Le Président de la République a effectué le 13 septembre 2011 un déplacement en Seine-et-Marne consacré à « l’amélioration de l’exécution des peines ». Après avoir inauguré le centre éducatif fermé (CEF) de Combs-la-Ville, qui abrite des mineurs délinquants ayant fait l’objet de décisions de placement alternatives à l’incarcération, il s’est rendu dans le nouveau centre pénitentiaire de Réau, doté de 826 places et d’un centre national d’évaluation des détenus, qui accueillera ceux-ci à partir d’octobre 2011.
A cette occasion, Nicolas Sarkozy a présenté un certain nombre de mesures, dont la plus spectaculaire est la décision de construire, d’ici 2017, 30 000 nouvelles places de prison qui s’ajouteront aux 56 000 existant (une augmentation de 53% ...).
Pour l’Observatoire international des prisons, dont nous reprenons le communiqué, « la France n’a aucunement besoin d’accroître le parc carcéral », mais « l’urgence est au développement des moyens pour l’exécution des courtes peines en milieu ouvert et à l’amélioration de la qualité du suivi en vue d’une meilleure insertion et d’une réelle prévention de la récidive. »
Avant de présenter le programme pénitentiaire de Nicolas Sarkozy, le site de la Présidence de la République rappelle quelques chiffres :
LES ANNONCES DU PRESIDENT
Source : le site internet de la Présidence de la République
Création de places de détention
- Afin de lutter contre la surpopulation carcérale, la France a besoin de 80 000 places de prison. La loi de programmation va permettre de construire 30 000 places supplémentaires d’ici 2017. C’est un effort sans précédent, qu’il faut engager dès maintenant en raison des délais de construction.
- Parallèlement, des prisons dédiées aux détenus purgeant une courte peine et ne présentant aucune dangerosité particulière seront ouvertes rapidement.
Michel Mercier proposera, d’ici la fin de l’année, une liste de sites pouvant accueillir ce type d’établissements pénitentiaires, notamment des terrains militaires ou des bâtiments vacants du ministère de la Défense. Plus généralement, le Président veut que les structures pénitentiaires soient diversifiées et adaptées au profil des détenus qu’elles accueillent.Lutte contre la récidive
- Les conseillers d’insertion et de probation sont un maillon essentiel de la lutte contre la récidive. Le gouvernement a demandé à l’inspection générale des finances et à l’inspection générale des services judiciaires de rendre un rapport sur la mise à niveau des moyens et sur l’organisation des services d’insertion et de probation. Michel Mercier mettra en œuvre ses conclusions.
- Prévenir la récidive nécessite de pouvoir mieux évaluer la dangerosité des détenus à chaque étape de leur parcours carcéral. C’est pourquoi la loi de programmation ouvrira 3 nouveaux centres nationaux d’évaluation (complétant ainsi ceux de Réau et de Fresnes). Au total 1600 détenus seront évalués chaque année, puis dirigés vers des établissements adaptés à leur profil ou des programmes de réinsertion.
- Des moyens supplémentaires vont être mobilisés afin de mieux suivre les délinquants sexuels. En particulier, les injonctions de soin devront mieux être appliquées.
- Tous les intervenants de la chaîne pénale devront être en mesure de consulter les informations nécessaires à leur suivi des délinquants. Le Président demande que l’effort d’interconnexion des outils informatiques de la police, de la gendarmerie, des juridictions, des centres de détention et des services d’insertion et de probation, soit engagé immédiatement.
Traitement de la délinquance des mineurs
- La loi du 10 août 2011 renforce déjà les modalités de jugement des mineurs les plus engagés dans la délinquance. Afin de réduire le délai entre le prononcé et l’exécution de la peine, la loi va être modifiée pour que les mineurs qui font l’objet d’un suivi éducatif soient pris en charge dès la décision du juge.
- 20 centres éducatifs fermés supplémentaires (CEF) vont être créés sur tout le territoire. Les CEF, créés en 2002, obtiennent de bons résultats. Dans une optique de réinsertion, s’y côtoieront des jeunes déjà condamnés et des jeunes en attente de jugement.
- Un service citoyen sera mis en place à destination des jeunes auteurs des délits les moins graves. Pendant quelques mois, ces jeunes seront intégrés à un établissement d’insertion de la Défense. Au sein d’un milieu marqué par la discipline, ils rompront avec le cycle de la délinquance. Le Président soutient sans réserve la proposition de loi déposée par Eric Ciotti qui vise à instaurer un tel dispositif.
Construction et gestion par Bouygues de trois prisons en PPP [1]
Conception, construction, financement et exploitation : c’est une première, Bouygues construction a signé le 19 février 2008, des contrats de partenariat public-privé (PPP) avec le ministère de la Justice visant à construire et gérer trois établissements pénitentiaires. Il s’agit de mettre en œuvre des « innovations conceptuelles » participant à la diversification des régimes de détention, et adaptées aux différents profils de détenus. Le contrat porte sur la maison d’arrêt et le quartier courtes peines de Nantes (Loire-Atlantique), le centre pénitentiaire d’Annœullin (Nord) et celui de Réau (Seine-et-Marne). Pour ce dernier, le contrat de PPP a été signé en décembre dernier. Les trois établissements doivent être livrés d’ici 2011, et l’Etat versera un loyer annuel d’environ 40 millions d’euros HT « en contrepartie des prestations prévues au contrat ».
