Réticence des communes, démarches complexes : l’exercice du droit de vote des détenus reste rare.
Par Jacqueline COIGNARD, Libération, mercredi 14 février 2007.
Voir en ligne : le vote : droit ou privilège ?
Combien de détenus voteront dans quelques semaines ? « Très peu, mais plus que d’habitude » , suppute-t-on au siège de l’administration pénitentiaire (AP) qui, stimulée par quelques associations, a lancé une campagne d’information à destination des détenus, en septembre. Lors des dernières élections, les européennes de 2004, seulement 500 d’entre eux avaient participé au scrutin. Deux ou trois par établissement. « Cette fois, nous nous sommes mobilisés pour qu’ils puissent exercer leurs droits » , assure Julien Morel d’Arleux, chef de cabinet du directeur de l’AP.
Approximations. Première inconnue : le nombre de votants potentiels sur une population carcérale d’environ 58 000 personnes. Depuis 1994, la privation des droits civiques n’est plus automatique ; elle doit être prononcée comme peine complémentaire par le tribunal (le plus souvent pour des délits financiers comme les escroqueries ou abus de bien social). Mais aucune étude nationale n’ayant été menée sur le sujet à partir du casier judiciaire, on en est réduit aux approximations. Les étrangers (environ 10 000) et les mineurs (environ 700) sont exclus. Mais on peut imaginer qu’une large majorité des autres peuvent voter, en raison du nombre important de prévenus ou de condamnés à des courtes peines.
Malgré tout, il faut être sacrément motivé pour faire son devoir de citoyen depuis sa cellule. Ceux qui ont conservé une adresse et figurent sur la liste électorale de leur mairie doivent lancer une procédure de vote par procuration. Déjà moins simple que de se rendre au bureau de vote du coin de la rue. « Or, il s’agit d’une population qui, à l’extérieur, n’est pas dans un exercice citoyen massif », remarque Philippe Pottier, chargé des politiques d’insertion à l’AP.
Ceux qui n’ont plus d’attaches au dehors peuvent s’inscrire dans la mairie dont dépend leur prison, comme le précise une note du ministère de l’Intérieur. En théorie. Dans la pratique, beaucoup de maires ignorent ce dispositif ou feignent de l’ignorer. En témoigne la réaction de Michel Humbert, maire (PCF) de Fleury-Mérogis (Essonne) où se trouve la prison réputée la plus vaste d’Europe (jusqu’à 4 000 détenus). « Une prison c’est un peu comme un hôtel : les gens ne peuvent utiliser cette adresse pour s’inscrire sur les listes électorales », assène monsieur le maire. En revanche, il ne voit pas d’inconvénient à ce qu’ils soient comptabilisés comme habitants pour le calcul des subventions. A la mairie de Fleury-Mérogis, aucun détenu n’a jamais été enregistré sur les listes électorales.
Couacs à Grasse. « Cela ne marche que lorsqu’un lien existe depuis un moment entre la prison et la mairie » , explique Marie Crétenot, de l’Observatoire international des prisons (OIP). « Quand ils sont saisis d’une demande d’inscription, certains maires acceptent de se renseigner auprès de la préfecture ou du service juridique du ministère de l’Intérieur. Mais parfois, c’est trop tard » , constate-t-elle. Son dernier pointage lui a permis de détecter de nombreux couacs, notamment à Grasse (Alpes-Maritimes). Et cette fois, c’est le président du tribunal d’instance qui a bloqué. « Les travailleurs sociaux de la maison d’arrêt sont arrivés en mairie avec une vingtaine de demandes, raconte-t-elle. L’employée nous a dit qu’en trente ans de carrière, elle n’avait jamais vu ça. » L’ennui, c’est que pour être plus sûre, celle-ci a pris l’avis du président du tribunal d’instance, normalement compétent pour les litiges d’inscription. Et il conseilla de recaler tout le monde.
A l’inverse, la mairie du XIVe arrondissement de Paris a inscrit une trentaine de détenus de la Santé. Ce résultat est le fruit d’une collaboration entre la prison, la municipalité, et Droits d’urgence, une association qui tient à un point d’accès au droit, dans la prison. « Ils étaient une petite centaine à souhaiter s’inscrire, et nous avons dirigé ceux qui n’avaient pas de domicile vers la mairie du XIVe », explique Kaoutar Djemaï, de Droits d’urgence. Des gens de tout profil, mais nombre de jeunes jamais inscrits. « Beaucoup pensent que du seul fait de leur incarcération, ils sont déchus de leur droit de vote , remarque-t-elle. Mais ils sont pourtant intéressés par les élections et ils suivent les débats à la télévision. »
Une fois franchi l’obstacle de l’inscription à la mairie du coin, encore faut-il trouver l’habitant à qui donner sa procuration. « Dans certaines petites communes, ce n’est pas évident. Joux-la-Ville, par exemple, compte 600 détenus pour 500 habitants », concède Julien Morel d’Arleux. Mais selon lui, les chiffres de nouvelles inscriptions sur les listes qui remontent des neuf directions régionales sont encourageants : une centaine à Strasbourg et à Bordeaux, treize à Dijon... « Nous en avons engrangé environ 500 », calcule-t-il, tout en assurant que l’administration va analyser les points de blocage, pour améliorer le système.