un appel au Parlement pour que la loi pénitentiaire soit revue à la hausse


article de la rubrique prisons
date de publication : mardi 8 septembre 2009
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« Pour que la loi pénitentiaire soit plutôt revue à la hausse ! » un appel aux membres du Parlement intitulé « La prison à la recherche d’un consensus » a été lancé par Pierre V. Tournier. Il a déjà reçu le soutien de plusieurs associations [1] et de plusieurs centaines de professionnels du champ pénal, d’enseignants, d’étudiants, de militants des droits de l’homme.

Pour vous joindre aux signataires,
adressez Nom, prénom, ville, profession et/ou appartenance syndicale et/ou associative et/ou politique à pierre-victor.tournier@wanadoo.fr.


Appel du 1er septembre 2009 aux Membres du Parlement

La prison à la recherche d’un consensus

Dans quelques jours, le texte de la loi pénitentiaire, voté par le Sénat en mars dernier, va venir en discussion à l’Assemblée nationale. Cela fait plus de 20 ans que la question est à l’ordre du jour. Rappelons-nous : en février 1989, dans un contexte de grèves dures des personnels de surveillance, Gilbert Bonnemaison, député, spécialiste des questions de sécurité au Parti socialiste est investi d’une mission de réforme du service pénitentiaire. Dans son rapport remis au Garde des Sceaux, il est question de numerus clausus pénitentiaire, d’assignation à domicile sous surveillance électronique (ADSE) et de bien d’autres choses dont la représentation nationale va débattre dans quelques jours. Homme de terrain, Gilbert Bonnemaison était, sur bien des sujets, un visionnaire. A l’époque, il ne sera guère écouté.

En juillet 2000, le Sénat et l’Assemblée nationale rendent publics les résultats des deux commissions d’enquête créées sur la situation des prisons. Les deux assemblées dénoncent la surpopulation des maisons d’arrêt, le délabrement des locaux, l’absence de contrôle externe et l’arbitraire qui en découle. Du côté du Palais Bourbon, on propose une « grande loi pénitentiaire » et l’instauration d’un numerus clausus pour limiter les incarcérations en maison d’arrêt. Du côté du Palais du Luxembourg, on pense « qu’on ne changera pas les prisons par la seule loi » et que des mesures d’urgence s’imposent. Elles continuent de s’imposer : aujourd’hui encore, on compte 11 411 détenus en surnombre pour une population de 62 420 détenus (1er août 2009, France entière). 500 détenus dorment par terre, sur des matelas installés pour la nuit. C’est inacceptable.

Le contexte ne se prête certainement pas aux solutions simplistes inspirées de tel ou tel dogmatisme quand la société est confrontée à la surpopulation endémique des maisons d‘arrêt, à la crise de sursuicidité carcérale (sans doute liée à la présence de nombre de personnes détenues pour faits de violence et/ ou atteintes de troubles mentaux) et en amont, à l’augmentation des violences constatées par les service de police et de gendarmerie, aux tensions dans les cités, à la détérioration, du fait de la crise, des conditions de vie de tant de nos concitoyens.

Dans cet environnement difficile, plusieurs points positifs sont pourtant à souligner.

  1. La réforme des prisons dont la nécessité n’est contestée par personne peut s’appuyer, aujourd’hui sur un texte international qui fait autorité pour tous les démocrates, de gauche ou de droite, les règles pénitentiaires européennes (RPE), adoptées par les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, en janvier 2006. Ces règles concrètes explicitent les conditions exigées afin de respecter la dignité des personnes détenues tout en agissant pour réduire les risques de récidive.
  2. Le Président de la République, puis la Garde des Sceaux se sont clairement engagés à faire appliquer ces règles.
  3. Sans attendre le vote de la loi, l’administration pénitentiaire est mobilisée dans cette perspective depuis près de 3 ans.
  4. Le texte dont l’Assemblée nationale va débattre a été adopté sans qu’aucun sénateur ne vote contre à la suite d’un débat d’une haute tenue qui doit beaucoup au rapporteur Jean-René Lecerf (UMP). Il est porteur d’évidentes avancées saluées par nombre de personnalités de sensibilité diverses, dont Robert Badinter : avancées vers des conditions de détention plus respectueuses de la dignité de la personne, vers un meilleur suivi des condamnés, avancées – grâces au développement des aménagements de peine - vers une prévention plus efficace de la récidive des infractions pénales, avancées en terme de sécurité publique dans le respect des valeurs de la République.
  5. Enfin, cette loi va pouvoir s’appuyer sur le rôle majeur joué depuis quelques années par le Médiateur de la République dans le champ pénitentiaire, sur celui de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), et sur celui du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Tout cela doit aider à sortir de « l’ère du soupçon » et à relégitimer l’institution pénitentiaire, ce dont l’ensemble de la société bénéficiera.

