Selon une étude que vient de publier le ministère de la justice dans ses Cahiers de démographie pénitentiaire (numéro 19, juin 2006), sous la responsabilité d’Annie Kensey, l’encombrement des prisons ne s’explique pas par l’accroissement de la délinquance mais par l’évolution des politiques pénales.
Les grâces présidentielles du 14 juillet, critiquées par les personnels pénitentiaires et les magistrats - et la construction de nouvelles prisons verticales - n’apportent pas de solution aux problèmes de fond [1].
Grâces présidentielles du 14 juillet :
une mesure "de court terme", un système inégalitaireMagistrats et personnels pénitentiaires estiment que les traditionnelles grâces collectives du 14 juillet servent surtout à désengorger "à court terme" les prisons en période estivale et critiquent leur mise en œuvre.
"On a quasiment atteint 64.000 détenus en juillet 2004 et si on a pu rebaisser de manière importante, c’est notamment grâce à un décret de grâce important", explique Côme Jacqmin, secrétaire général du Syndicat de la magistrature.
Dirigeant de FO-pénitentiaire, Christophe Marquès note que "l’on est à 59.400 détenus actuellement. Les grâces vont libérer du monde pour un certain temps mais en octobre, ça repartira comme avant. C’est du court terme", déplore le syndicaliste.
"Ca ne sert qu’à gérer la surpopulation carcérale", commente Catherine Sieffert, du principal syndicat des travailleurs sociaux pénitentiaires (Snepap-FSU). Elle estime que le système "génère une grande inégalité de traitement. Si vous êtes jugé à la bonne date, vous rentrez dans le décret de grâce, si vous êtes jugé le lendemain, vous n’y rentrez plus". Elle dénonce une organisation "pas du tout efficace du point de vue de la récidive et de la préparation des sorties".
Doublement de 1975 à 1995, baisse de 20 % entre 1996 et 2001, augmentation de près d’un quart ensuite : la population carcérale a beaucoup varié au cours des trente dernières années. Un étude publiée par le ministère de la justice montre que cette évolution ne dépend pas tant du niveau de la délinquance et de la criminalité que des politiques pénales mises en oeuvre. Celles-ci modifient le nombre des entrées en prison et la longueur des peines, deux facteurs déterminant le nombre des prisonniers.
Après une période de baisse de 1996 à 2001, amorcée donc sous le gouvernement d’Alain Juppé et poursuivie sous celui de Lionel Jospin, la population carcérale a augmenté en 2001. L’année suivante, après les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis et une polémique, en France, au sujet de la remise en liberté d’un criminel récidiviste surnommé « le Chinois », la progression a été de 14 %, la plus forte depuis quinze ans.
La loi Perben I, de septembre 2002, qui a étendu la procédure de comparution immédiate aux délits passibles de 6 mois à 10 ans d’emprisonnement, a fait croître le nombre de condamnés à moins d’un an. Ceux-ci forment 31,2 % des quelque 60 000 prisonniers d’aujourd’hui.
Par ailleurs, l’âge moyen des prisonniers s’élève, sous l’effet, notamment, de la multiplication des violences aux personnes, plus fréquemment commises par des condamnés plus âgés.
Des prisonniers plus nombreux, mais aussi plus violents et de plus en plus vieux : en dix ans, la France a vu changer de façon radicale sa population carcérale, comme le montre l’étude que vient de publier le ministère de la justice dans ses Cahiers de démographie pénitentiaire (numéro 19, juin 2006), sous la responsabilité d’Annie Kensey. Entre 1996 et 2006, le nombre des détenus a progressé de 8 %, pour frôler les 60 000.
La période étudiée est particulièrement intéressante : elle permet de voir que l’encombrement des prisons ne dépend pas de l’évolution de la délinquance, qui n’a pas varié dans les mêmes proportions, mais des politiques pénales mises en oeuvre. Celles-ci modifient le nombre des entrées en prison et le temps que l’on y passe, qui sont les deux facteurs déterminant le nombre des prisonniers à un moment donné.
Ainsi, après avoir doublé entre 1975 et 1995, le nombre des détenus a chuté de 20 % entre 1996 et 2001. « Cette période de décroissance mérite d’être soulignée puisqu’elle n’était plus apparue depuis le milieu des années cinquante », indique l’étude.
