Après un record historique de 64 971 détenus atteint le 1er juin dernier, les détenus dans les prisons françaises étaient 64 147 au 1er octobre 2011, en augmentation de près de 5 % en un an, selon les statistiques de l’administration pénitentiaire publiées le 13 octobre 2011 [1]. En trente ans la population carcérale a plus que doublé : dans une tribune publiée en juillet 2011 et titrée « Prisons : silence, on entasse », le secrétaire général du Syndicat de la magistrature, Matthieu Bonduelle, rappelait que, le 1er octobre 1981, sous l’impulsion du Garde des sceaux Robert Badinter, la population carcérale était tombée à 29 000 détenus.
Le nombre de personnes sous écrou s’élève aujourd’hui à près de 75 000 car aux 64 971 détenus il faut ajouter les 9 965 personnes bénéficiant d’un aménagement de peine, en augmentation de 29 % en un an : placements à l’extérieur, en semi-liberté, ou sous surveillance électronique – ces dernières au nombre de 7 111.
Les statistiques des dernières années montrent que l’augmentation de la population sous écrou se poursuit, et la construction de nouveaux établissements pénitentiaires entretiendra cette tendance. On ne parviendra à y mettre un terme qu’en renonçant à la politique exclusivement répressive mise en place par Nicolas Sarkozy.
Prisons surpeuplées ou peuple suremprisonné ?
Editorial du "Monde", le 4 août 2011
Il y a une dizaine d’années, une commission d’enquête parlementaire dressait un constat accablant de la situation des prisons françaises : "Une humiliation pour la République", concluait son rapport, resté dans les annales. En juin 2009, à nouveau, le président de la République avait solennellement sonné l’alarme : notre situation pénitentiaire est "une honte pour la République", avait déclaré Nicolas Sarkozy devant le Congrès.
Il faut croire que la France s’habitue à cette humiliation et que ses pouvoirs publics ne rougissent plus de cette honte. Au 1er juillet, en effet, 73 320 personnes étaient placées sous écrou dans notre pays. Le chiffre - en augmentation de 50 % en dix ans - est un record absolu dans l’histoire de la pénitentiaire.
Le nombre de personnes sous écrou ne se confond pas avec celui des détenus ; 18 % des condamnés bénéficient d’un aménagement de peine, comme le bracelet électronique. Reste que près de 65 000 personnes sont incarcérées en France, dans des conditions trop souvent indignes.
Certes, des efforts budgétaires ont été consentis par les gouvernements successifs et les plus vieux établissements, construits avant 1900, vont être progressivement fermés. La chancellerie table sur 70 000 places en 2018, contre 56 000 aujourd’hui. Mais le programme immobilier ne résoudra rien : le nombre de personnes sous écrou a augmenté de près de 7 % cette année, et la surpopulation carcérale est endémique.
La cause de cette inflation pénitentiaire est simple : on emprisonne chaque jour davantage, et pour les délits de moins en moins graves. A cet égard, la responsabilité de l’actuel pouvoir exécutif, et en particulier du chef de l’Etat, est lourde. L’empilement de lois alourdissant les peines, la dénonciation incessante du prétendu "laxisme" des juges, la pression constante exercée sur les parquets banalisent de plus en plus l’emprisonnement.
L’affaire de Pornic a, incontestablement, marqué un tournant. Après le meurtre affreux de la jeune Laëtitia en janvier, Nicolas Sarkozy avait vivement mis en cause les magistrats et les fonctionnaires d’insertion qui, faute de moyens, n’avaient pas assuré le suivi de celui qui est devenu son assassin. Les multiples enquêtes sur les magistrats de Nantes n’ont pas donné grand-chose, mais le message est passé. Les mises à exécution de peines d’un an à moins de trois ans ont augmenté de 50 % : dans le doute, les juges envoient désormais les petits délinquants en prison, où la situation était déjà intenable.
Il faut donc relever le courage du procureur de Dunkerque qui a osé demander, récemment, la suspension des écrous pour les délits les moins graves pendant le mois d’août, avant d’être rappelé à l’ordre par la chancellerie.
"On nous dit que les prisons sont surpeuplées, écrivait Michel Foucault en 1971. Mais si c’était la population qui était suremprisonnée ?" La question est plus pertinente que jamais : il y avait, à l’époque, 29 500 personnes en prison ; elles sont aujourd’hui plus du double.
Les chiffres de la population carcérale en début d’année, de 1997 à 2011 [2] :
année │ | sous écrou │ | non détenus │ | détenus │ | prévenus │ | condamnés |
1997 | 55 584 | 300 | 55 284 | 23 371 | 31 913 |
1998 | 55 393 | 300 | 55 093 | 22 212 | 32 881 |
1999 | 54509 | 300 | 54 209 | 21 289 | 32 920 |
2000 | 51 364 | 300 | 51 064 | 20 736 | 30 328 |
2001 | 47 992 | 310 | 47 682 | 15 273 | 32 409 |
2002 | 50310 | 340 | 49 970 | 17 318 | 32 652 |
2003 | 56770 | 500 | 56 270 | 21 502 | 34768 |
2004 | 60 905 | 669 | 60 236 | 22 799 | 37437 |
2005 | 59 197 | 966 | 58 231 | 20 134 | 38 097 |
2006 | 59 491 | 1 147 | 58 344 | 19 732 | 38 612 |
2007 | 60 403 | 2 001 | 58 402 | 18 483 | 39 919 |
2008 | 64 003 | 2 927 | 61 076 | 16 797 | 44 279 |
2009 | 66 178 | 3 926 | 62 252 | 15 933 | 46 319 |
2010 | 66 089 | 5 111 | 60 978 | 15 395 | 45 583 |
2011 | 66 975 | 6 431 | 60 544 | 15 702 | 44 842 |
Dans la population sous écrou, on distingue ceux qui ne sont pas détenus, du fait d’un aménagement de peine, de ceux qui le sont, et parmi ces derniers, on précise les condamnés définitifs des simples prévenus.
[1] Le nombre de “places opérationnelles” de prison étant de 56 562, le taux de surpopulation est de 113,4 %. Parmi les détenus, les prévenus (en attente de jugement) étaient 16 457, représentant 25,7 % des personnes incarcérées au 1er octobre 2011.
Référence : http://www.justice.gouv.fr/le-garde....
[2] Chiffres du 1er février de 1997 à 2004, et du 1er janvier de 2005 à 2011 :