Le contrat comprend la maintenance des établissements, la fourniture des énergies et fluides, la propriété et l’hygiène des locaux et la gestion des espaces extérieurs et des déchets, ainsi que les prestations de services à la personne. Avec ce type de contrat, le ministère de la justice entend « optimiser la dépense d’exploitation des bâtiments en permettant au partenaire privé d’intégrer dès la conception et la construction sous une responsabilité unique les contraintes d’exploitation des bâtiments ».
Communiqué de l’OIP
Sarkozy et le mirage carcéral [2]
Annonçant un objectif de 80 000 places de prison à l’horizon 2017, le président de la République entraîne le pays dans une politique pénale coûteuse et contreproductive en matière de prévention de la récidive. Invoquant le nombre de peines « inexécutées », il estime que la France a besoin de 30 000 places d’emprisonnement supplémentaires pour mettre en œuvre les décisions des magistrats. Or, la plupart de ces peines sont en réalité en attente d’exécution pour être aménagées en surveillance électronique, placement extérieur ou semi-liberté, des mesures moins coûteuses et plus favorables à prévenir la récidive. Ce sont bien le manque de moyens des services de l’application des peines et des services pénitentiaires d’insertion et de probation qui empêchent l’aménagement rapide de ces courtes peines de prison.
Nicolas Sarkozy souhaite revenir sur cette politique d’aménagement de peine, renforcée par sa propre majorité parlementaire lors de l’adoption de la loi pénitentiaire en novembre 2009. Il préfère aujourd’hui « ouvrir rapidement des prisons dédiées aux condamnés pour courtes peines ne présentant pas de dangerosité particulière », dont il reconnaît lui-même qu’ils représentent « la majorité des personnes incarcérées » et que « la plupart des peines en attente d’exécution sont précisément de courtes peines ». Si ces détenus ne présentent pas de « dangerosité particulière », il est permis de se demander pour quelles raisons ils doivent nécessairement purger leur peine en prison. Afin de mieux prévenir la récidive, toutes les études montrent qu’il est préférable d’exécuter ces peines en milieu ouvert qu’en milieu fermé. Les taux de récidive les plus élevés concernent les détenus qui ont purgé la totalité de leur peine en prison : 63% de récidive dans les cinq ans pour les libérés en fin de peine sans aménagement ; parallèlement, les condamnés à des peines alternatives récidivent moins (45%). Dès lors, une première étape pour limiter la récidive réside bien dans le fait d’éviter le plus possible l’emprisonnement, dans la mesure où il aggrave la situation sociale, psychique, familiale des personnes, a tendance à perpétuer les phénomènes de violence et à accroître les risques de passage à l’acte délinquant. Le Conseil de l’Europe a ainsi rappelé à plusieurs reprises que « dans la plupart des cas, la privation de liberté est loin d’être le meilleur recours pour aider l’auteur d’une infraction à devenir un membre de la société respectueux de la loi ».
Le président de la République se réfère également à une prison qui n’existe pas : il évoque une prison où l’encellulement individuel serait respecté, en prétendant que sa majorité « a renforcé le respect de la dignité des détenus en inscrivant dans la loi le principe de l’encellulement individuel ». En réalité, la loi pénitentiaire s’est contentée d’en reporter une fois encore l’application à une échéance de cinq ans, soit novembre 2014. En pratique, ce sont aujourd’hui 60% des détenus qui ne disposent pas d’une cellule individuelle. Avec le développement des centres nationaux d’évaluation, Nicolas Sarkozy fait également croire que les professionnels sont en mesure d’effectuer des évaluations de la « dangerosité », ce qui n’est pas le cas en France. La Haute Autorité de Santé l’a rappelé en mai 2007, indiquant que « tout le monde s’accorde pour relever la forte subjectivité et le flou des contours » de la notion de dangerosité, « souvent ponctuelle » et qui « doit être redéfinie selon la fluctuation de l’état mental, des facteurs environnementaux, des stresseurs, des traitements utilisés »... Non seulement ce n’est pas la dangerosité qui est évaluable mais certains facteurs de risque de récidive. Et de plus, les professionnels français ne sont pas dotés d’outils d’évaluation permettant de repérer ces facteurs sur lesquels cibler l’accompagnement.
Nicolas Sarkozy se garde enfin de préciser que la construction de 30 000 places de prison représente un coût de plus 3 milliards d’euros pour le contribuable. Outre la construction, le coût d’une journée de détention est évalué en moyenne à 82 euros, ce qui reviendrait avec l’incarcération visée de 80 000 personnes, à un budget de 6,5 millions d’euros par jour. A titre de comparaison, une mesure de placement extérieur représente un coût moyen de 15 euros par jour, tandis que l’exécution d’un travail d’intérêt général pendant 18 mois coûte au total 550 euros par condamné.
Pour l’Observatoire international des prisons, la France n’a aucunement besoin d’accroître le parc carcéral pour mieux exécuter les peines et prévenir la récidive. Le Code pénal pose pour principe qu’« une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate » (article 132-24). En ce sens, l’urgence est au développement des moyens pour l’exécution des courtes peines en milieu ouvert et à l’amélioration de la qualité du suivi en vue d’une meilleure insertion et d’une réelle prévention de la récidive.
Paris, 13 septembre 2011
[1] Référence : http://seine-et-marne.evous.fr/Cent....
Le graphisme a été repris de cette page.
[2] Source : http://www.oip.org/index.php/actual....