L’année 2001 témoigne d’un brusque retournement en faveur de l’enfermement. L’année est marquée par les attentats du 11-Septembre aux Etats-Unis. En France surgit l’affaire dite « du Chinois » : la remise en liberté d’un récidiviste provoque une vive polémique autour du supposé laxisme des juges. S’ensuit une vive remontée des incarcérations. Ce tournant, engagé sous le gouvernement socialiste de Lionel Jospin, est conforté par la droite à partir de 2002, par une réforme de la procédure pénale et un durcissement de la répression de nombreuses infractions.
En 2002, on compte ainsi 14 000 entrées en prison de plus qu’en 2001. L’étude de l’administration pénitentiaire évoque une « croissance surprenante » : « Le plus fort taux de croissance depuis quinze ans s’établit alors, avec 14 % de hausse en 2002 et 7 % en 2003. »
Par la suite, la population se stabilise, mais à des niveaux inégalés depuis trente ans. En 2006, le niveau annuel des entrées en prison a retrouvé celui de 1996. Ce sont désormais plus de 85 000 personnes qui entrent et sortent de prison chaque année.
VIOLENCES AUX PERSONNES
La détention provisoire n’a pas joué dans la hausse des effectifs. Au début des années 1980, les prévenus en attente de leur jugement formaient la moitié de la population carcérale. Ils en représentent le tiers en 2006. Sur la décennie écoulée, ce sont surtout les comparutions immédiates qui ont alimenté le flux des entrées en prison. La loi Perben I de septembre 2002 a donné un coup d’accélérateur à ce mode de jugement rapide en l’étendant à tous les délits encourant de 6 mois à 10 ans d’emprisonnement. Les condamnés à une peine de moins d’un an, qui sont les plus nombreux (11 500 personnes), ont augmenté de 22 % sur la période.
A l’autre bout de l’échelle, les longues peines sont de plus en plus nombreuses. Entre 1996 et 2006, le nombre de condamnés à des peines de vingt à trente ans a été multiplié par 3,5. Si la majorité des entrants en prison demeure composée d’hommes jeunes et socialement peu insérés, la population pénale vieillit. L’étude établit que les plus de 50 ans ont augmenté deux fois plus vite que dans l’ensemble de la population française.
Ces évolutions sont liées à la nature des crimes et des délits commis. La population incarcérée témoigne de l’explosion des violences aux personnes. Le nombre de condamnés pour coups et blessures volontaires a triplé en dix ans : ils représentent 18 % des détenus contre 6 % en 1996. Les condamnés pour viols et agressions sexuelles sont passés de 14 % à 21 %, après un maximum de 24 % en 2001. Or, ces condamnés sont surreprésentés parmi les détenus âgés.
A l’inverse, d’autres catégories de détenus ont beaucoup diminué. C’est le cas des auteurs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, qui formaient le groupe le plus nombreux il y a dix ans. Mais aussi des simples voleurs, passés de 20 % des effectifs à 7,5 % seulement.
A la sortie, les grâces collectives du 14-Juillet et les amnisties décidées par le pouvoir politique jouent un rôle essentiel dans la gestion des effectifs en vidant régulièrement les prisons. Les aménagements de peine, tels que la semi-liberté, le placement à l’extérieur ou le bracelet électronique ne concernent que 6 % des condamnés. Quant aux libérations conditionnelles, régulièrement montrées du doigt en cas de récidive, elles occupent une place marginale : 4 % des sorties.
Pascal Clément propose de construire des prisons « verticales » [2]
Le ministre de la Justice s’est rendu à Manhattan lundi 10 juillet où il a visité le Metropolitan Correctional Center (MCC), un établissement pénitentiaire "vertical" de New York, qui pourrait servir de modèle à la construction de nouvelles prisons en France.
« Je constate qu’en France, dans des grands villes [...] nous avons du mal à trouver les 12 hectares que nous réservions traditionnellement pour la construction d’une prison de 600 a 700 places", a expliqué le ministre de la Justice. « Ce qui m’a intéressé, c’est le concept de prison verticale, avec une économie de terrain colossale. »
Selon Pascal Clément, l’expérience pourrait s’appliquer à des villes comme Nice, où un projet de construction de maison d’arrêt est à l’étude.
Le Metropolitan Correctional Center (Van Buren Street, South Loop) de Chicago, conçu par l’architecte Harry Weese, est en service depuis 1976. Cette prison fédérale est un gratte-ciel "triangulaire" de 27 étages dont le dernier niveau sert de terrain d’activités pour les détenus.
[1] On pourra relire notre article l’évolution de la population pénitentiaire en 2004 - derrière les chiffres, quelle politique ?