un quart des prisonniers sont atteints de troubles mentaux


article de la rubrique prisons
date de publication : mardi 13 juillet 2004
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Article paru dans le Canard enchaîné du mercredi 7 juillet 2004.


Surpopulation galopante, problèmes d’hygiène, sous-encadrement par des surveillants trop jeunes ou
inexpérimentés, mélange des condamnés et des prévenus ... La plupart des quelque 60 parlementaires (dont 6 de droite) qui ont récemment visité, à l’initiative de l’Observatoire international des prisons, un établissement pénitentiaire chacun font le même diagnostic. Notamment sur un point qui explique cette surpopulation : les prisons françaises sont pleines de gens qui n’ont rien à y faire. De là à relâcher sans contrôle efficace ni suivi médical un détenu aussi dangereux que « Pierrot-le-Fou » ...

Chiffres en folie

Noël Mamère a visité le 21 juin la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses, qui a ouvert , fin 2002 mais est déjà surpeuplée : « Il y a 20 à 30% de détenus qui ne sont pas à leur place. J’y ai vu des toxicos qui auraient besoin d’être soignés, des malades mentaux, un autiste, et les surveillants m’ont même parlé d’un vieillard grabataire ... »

Alain Journet, sénateur PS, s’est retrouvé, dans deux cellules de la maison d’arrêt de Nîmes, devant un « grand-père de quatre-vingts ans en récidive de cancer », puis devant « une jeune femme avec son bébé de trois semaines ». Et de se demander, indigné : « Quel danger fait-elle courir à la société ? »
« Dans cette prison, il y a 40% de détenus qui ont des troubles psychiatriques », témoigne, de son côté, le sénateur PC Robert Bret, qui a visité le 19 juin la maison d’arrêt flambant neuve d’Avignon-Le Pontet ouverte en mars 2003.

Une étude publiée par le ministère de la Santé en juillet 2002 estimait à 55 % le nombre de détenus ayant des problèmes psychologiques (anxiétés légères, insomnies et troubles graves confondus). Une étude épidémiologique, menée par la Direction générale de la santé et l’administration pénitentiaire, est actuellement en cours. « Le chiffre national des malades mentaux en prison est plus proche des 25 %, dont environ 8% de psychoses graves », nuance Philippe Carrière, psychiatre à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc. La prison, poubelle de la psychiatrie ?

Trois raisons expliquent, à en croire les psys interrogés par « Le Canard », cet afflux de malades mentaux dans les prisons : les comparutions immédiates, d’abord, qui aboutissent à des incarcérations sans expertise préalable. En deuxième lieu, la tendance grandissante des experts à estimer les criminels « responsables » au moment des faits.


Psychiatres en fuite

Dernière raison avancée : préférant traiter les malades en « milieu ouvert », la psychiatrie publique refuse de plus en plus d’enfermer et, du coup, traîne les pieds lorsqu’il lui faut prendre en charge les cas les plus violents et dangereux. Elle est, en outre, sinistrée. Faute de vocations, plus de 800 postes de psychiatres « de secteur » restent vacants, et le diplôme spécifique des infirmiers psychiatriques ayant été supprimé,les élèves infirmiers de la filière commune ne choisissent qu’à contrecoeur cette spécialité délicate.

Or la prison n’est pas le meilleur endroit pour soigner ces milliers de malades mentaux en état de souffrance aiguë. Seuls 26 des 188 établissements pénitentiaires sont dotés de services médico-psychologiques régionaux.

Quant aux 160 autres, ils jonglent avec les vacations des psychiatres de secteur (quelques demi-journées, par semaine au mieux). Résultat : la visite, en principe obligatoire à l’incarcération, n’est pas systématique, et le repérage ou le suivi des malades est très aléatoire ... Quand l’incarcération aboutit pas carrément à une rupture de soins, comme le raconte le sénateur PS Yves Dauge après une visite à Fleury-Mérogis :
« Parce qu’il avait peur d’un voyageur, un malade a agressé un chauffeur de bus, il a été condamné à un mois de prison en comparution immédiate, et son traitement a été interrompu : maintenant, il croit qu’il y a quelqu’un sous son lit dans sa cellule ... »

Autre aberration de cette « judiciarisation » rampante de la psychiatrie, le cas de ce psychotique interdit de séjour dans le département à sa sortie de la maison d’arrêt de Saint-Brieuc : « Il est soigné pour l’instant à l’hôpital psychiatrique du coin, mais s’il est expulsé des Côtes d’Armor il finira SDF, faute d’attaches ailleurs, et c’est alors qu’il risque de devenir vraiment dangereux », s’indigne le psychiatre Philippe Carrière.

France, terre d’asile ... psychiatrique ?

David Fontaine


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