Le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Alvaro Gil-Robles, dresse un bilan extrêmement sévère des prisons françaises.
Un dossier publié sur le site du Nouvel Observateur, le 22 septembre 2005.
Le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe Alvaro Gil-Robles dresse jeudi 22 septembre un bilan extrêmement sévère des prisons françaises, à l’issue d’une mission de seize jours en France. Pour lui, elles sont les pires d’Europe, affirme-t-il dans Libération.
Alvaro Gil-Robles qualifie notamment la prison des Baumettes à Marseille, d’" endroit répugnant ". Mais c’est avant tout le "dépôt" réservé aux étrangers sous le palais de justice à Paris qui l’a choqué :
" De ma vie, sauf peut-être en Moldavie, je n’ai vu un centre pire que celui-là ! C’est affreux ! Les gens s’entassent dans un sous-sol sur deux niveaux, sans aération. Ils se promènent dans une cour minuscule grillagée de tous côtés. Au second niveau, on marche sur la grille, au-dessus de ceux du premier niveau. Les fonctionnaires en sont eux-mêmes très gênés. Il faut fermer cet endroit, c’est urgent. " [1]
En revanche, Alvaro Gil-Robles juge " encourageantes " ses conversations " très franches et réalistes " avec les magistrats français et a été " impressionné " par le travail de certains éducateurs avec les enfants délinquants.
Rapport fin novembre
Il se félicite de " l’écoute très attentive " du ministre des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy, mais regrette que son homologue de l’Intérieur Nicolas Sarkozy ait "annulé" leur rendez-vous. " Il doit avoir d’autres priorités et c’est dommage ", déclare Alvaro Gil-Robles.
La France était le 32è et dernier pays qu’il visitait dans le cadre de sa mission.
Il doit rédiger un rapport fin novembre qui comportera un certain nombre de "recommandations", non contraignantes, à l’égard des autorités françaises.
"La surpopulation est un vrai problème"
un entretien avec Alvaro Gil-Robles,
les propos ont été recueillis par Christine Gomez
Le constat que j’ai établi dans le contexte de ces visites est d’abord la surpopulation. Les prévenus ne sont pas séparés des détenus, ni les jeunes des personnes ayant de graves problèmes psychologiques. Ces personnes qui ont des maladies sont une charge pour les fonctionnaires et pour le personnel, elles devraient avoir droit à un traitement adéquat. Le manque de personnel est évident. Marseille est un très vieil établissement mais il y a des prisons "très biens" comme, à Avignon par exemple.
Non, je tiens à dire qu’il y a une véritable transparence de la part de l’Etat français. Les fonctionnaires sont très clairs et responsables. Rien n’a été caché, les autorités ne l’auraient pas vraiment apprécié... Durant cette mission, j’ai parlé avec les détenus et j’ai fait part de mes propres constatations. Nous avons également visité des hôpitaux psychiatriques, des commissariats, des centres pour les femmes battues, et des centres pour les enfants qui ont des traitements spécifiques. Nous avons également traité des problèmes concernant les étrangers. Nous avons travaillé avec toutes les ONG. J’ai été très impressionné par le travail du ministère de la Justice et des éducateurs, notamment dans les centres fermés pour mineurs.
Les recommandations sont globalement faites auprès du gouvernement, le rapport sera envoyé à l’Assemblée. C’est à eux de répondre et d’analyser. L’entretien avec M. Sarkozy n’a pas été possible, son agenda est chargé, je n’ai donc pas pu parler avec lui. Je reste disponible et ouvert.
"La France devrait accorder ses discours et ses actes"
un entretien avec Jean-Pierre Dubois, président de la LDH
les propos ont été recueillis par Clément Moulet
C’est très simple, les politiques se désintéressent totalement de cette question. En 2000 est sorti le livre de Véronique Vasseur ("Médecin-chef à la prison de la Santé", ed. le Cherche-midi, ndlr). Il a donné lieu à la mise en place d’une mission parlementaire chargée d’enquêter sur l’état du parc carcéral français. Ses membres ont conclu de manière transpartisane que la situation dans les prisons françaises était, je cite, "une honte pour la République". Depuis, plus rien, si ce n’est l’accroissement continu de la population carcérale. A l’heure actuelle, la politique en la matière consiste à mettre de plus en plus de monde en prison. Il est tout à fait normal, dans ces conditions, que la situation se détériore. La démagogie sécuritaire qui caractérise le discours politique doublée de la surdité des pouvoirs politiques ne peut que conduire à une détérioration des conditions de vie carcérales. Aujourd’hui, il ne semble pas s’esquisser de solutions, nous sommes simplement confrontés à une situation d’embouteillage, et personne ne régule.
Je pense que Sarkozy ne s’intéresse qu’à ce qui peut lui rapporter des voix et notamment ces derniers temps en lorgnant du coté de l’électorat du FN. Mais je trouve que c’est lui faire trop d’honneur que de parler de lui. Ce n’est pas lui qui gère la politique des prisons. Il ne faut pas oublier que Sarkozy n’est qu’un membre d’un gouvernement qui est responsable de cette politique. Plus précisément, ce domaine concerne en premier lieu le ministère de la Justice et l’on a tendance à l’oublier. Il est vrai que Nicolas Sarkozy est plus compétent en matière de communication. En réalité, personne ne va en prison du fait de l’action du ministre de l’Intérieur. Ce sont les magistrats qui condamnent, il ne faut pas perdre ça de vue. Nicolas Sarkozy parle beaucoup et il serait appréciable que les médias ne se laissent pas avoir par ce verbiage.
Pour le reste, en tant que président de l’UMP et candidat potentiel à la présidentielle, on sait qu’il ne s’intéresse pas à ces questions de fond, puisqu’elles ne servent pas ses ambitions et la construction de sa carrière politique.
Je le souhaiterais. J’ai participé à une rencontre très productive avec lui. Mais le passé ne nous permet pas d’être très positifs. La France a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme à propos de la situation des prisons dans le pays, et ce passif nous oblige à rester vigilants et prudents. Je souhaiterais maintenant, que la France cesse de renvoyer une image détestable à l’étranger, qui contraste avec ses discours sur le respect des droits de l’homme. Si notre pays était moins arrogant à la tribune et plus sincère dans ses actes, son image en ressortirait grandie.
[1] Déclaration d’Alvaro Gil-Roblès publiée dans Libération le 22 septembre.