selon l’OIP, la situation dans les prisons empire


article de la rubrique prisons
date de publication : samedi 22 octobre 2005
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Pour l’OIP, qui présente son second rapport, "la dégradation de la situation des prisons ne doit rien à une fatalité qui résulterait de la dangerosité des personnes qui y sont détenues. Elle résulte de choix politiques qu’il serait honnête d’assumer comme tels. "

Ci-dessous, la présentation du rapport par l’OIP, suivie des comptes-rendus publiés sur les sites du Nouvel Obs, de Libé, Le Monde et du Figaro.


Le nouveau rapport sur les conditions de détention en France sort en librairie le 27 octobre 2005. [1]

En 2003, dans sa première édition, le rapport de l’Observatoire international des prisons faisait état d’une institution carcérale minée par la surpopulation. Deux ans plus tard, force est de constater que le tableau s’est encore assombri. Tandis que l’immense majorité des personnes privées de liberté demeure soumise à une promiscuité dégradante, l’escalade sécuritaire dans laquelle s’est engagé le gouvernement l’a conduit à écarter de l’agenda politique toute idée de réforme des conditions de détention. En répondant aux constats répétés des violations de la dignité des personnes détenues par la construction de nouvelles prisons, le ministère de la Justice s’accommode sans état d’âme d’une « humiliation pour la République », un temps dénoncée par les parlementaires unanimes.

Restituant l’ensemble des faits constatés par l’OIP sur la période 2004/2005, ce nouveau rapport dresse un état des lieux des conditions de vie et de travail derrière les murs des prisons françaises. Après un rappel et une mise en perspective des politiques pénale et pénitentiaire en vigueur, l’OIP s’attache à décrire toutes les dimensions de cet univers opaque : intimité et liens familiaux, accès aux soins, mortalité et suicides, régimes disciplinaire et d’isolement, travail et formation professionnelle, activités éducatives et culturelles, argent et coût de la vie, libération conditionnelle, permissions de sortir et semi-liberté, préparation à la sortie... Sur tous ces aspects du quotidien carcéral pèse finalement le choix des pouvoirs publics de gérer la surpopulation carcérale et l’allongement des peines en renforçant les mesures de sécurité. Cette orientation contamine tout le système pénitentiaire, nourrit les violences derrière les murs et annihile tout effort de préparation au retour dans la vie libre.

À l’heure où la réponse carcérale tend à se généraliser, cette radiographie donne à voir et aide à comprendre le monde hors normes des prisons.

PARIS [AP | 20.10.05 | 18:05] - Conditions d’hygiène déplorables, surpopulation, taux de suicide élevé... Le rapport de l’Observatoire international des prisons (OIP), rendu public jeudi, dresse un constat sévère des conditions de détention dans les prisons françaises.

Le premier responsable de cette "détestable politique pénitentiaire " n’est autre que le gouvernement et sa politique pénale actuelle, considère l’OIP.

"La dégradation de la situation des prisons ne doit rien à une fatalité qui résulterait de la dangerosité des personnes qui y sont détenues. Elle résulte de choix politiques qu’il serait honnête d’assumer comme tels ", a estimé jeudi Patrick Marest, délégué national de l’OIP.
Au 1er octobre, la population carcérale était de 57.163 détenus pour une capacité d’accueil de 51.144 places, soit une densité de près de 112%. Un taux à mettre en parallèle avec l’augmentation du nombre des incidents collectifs qui a crû de 155% en cinq ans.

Dans ce rapport, l’organisation non gouvernementale considère que les conditions de détention se sont aggravées au fil des ans. Le nombre de suicides - 115 en 2004, 53 au 1er juin 2005 - pouvant en être un révélateur, observe l’OIP.

Elle note une disparité des soins médicaux et une inadaptation des soins psychiatriques, qui ne permet pas d’assurer correctement la prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiques, une population qui augmente d’année en année.

D’après l’OIP, l’emprisonnement des usagers de drogue accroît leur vulnérabilité sociale. Selon une étude de 2003 sur la mortalité des sortants de la maison d’arrêt de Fresnes, le risque de décès par overdose des 15-35 ans est multiplié par plus de 120 par rapport à la population générale.

L’offre de travail en prison s’est réduite de près de 30% ces cinq dernières années, un tiers des détenus exercent une activité rémunérée. Même constat pour les formations générales qui, selon l’OIP, frisent l’indigence, notamment en matière de lutte contre l’illettrisme.

Concernant la préparation à la sortie de prison, le rapport souligne que "la prise en charge des sortants continue de se faire ’a minima’ " et que "la prison demeure un facteur de précarisation sociale et partant de récidive ". AP

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Tableau plus noir derrière les barreaux

par Jacqueline COIGNARD, Libération, vendredi 21 octobre 2005

« Les raisons de se laisser gagner par le découragement sont innombrables mais il y en a une assez forte pour les combattre toutes : les responsables de cette détestable politique pénitentiaire, eux, ne sont pas découragés. Ils persistent. » Ces mots commencent le deuxième rapport de l’Observatoire international des prisons (OIP), publié hier. Le précédent, en 2003, dressait un état des lieux très sombre d’une institution minée par la surpopulation. En deux ans, la situation n’a fait qu’empirer, constate l’OIP, qui passe en revue tous les aspects de la vie carcérale.