Nous souhaitons que la majorité actuelle, élue sur un programme qui faisait explicitement référence à l’application des règles pénitentiaires respecte ses engagements. Nous souhaitons que les groupes de la majorité et de l’opposition aient la sagesse de s’atteler, ensemble, à l’amélioration du texte du Sénat, sur tel ou tel point, en retrouvant l’esprit de consensus des rapports parlementaires de l’année 2000.

La punition carcérale est inséparable de la réinsertion [2]

par Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux privatifs de liberté


Au moment où va être à nouveau débattu devant le Parlement un projet de loi pénitentiaire, les discussions sur la prison sont légitimes et bienvenues. Sans prendre parti ni revêtir un rôle que le législateur n’a pas confié au contrôleur général des lieux de privation de liberté, on voudrait rappeler, à la lumière notamment d’une cinquantaine de visites approfondies d’établissements pénitentiaires, de centaines de lettres reçues et d’entretiens approfondis et confidentiels tant avec des détenus qu’avec des membres des personnels ou des tiers intervenants (soignants, visiteurs, aumôniers...), quels sont les enjeux à prendre en considération pour conduire une réflexion productive sur cette question très difficile.

La prison est une sanction pénale punissant les auteurs de délits graves ou de crimes. Peu remettent en cause son rôle sur ce plan. Il convient pourtant de se demander si, dans certains cas, la privation de la liberté d’aller et de venir est la sanction la plus appropriée à la rupture des règles sociales. Ainsi, la Suisse a supprimé de son arsenal répressif, il y a peu, toutes les peines de prison inférieures à un an. Une réflexion est inévitable sur ce point.

On doit analyser lucidement le "besoin de sécurité" et la capacité pénitentiaire. Ce "besoin", impossible à définir, se manifeste par trois phénomènes : le souhait de l’opinion de voir mis quelqu’un en prison, les peines de prison prononcées et celles accomplies. La solution ne peut être seulement de construire à l’infini de nouveaux établissements (bien entendu, trop de prisons vétustes sont à refaire, mais le "modèle" de prison reste à définir). Chacun sent bien que, numerus clausus ou non, il y a une limite et, par conséquent, d’autres incitations pour mettre fin à la violence sociale grave que sont le crime ou le délit.

Si l’opinion est prompte à réclamer des châtiments "exemplaires" - que signifie l’exemplarité d’une sanction pénale ? -, elle est aussi prête à soutenir que l’auteur de la faute soit traité "comme" il a traité sa victime, autrement dit qu’il doit payer cher l’écart commis, à l’échelle de la souffrance engendrée. Il faut dire sur ce point que, d’une part, plus un prisonnier est mal traité, plus mal il se comportera à sa sortie de prison, donc que la demande sociale ainsi formulée est contraire d’évidence à la sécurité que l’on revendique par ailleurs. D’autre part, c’est l’honneur des démocraties de ne point agir sur le bourreau comme lui-même a agi sur ses malheureuses victimes. Autrement dit, la sanction pénale prononcée n’est pas celle de la victime ; elle est celle de la société. La place de la victime dans le procès pénal, qui doit être repensée, ne peut qu’être modeste.

Faut-il penser alors que la prison ne doit plus être qu’une sorte de club de vacances forcées, douceâtres et émollientes ? Une seule visite, même sommaire, en prison permet de voir les difficultés quotidiennes de la vie carcérale et la souffrance, méconnue, qu’elle engendre : ne plus disposer, pendant la durée de la peine, ni de son temps ni de son espace est difficile à supporter. La prison n’est pas une sinécure. Ce caractère lui restera, quoiqu’il advienne, attaché. Il n’existe pas de prison douce.

