à propos du “phénomène de radicalisation [de l’Islam] en milieu carcéral”


article de la rubrique prisons
date de publication : mercredi 8 octobre 2008
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Dans le cadre de la lutte anti-terroriste au sein de l’UE, la présidence française a organisé à Saint-Denis, les 30 septembre et 1er octobre 2008, un séminaire sur la « radicalisation islamique en prison » [1].

Dans son allocution d’ouverture, la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, a déclaré que « la lutte contre le terrorisme se joue dans les montagnes afghanes » et aussi «  dans nos pays » où « l’intégrisme, la radicalité accueillent des personnes frustrées, mal à l’aise dans notre société ». « Que se passe-t-il en effet, dans les prisons ? Des jeunes y rentrent à la suite d’actes de délinquance punis par la loi, ils en ressortent animés par des sentiments d’hostilité violente à l’égard de la société et de ses valeurs. » [2]

La ministre ne peut ignorer que plus de la moitié des détenus sont d’“origine musulmane”. Et elle oublie la stigmatisation de l’Islam et les discriminations dont les personnes de religion ou d’origine musulmane sont victimes en France. Un exemple récent : dans un courriel envoyé depuis les locaux des renseignement généraux, un service du conseil régional Rhône-Alpes a été sommé d’indiquer « si parmi votre personnel, vous avez des agents de confession autre que chrétienne ». «  Dans l’affirmative, pouvez-vous me dire si certains d’entre eux ont demandé des aménagements d’horaires ou de service pour pratiquer leur religion » [3].
Peut-on également rappeler la déclaration de François Fillon : «  les causes de ce conflit [d’Afghanistan] sont très profondes (...) C’est l’opposition entre le monde musulman et une grande partie du reste de la planète » [4].

Considérer tout musulman comme un terroriste en puissance, c’est criminaliser après avoir discriminé.

[Mise en ligne le 3 octobre, complétée par le PS le 8 octobre.]

C’est l’indigence sociale et non la pensée religieuse qui islamise la population carcérale

Ce n’est pas la pensée religieuse qui islamise la population carcérale mais l’indigence sociale. Il faut savoir que 90% de cette population est en état de grande paupérisation. C’est l’indigence qui fait que, même des Français d’origine française basculent en écoutant les discussions que les musulmans tiennent comme de véritables colloques dans les recoins des cours de promenade, sur des pelouses pouilleuses ou sous des préaux insalubres. En dehors des affinités amicales (petits groupes de droit commun se connaissant du dehors) les musulmans sont les seuls à pratiquer la notion de partage et d’entraide. Entre détenus musulmans, ou en voie de le devenir et ne se connaissant pas, peu de choses sont mises en commun. Des timbres jusqu’à la nourriture, l’essentiel se donne entre musulmans (à part l’Institution qui gère les indigents en leur procurant une humiliante charité). Un prisonnier sans le sou doit réclamer un autre rouleau de papier W.C. en cas de courante s’il a utilisé le rouleau mensuellement distribué. C’est dire...

Abdel Hafed Benotman [5]

Islam radical : 140 détenus prosélytes, 200 "en voie de radicalisation" en France

Isabelle Mandraud, Le Monde, le 2 octobre 2008

Comment reconnaître un prisonnier en voie de radicalisation islamique ? Les participants au séminaire européen consacré à cette question, réunis à l’Institut national des hautes études de la sécurité (Inhes) en région parisienne, devaient se voir remettre, mercredi 1er octobre, un "Manuel des bonnes pratiques" sur la radicalisation en milieu carcéral : "Comment les groupes professionnels peuvent détecter et faire face" aux radicaux.

Le document recense des indicateurs tels que les codes vestimentaires, - la barbe -, les habitudes alimentaires, ou bien encore les comportements, et notamment le refus d’obéir au personnel pénitentiaire féminin. Il formule aussi des recommandations et mêle les expériences. Il contient, enfin, une analyse sur les prisons, "ces zones de grande fragilité", comme les a désignées la ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie, en inaugurant le séminaire en compagnie de Jacques Barrot, commissaire européen à la justice et à la sécurité.

Lancée par l’Autriche et l’Allemagne, cette initiative aboutit aujourd’hui sous présidence française de l’Union européenne. Confrontés au même phénomène, les pays membres ont, jusqu’ici, opéré selon leurs propres critères.

L’Espagne avait ainsi, sur la base de son expérience de la gestion des terroristes d’ETA, choisi de disperser les détenus soupçonnés de faire du prosélytisme en prison, avant de faire machine arrière après s’être rendu compte que cela leur avait plutôt permis d’essaimer...

En France, trois niveaux "de signalement" ont été établis par l’administration pénitentiaire, comportant chacun six indicateurs. Au premier niveau - l’islam radical très violent - figure parmi les solutions envisagées le transfert du détenu vers un autre établissement. Le placement à l’isolement, en revanche, n’est pas privilégié, car l’administration pénitentiaire s’est aperçue que les détenus jouissaient d’une aura supplémentaire en se présentant comme victimes.

Aux trois niveaux correspondent trois catégories de détenus : 73 sont répertoriés comme étant des terroristes condamnés ou dans l’attente de leur procès ; 140 sont des détenus de droit commun connus pour des actions de prosélytisme ; et 200 autres sont considérés "en voie d’islamisation radicale". Des chiffres à rapporter aux 64 000 personnes détenues dans les prisons françaises. "Nous ne sommes pas dans un phénomène de masse, concède Martin Parkouda, chef d’état-major de la sécurité, à la direction de l’administration pénitentiaire. Mais nous sommes conscients des dangers que cela représente." Les aumôniers musulmans, considérés comme un rempart contre l’emprise des imams radicaux auto-proclamés, sont trop peu nombreux : 117, contre 578 aumôniers catholiques. Ils sont de plus en plus sollicités.