« Cette dégradation résulte de choix politiques », accuse Patrick Marest, délégué national de l’observatoire. Comme les représentants de divers syndicats et associations appelés à commenter ce rapport, il désigne une délirante inflation législative qui pousse à l’incarcération et à un allongement démesuré des peines. Quant à la politique pénitentiaire, elle est uniquement axée sur la construction de prisons neuves et sur le durcissement des conditions de détention, dénonce-t-il. D’où une ambiance de plus en plus délétère, des violences entre détenus, envers le personnel ou envers soi-même (automutilations, suicides). Une tension qui se traduit dans la croissance exponentielle des incidents et procédures disciplinaires : hausse de 155 % en cinq ans du nombre d’incidents collectifs. Tous les intervenants soulignent le décalage entre les discours des parlementaires lors du vote d’incessantes réformes et la situation sur le terrain. Ainsi, lors de l’examen du texte sur la récidive qui termine son parcours au Sénat la semaine prochaine, il a été adopté un amendement qui demande aux chefs d’établissement de favoriser le travail et la formation des détenus. Dans les faits, l’offre de travail s’est réduite de 30 % ces cinq dernières années, et le taux de formation n’a jamais été aussi faible depuis dix ans.

Dans l’hémicycle, on se vante de vouloir empêcher les sorties sèches, sans préparation et accompagnement, et on ne parle plus que de « suivi socio-judiciaire » et « d’obligation de soins ». Cédric Fourcade (CGT-Pénitentiaire) raconte : « Cet été, le service médical psychiatrique régional de Caen a fermé. C’est l’endroit où était initié le suivi des délinquants sexuels, très nombreux au centre de détention de la ville. » Il faut parfois 18 mois pour réussir à établir une carte d’identité pour un détenu, et les subventions de la Farapej, une fédération d’associations qui s’occupe des sortants de prison, ont été diminuées. Tout le monde s’accorde à reconnaître que les travailleurs sociaux sont débordés (120 dossiers en moyenne par personne).

Le rapport décrit la mort en prison pour des détenus malades qui ont attendu, en vain, une suspension de peine. Faute d’experts pour les examiner, d’endroit pour les accueillir à l’extérieur, etc. « L’administration fait le compte de tous les incidents, mais ignore combien de grabataires sont susceptibles de faire l’objet d’une suspension de peine », relève Gabriel Mouesca, président de l’OIP. Les députés, eux, ont prévu de corser un peu le recours à ce dispositif sous-utilisé des suspensions de peine pour raisons médicales.

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Toujours fréquentes, les violences en prison sont de plus en plus graves

par Nathalie Guibert, Le Monde du 21 octobre 2005

Les prisons sont des lieux de plus en plus violents. La surpopulation, la mauvaise santé psychique des détenus et le renforcement des mesures de sécurité y contribuent. Tel est le constat principal du rapport annuel de l’Observatoire international des prisons (OIP) sur les conditions de détention en France, rendu public, jeudi 20 octobre.

Fin septembre, un jeune détenu du centre pénitentiaire de Liancourt (Oise) est mort après une bagarre avec son codétenu. Il s’agit du quatrième meurtre commis en détention depuis le début de l’année, un triste record. En avril, à la maison d’arrêt de Saintes (Charente-Maritime), un homme a été violemment agressé durant deux jours par quatre codétenus. Une instruction est en cours, pour des faits d’"actes de torture et de barbarie " .

Le nombre des fautes disciplinaires est l’un des indicateurs de cette violence. Les rapports annuels d’activité des établissements pénitentiaires, sur lesquels l’OIP fonde son observation, témoignent d’une forte croissance des fautes du premier et du second degré les plus graves : violences physiques, actions collectives, tentatives d’évasion, détention et trafic de stupéfiants, menaces. Les rixes entre détenus sont de plus en plus nombreuses. La maison d’arrêt de Brest en recensait 4 en 2002 ; et 35 en 2003. Au centre de détention de Château-Thierry (Aisne), le nombre de procédures disciplinaires a triplé en trois ans.

Entre 2000 et 2004, les agressions contre les personnels ayant conduit à au moins un jour d’interruption temporaire de travail (ITT) ont augmenté de 53 %, passant de 338 à 519. Les incidents collectifs recensés par l’administration pénitentiaire sont quant à eux passés de 88 en 2000 à 225 en 2004, soit une progression de 155 %.

L’année en cours, non étudiée dans le rapport de l’OIP, devrait confirmer la tendance : les derniers chiffres de l’administration donnent 457 agressions et 257 mouvements de protestation collectifs (mais sans actes graves de type mutinerie) depuis le 1er janvier.

