISLAM ET CRIMINALITÉ"
"Beaucoup d’immigrés arrivent en France dans une situation financière difficile, ce qui rend la délinquance plus fréquente. Le plus important est de souligner qu’il n’y a pas de corrélation entre islam et criminalité", précise Jeanne Sautière, qui s’occupe de l’intégration et des groupes religieux dans le système carcéral français, citée par le Washington Post.
Moussa Khedimellah, un sociologue spécialisé dans les questions d’intégration urbaine, voit dans ce pourcentage une conséquence directe "de l’échec de l’intégration des minorités en France". Pour expliquer l’écart qui existe avec d’autre pays européens, le journal souligne la responsabilité des politiques publiques françaises, qui ont "isolé les musulmans dans des banlieues où le chômage est important, les écoles moins bonnes et les logements de qualité médiocre". "Ces dernières années, le gouvernement français ne s’est intéressé à la population carcérale musulmane que d’un point de vue politique", ajoute l’article, en particulier pour empêcher la propagation de l’islamisme dans les prisons.
Si les prisonniers et travailleurs sociaux interrogés font état d’avancées, des différences de traitement entre prisonniers de religion différente persistent et contribuent à tendre l’atmosphère dans les prisons françaises. "Dans le système pénitentiaire français, il y a seulement 100 imams de disponibles pour les 200 prisons du pays, alors qu’on compte 480 curés, 250 pasteurs et 50 rabbins", assure le quotidien. Symbolique, le cas des repas est mis en avant par le quotidien : si les responsables des prisons acceptent que les détenus refusent le porc, ils n’autorisent pas d’intégrer des produits halal (viande préparée selon le rite musulman) dans les menus des cantines.
Quatre détenus placés au mitard pour une prière collective
par Nathalie Guibert, Le Monde du 5 juin 2004Pour avoir conduit une prière collective dans la cour de promenade, quatre détenus musulmans de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) ont été placés, jeudi 27 mai, au quartier disciplinaire pour huit jours.
Vendredi 7 mai, en début d’après-midi, une prière s’organise sous un préau, pendant la promenade. Le groupe est aperçu du mirador et aussitôt interrompu. Des poursuites disciplinaires sont engagées contre quatre des participants, considérés comme des "meneurs", certains étant prévenus de faits de terrorisme. Mais pour l’avocat de M., l’un des détenus en cause, cette sanction est "disproportionnée" et "contraire à la liberté religieuse". Me Eric Plouvier met en avant le "caractère pacifique de l’exercice en cause" et invoque l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui pose "la liberté de manifester sa religion individuellement ou collectivement, en public ou en privé". M. a reconnu les faits devant la commission de discipline de la prison, indiquant que, incarcéré depuis deux mois, il ignorait que de telles pratiques étaient interdites. "En plus, c’était discret", a-t-il fait valoir.