En revanche, il n’est pas acceptable qu’à ce châtiment s’ajoutent d’autres souffrances non prévues, dans une institution gouvernée 24 heures sur 24 par l’administration de notre République : la promiscuité ; la difficulté de toute intimité ; l’extrême difficulté de prendre des initiatives ; la soumission constante ; les aléas des contacts avec l’extérieur (familles, amis et biens) ; l’indigence des relations entre personnes ; surtout, la violence, les trafics, l’exacerbation des hiérarchies sociales et des tensions dominatrices (les braqueurs et les "pointeurs" ; les gens du voyage et les Français d’origine arabe, les Roumains ou Moldaves et les autres, etc.).

Ces traits permanents des établissements, à l’origine de certains des suicides dont on parle tant et de bien d’autres réactions (automutilations, repli sur soi, dépressions, agressions...), ne doivent pas être acceptés. C’est une question de dignité. A ces souffrances s’ajoutent celles des familles des détenus, dont il a été montré que l’emprisonnement de l’un des leurs devient l’axe autour duquel tourne la vie familiale. La famille devrait être pourtant une aide majeure dans l’exécution de la peine, comme d’ailleurs le visiteur, l’enseignant ou le personnel soignant. L’état des prisons est aussi une cause majeure de souffrance pour les personnels, dont l’immense majorité, fatiguée, lasse, assume dans des conditions fragiles et trop souvent solitaires l’exercice d’une mission très difficile. Il faut certes punir les excès. Mais à condition de donner à chacun les moyens, pas seulement financiers, de gérer une population difficile. Sur ce point, la réforme n’est pas l’ennemie des personnels. Bien conduite, elle est leur meilleure alliée.

La prison est inséparable, contrairement à ce qu’on feint souvent d’ignorer, de deux autres politiques publiques. En premier lieu, la santé psychiatrique : qu’on envisage la prise en charge des maladies mentales en prison est en soi préoccupant. En second lieu, l’accompagnement des plus pauvres : la prison connaît encore trop de sorties "sèches", en dépit des dévouements, et les choses se présenteront mieux lorsque le système pénitentiaire n’agira pas seul, mais sera corrélé avec l’appareillage social du dehors, aussi performant que possible, destiné aux personnes précaires.

La prison génère l’ennui et la frustration. La crise actuelle diminue drastiquement le nombre de postes de travail offerts et génère de puissantes inégalités en détention. On ne peut se contenter de cet état de fait, pas plus que du maigre cadre réglementaire et financier accordé à ceux qui sont choisis pour travailler. La recherche de travail "haut de gamme" (avec l’informatique notamment) ou d’activités génératrices d’insertion effective, de retour aux normes sociales, doit être accrue.

La prison est un tout compliqué. Elle ne peut être abordée par un seul de ses aspects, même (hélas !) dramatique. Elle ne peut être davantage cette "mort lente" qu’a dénoncée il y a peu un groupe de détenus. Elle doit se transformer par un ensemble de mesures qui lui permettront d’assurer les deux missions qui lui sont assignées depuis... 1945 : la punition certes (il ne saurait y avoir sur ce point de faux-semblants ou de faux espoirs), mais aussi la "réinsertion", c’est-à-dire le retour consenti, encouragé, soutenu, à une vie sociale acceptée et partagée.

Jean-Marie Delarue


Notes

[1Associations et organismes soutenant l’appel :
- Association française de criminologie (AFC)
- Association nationale des juges de l‘application des peines (ANJAP)
- Fédération des associations réflexion, action, prison et justice (FARAPEJ)
- Association Nationale des Visiteurs de Prison (ANVP)
- DES Maintenant en Europe
- Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées (GENEPI)
- Mouvement de réinsertion sociale (MRS)
- Aumônerie nationale catholique des prisons
- Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS)
- Secours catholique, Caritas France
- Syndicat national des cadres pénitentiaires - CGC

[2Article paru dans l’édition du 5 septembre 2009 du quotidien Le Monde


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