"Le durcissement de la répression disciplinaire traduit la dégradation du climat dans les prisons françaises , souligne l’OIP. Comparativement plus importante que celle du nombre de détenus, l’inflation des incidents observée depuis quatre ans s’accompagne d’une nette tendance à l’aggravation des faits sanctionnés. "

Cette aggravation est à mettre en rapport avec l’évolution de la population pénale. Huit détenus sur dix présentent au moins un trouble psychiatrique. L’acte de cannibalisme commis au mois de juillet 2004 à la maison centrale de Saint-Maur, par un condamné qui a tué un voisin de cellule, a vivement traumatisé surveillants et détenus.

Les observations de l’OIP convergent avec une recherche sur la violence carcérale commandée par la mission Droit et justice du ministère, remise en janvier. Celle-ci avait montré qu’une majorité de personnels et de détenus considèrent la prison comme un lieu violent (85 % des surveillants et des détenus) et dangereux (59 % de personnels, 67 % des détenus).

Les chercheurs ont souligné que les améliorations récentes ont été remises en cause par "l’inflation carcérale massive et brutale des dernières années " . Selon eux, les violences les plus fréquentes, celles qui se produisent entre les prisonniers, sont également nourries par la présence de plus en plus importante des auteurs d’infractions sexuelles (22 % des condamnés), détenus à la "fonction de bouc émissaire " , et par la circulation de la drogue en prison, "aujourd’hui un phénomène massif ".

L’OIP insiste pour sa part sur l’effort de sécurisation récemment conduit dans les prisons, politique sur laquelle la chancellerie a inscrit 73 millions d’euros dans la loi de programmation pour la justice de 2002. L’association rapporte qu’à la maison d’arrêt de Varces (Isère) les dépenses en matière de sécurité ont augmenté de 185 % entre 2001 et 2003, tandis que celles consacrées à l’enseignement et à la réinsertion ont baissé de 46,6 %. A la maison d’arrêt d’Amiens, une partie des locaux du service médico-psychologique régional vient d’être récupérée pour ouvrir des cellules de semi-liberté. L’association dénonce "le déni de tout ce que cette conception de la sécurité comporte de conséquences sur la vie des personnes détenues : du développement de la violence à l’impossibilité de protéger l’intégrité des détenus dans un contexte de surpopulation " .

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Grave pénurie de psychiatres auprès des détenus
Selon un rapport de l’OIP, la situation s’est profondément dégradée en deux ans.

par Angélique Négroni, Le Figaro, le 22 octobre 2005

C’est un rapport accablant sur le milieu carcéral que vient de rendre public l’Observatoire international des prisons (OIP). Durcissement des conditions de détention, regain de violence, insalubrité des lieux, préparation à la sortie des détenus a minima : l’OIP estime qu’en deux ans la situation s’est profondément dégradée. Le dispositif de soins psychiatriques est, également, toujours aussi insuffisant.

L’étude épidémiologique de 2004 l’avait révélé : la prison enferme de plus en plus de personnes souffrant de troubles mentaux. Or les moyens de traitement en milieu carcéral ne sont pas à la hauteur, selon l’OIP. Il réside de surcroît « une grande inégalité » entre les établissements, comme l’a souligné le rapport Burgelin remis en juillet dernier et consacré à une meilleure prévention de la récidive. Ainsi, d’un côté, des détenus bénéficient des structures implantées en milieu carcéral : les services médico-psychologiques régionaux (SMPR). De l’autre, faute de mieux, des médecins se relaient, « ce qui empêche souvent une relation régulière entre eux et le patient », regrette Philippe Carrière, psychiatre à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc.

Pièce maîtresse de l’arsenal psychiatrique en milieu carcéral, les SMPR ne sont que 26 en France pour près de 190 établissements pénitentiaires et ne prennent en charge que 40% de la population carcérale. Avec un groupe de psychiatres permanents, ils garantissent pourtant une qualité des soins. « Nous accueillons chaque arrivant en prison et cet entretien débouche souvent sur un rendez-vous de consultation », explique Evry Archer, chef du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire du Nord-Pas-de-Calais et du SMPR Loos-Sequedin. « Cela permet de relever des troubles dont souffrent des détenus et de les insérer dans un circuit de soins », poursuit-il.

Incontestablement utiles pour prévenir la récidive, notamment dans le domaine de la délinquance sexuelle - qui a fait un bond de 276,5% en quinze ans -, les SMPR manquent cependant de personnel. « Il faudrait doubler nos effectifs », convient Evry Archer, qui, pour 1 500 détenus, travaille avec quatre psychiatres à temps plein et deux vacataires.

Délinquance sexuelle

Mais les candidats ne se bousculent pas pour pourvoir les postes lorsqu’ils sont créés. Dans un contexte général de pénurie de psychiatres, exercer son métier en prison en rebute plus d’un. « On travaille dans une cellule transformée en bureau et ce n’est pas là que l’on se fait une réputation », admet Evry Archer. Ainsi, les deux postes au sein de la maison d’arrêt de Sequedin, vacants depuis le 1er avril, ne seront pourvus que le 2 novembre. Au centre de détention de Caen, faute de médecins, le SMPR a dû fermer une partie de ses services en juillet alors que cette prison accueille 75% de délinquants sexuels.

Autant de situations qui compliquent le suivi médical des détenus, quand elles ne l’interrompent pas purement et simplement.

Notes

[1Editions La Découverte. 20 €.


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