Pour motiver la sanction, la commission de discipline a rappelé que les pratiques religieuses sont réglementées en prison et que "le fait de provoquer un attroupement dans la cour de promenade afin d’effectuer une prière collective, et cela à plusieurs reprises" était "de nature à perturber le bon fonctionnement de l’établissement". Les décrets prévoient que "chaque détenu doit pouvoir satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle". Dans ce cadre, "il peut participer aux offices ou réunions organisés par les personnes agréées à cet effet", les aumôniers. En principe, tous les arrivants sont informés de ces règles, dont la possibilité de conserver en cellule "les objets de pratique religieuse et les livres nécessaires à leur vie spirituelle", un droit pas toujours respecté. Mais le code de procédure pénale prévoit aussi que "le fait de participer à des actions collectives de nature à perturber l’ordre de l’établissement constitue une faute disciplinaire". [2]
Cet incident est le fait de "détenus qui essaient de recruter en milieu carcéral", affirme le syndicat UFAP. Il serait aussi le signe que "le prosélytisme commence à toucher Fleury-Mérogis". La loi sur le voile aurait aussi tendu le climat. L’administration a pour habitude de changer de bâtiment les détenus étiquetés comme prosélytes, ce qui a été fait plusieurs fois pour l’un des hommes sanctionnés. Auteur de L’Islam dans les prisons (Balland, 2004), le sociologue Farhad Khosrokhavar estime que seule "une infime minorité" des détenus récitent des prières quotidiennes (Le Monde du 30 avril 2004). Mais, précise-t-il, "il est fréquent de voir des prières collectives sauvages dans les établissements". Les musulmans représentent désormais plus de la moitié des effectifs à Fleury-Mérogis comme dans de nombreuses prisons. Or si les catholiques ont la messe, ces derniers ne disposent d’aucun moment de recueillement collectif. "Cette absence est vécue comme un déni de droit, même par les non-pratiquants, ajoute M. Khosrokhavar. Elle favorise les fondamentalistes, qui prennent la direction de la prière. La solution ne passe pas par des mesures disciplinaires, mais par une reconnaissance officielle." [3] Celle-ci bute cependant sur le manque d’imams disponibles. A Fleury-Mérogis, l’administration se persuade que le travail mené sur ce sujet avec le recteur de la mosquée d’Evry est "bien engagé".
Nathalie Guibert
Présentée dans son dernier rapport d’activité par le ministère de la Justice comme un des éléments d’« humanisation des conditions de détention » [5], la liberté de culte en prison s’avère très inégalement respectée. Pour satisfaire aux exigences du Code de procédure pénale qui prévoit que « chaque détenu doit satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle » [6], un millier d’aumôniers interviennent en détention. Nommés par les directeurs régionaux des services pénitentiaires, 324 aumôniers sont indemnisés par l’administration (dont 44 à temps plein), 426 sont bénévoles et 168 sont des auxiliaires bénévoles d’aumônerie. Mais les confessions sont représentées de manière très inégale. Au 1er janvier 2004, il y avait 482 aumôniers catholiques, 286 protestants, 77 musulmans, 66 israélites, 5 orthodoxes et 2 bouddhistes. En décembre 2003, prenant en compte le fait que la religion musulmane est la plus représentée en prison, la Commission sur la laïcité animée par Bernard Stasi a exprimé « le souhait que soient recrutés des aumôniers musulmans » [7]. Une aspiration que l’on retrouve dans de nombreux rapports d’activité ou comptes-rendus de commissions de surveillance des établissements. En 2004, lors de la réunion de la commission de surveillance, le directeur du centre de détention de Tarascon (Bouches-du-Rhône) a regretté qu’il n’y ait pas de référent pour le culte musulman. De même, les rapports d’activité 2003 des maisons d’arrêt de Nice (Alpes-Maritimes), Belfort (Territoire de Belfort) et Cherbourg (Manche) indiquaient qu’aucun aumônier musulman n’intervenait dans ces établissements. A Fleury-Mérogis (Essonne), seuls trois aumôniers musulmans interviennent alors que la direction en demande un pour chacun des sept bâtiments. Le 2 mai 2005, le Conseil français du culte musulman (CFCM) a nommé un aumônier général des prisons. A cette occasion, le recteur de la mosquée de Paris a considéré que « la carence en aumôniers est devenue tellement criante qu’il est urgent de la coordonner. Mon vœu est de multiplier les aumôniers pénitentiaires pour faire reculer tous les risques d’extrémisme et de radicalisme dans les prisons ». Mais la personne choisie n’ayant pas fait l’unanimité, sa nomination a été gelée. [8]