"ACCÉLÉRATEUR"

Jeudi 2 octobre, s’ouvre à Paris le procès de neuf hommes soupçonnés d’appartenir au groupe Ansar al-Fath (les Partisans de la conquête) et d’avoir envisagé des actions violentes en France. Ce réseau avait été fondé par Safé Bourrada, connu pour avoir participé à la vague d’attentats en France en 1995. Or, c’est en prison que ce dernier est parvenu à recruter et convaincre des détenus d’aller combattre en Irak. "Bourrada et consorts, ce sont des référents, explique Christophe Chabourd, chef de l’Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (Uclat). Cherifi (Ouassini Cherifi, également impliqué dans ce réseau) était lié à des détenus de droit commun, des petits braqueurs expérimentés. Ils ont converti des jeunes immédiatement radicalisés. La prison, ajoute M. Chaboud, est un accélérateur qui facilite le basculement avec des caïds qui utilisent la religion pour dominer les autres et imposer leurs propres règles."

L’Observatoire international des prisons (OIP) ne conteste pas le phénomène, tout en le relativisant. "Souvent il s’agit d’un vernis, d’un radicalisme de circonstance de détenus musulmans qui cherchent une protection du groupe et qui n’aurait pas lieu dans un autre contexte", affirme Hugues de Suremain, juriste. Ce responsable de l’OIP dénonce des amalgames : "La pratique collective de certains rites, comme la rupture du jeûne, déclenche ipso facto un étiquetage comme activiste islamiste ou détenu prosélyte." L’OIP conteste l’existence de la cellule de renseignement de l’administration pénitentiaire.

La Commission européenne a mis en place un groupe de travail spécifique sur la radicalisation islamique, et publie quatre nouvelles études. L’une d’elles, consacrée aux "processus de radicalisation violente, chez les jeunes", insiste sur le fait qu’elle "vise à la construction d’une identité politique plutôt que religieuse". "La radicalisation islamiste, poursuit l’étude, marque une rupture et une décomposition de la tradition culturelle de leur milieu d’origine et ne constitue pas une résurgence de celle-ci."

Isabelle Mandraud

Farhad Khosrokhavar [6] : « Les prisons manquent d’imams »

extraits d’un entretien réalisé par Catherine Coroller, Libération, le 30 septembre 2008
  • Combien y a-t-il de musulmans en prison ?

Un peu plus de la moitié des détenus seraient d’origine musulmane. Et jusqu’à 70 % dans certains établissements. Même s’il n’y a pas de statistiques au niveau national, chaque prison sait combien de détenus font le ramadan, la prière. Elles peuvent aussi établir des statistiques sur la base des prénoms. Les aumôniers musulmans ont également une appréciation.

  • Combien de détenus peuvent être qualifiés d’islamistes radicaux ?

Les chiffres officiels donnent aux alentours de 1 100 islamistes condamnés ou en voie de l’être pour association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste. Sur ce total, 440 font du prosélytisme. En théorie, ces détenus sont placés dans des cellules individuelles. A chaque fois qu’ils en sortent, ils sont accompagnés de deux surveillants. Et on les change de prison de temps à autre pour éviter la constitution de réseaux. Mais comme les prisons sont surchargées, on les place dans des cellules plus ou moins isolées.

  • Comment l’islam radical peut-il se développer dans des lieux aussi surveillés ?

A cause d’un nombre insuffisant d’imams qualifiés. Aujourd’hui, il y a 117 aumôniers musulmans dans les prisons contre 600 aumôniers chrétiens ! Il en faudrait au moins autant. Lorsqu’il n’y a pas d’imam, l’administration pénitentiaire a peur, elle interdit par exemple les prières collectives. Du coup, la surpopulation carcérale empêchant que chaque détenu soit placé en cellule individuelle, on voit s’organiser des prières sauvages. Là où il n’y a personne pour dire que l’islam n’est pas seulement le djihad, ces imams auto-proclamés bénéficient d’une capacité d’action quasiment sans limites.

P.-S.

Quand le préfet du Rhône ciblait les musulmans

Depuis une réunion du 8 septembre 2008, le préfet du Rhône s’inquiétait « d’une montée du communautarisme musulman »...

Voici une note du 24 septembre, adressée aux services de police et de gendarmerie du département, où le directeur du cabinet du préfet délégué à la sécurité demandait une enquête « sur l’évolution de ce prosélytisme religieux ». [7]

Notes

[2Le discours de la ministre de l’Intérieur mérite d’être lu dans son intégralité :
http://discours.vie-publique.fr/not....

[3« En Rhône-Alpes, les services de renseignement s’intéressent à la religion des fonctionnaires », LEMONDE.FR avec AFP, 2 octobre 2008 09:31

[4Lundi 1er septembre, François Fillon était l’invité d’Europe 1. Interrogé sur la politique internationale, le Premier ministre est revenu sur les raisons de la guerre en Afghanistan : « Le conflit va durer, parce que les causes de ce conflit sont très profondes (...) C’est l’opposition entre le monde musulman et une grande partie du reste de la planète, c’est le conflit israélo-palestinien, c’est les déséquilibres économiques et sociaux qui règnent dans le monde. Ce ne sont pas des sujets qui vont être effacés comme cela d’un coup de baguette magique. »

[6Sociologue et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Farhad Khosrokhavar a publié deux ouvrages sur le sujet : l’Islam dans les prisons (Balland, 2004) et Quand Al-Qaeda parle : témoignages derrière les barreaux (Grasset, 2006).

[7Référence : « Quand le préfet du Rhône ciblait les musulmans », publié sur
bakchich.info le 8 octobre.


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