La pratique religieuse quotidienne est souvent rendue difficile par l’organisation de la détention. Les détenus de confession juive et musulmane ont rarement des repas en conformité avec leur culte et des cantines spécifiques ne leur sont pas toujours proposées. Le rapport d’activité 2003 de la maison d’arrêt de Niort (Deux-Sèvres) rapporte qu’un incident collectif a eu lieu à l’occasion du ramadan, du fait de l’absence de cantine spécifique. Comme l’explique le sociologue Farhad Khosrokhavar, « les détenus ne peuvent généralement pas cantiner de la viande halal. Les colis sont interdits à la fin du ramadan mais pas pour noël. Le droit à un tapis de prières n’est pas reconnu. Les prières dans les cellules donnent souvent lieu à des frictions avec les surveillants qui estiment avoir droit d’y entrer à tout moment » [9]. Un constat qui rejoint celui dressé, en 2000, par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, qui évoquait le fait que « les musulmans ont davantage de difficultés pour pratiquer leur religion » [10]. De fait, l’administration pénitentiaire tend à procéder à une gestion disciplinaire des pratiques religieuses des détenus de confession musulmane. Un rapport de la direction générale des renseignements généraux a abondé dans ce sens en évoquant un développement du « prosélytisme islamiste en prison », alimenté par « la promiscuité entre des jeunes détenus de droit commun et des islamistes convaincus ». L’enseignement dispensé à l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) intègre les questions religieuses dans cette optique sécuritaire. Un document de novembre 2004 de la direction des enseignements portant sur le « prosélytisme » est, à cet égard, édifiant. Après une définition sommaire du terme illustrée par des références aux Témoins de Jéhovah, aux missions chrétiennes et à l’Eglise catholique au XIXème siècle, la troisième page du document laisse place à une succession de notes émanant de l’Etat-major de sécurité, l’un des services de l’administration centrale, rappelant l’interdiction du port du voile par les détenues hors de leur cellule et l’obligation de l’enlever sur demande, la nécessité de contrôler l’identité des intervenants extérieurs et appelant les personnels des directions régionales à une meilleure connaissance des phénomènes de prosélytisme islamique. Vient enfin la copie d’articles de presse sur la religion et l’islam. Le sociologue Farhad Khosrokhavar estime pourtant qu’« il y a comme dans la société, un phénomène d’intégrisme en prison mais [qu’] il ne faut pas en surévaluer la portée ». Il dénonce la gestion répressive de l’islam en prison par les autorités. « La population carcérale a connu une profonde mutation depuis une vingtaine d’année. L’institution ne s’est pas adaptée à cette nouvelle donne. Or, il serait temps qu’elle prenne la mesure des transformations intervenues pour y trouver des parades constructives, et non pas uniquement défensives ».
[1] Référence : http://www.washingtonpost.com/wp-dy....
[2] L’un des défenseurs, Me Eric Plouvier, a déposé un recours hiérarchique devant la direction régionale des services pénitentiaires de Paris, mais l’autorité régionale a confirmé, le 22 juin 2004, la décision prise par la commission de discipline. Saisi par l’un des détenus sanctionnés, le tribunal administratif de Versailles a malgré tout considéré la mesure « disproportionnée au regard des faits isolés auxquels il s’est borné à participer, sans avoir conscience de commettre une infraction » et a finalement annulé la sanction le 25 mars 2005. Une sanction depuis longtemps exécutée. [D’après l’OIP - voir la note 4.]
[3] Lire un entretien avec Farhad Khosrokhavar : http://www.prison.eu.org/article.ph....
[4] Rapport 2005 : les conditions de détention en France - Chapitre Formation générale et activités socioculturelles, OIP/La découverte, 2005, 288p.
[5] Rapport d’activité 2004 du ministère de la Justice.
[6] Code de procédure pénale, article D.432.
[7] Rapport de la commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, présidée par Bernard Stasi, médiateur de la République, 11 décembre 2003.
[8] Moulay El Hassan El Alaoui Talibi est actuellement aumônier national musulman. [Note de LDH Toulon]
[9] Farhad Khosrokhavar, « La prison, totalement inadaptée à l’islam, selon un sociologue », AFP, 16 mars 2004.
[10] Assemblée nationale, La France face à ses prisons, juin 2000.