“la vie après la peine”, de Serge Portelli et Marine Chanel


article de la rubrique prisons
date de publication : dimanche 9 mars 2014
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Ceux qui sortent chaque année de prison sont-ils des étrangers ou des citoyens à part entière ? Faut-il les aider ou les surveiller ? Peuvent-ils commencer une nouvelle vie ? ...

Ce livre expose les réponses que la société française apporte aujourd’hui à ces questions mais avant tout il donne la parole aux intéressés, quatorze anciens détenus qui racontent leur vie après la peine : un texte indispensable pour qui s’intéresse aux débats actuels sur la réforme pénale ou pour qui veut comprendre ces femmes et ces hommes qui tentent de reprendre vie parmi nous.


Serge Portelli et Marine Chanel, La vie après la peine
éd Grasset, février 2014, 352 pages, 20 €. [*]


Sorti de prison, est-ce qu’on s’en sort ?

La Vie après la peine racontée par ceux qui la connaissent le mieux : les anciens prisonniers. 80 000 personnes sortent chaque année de prison. Qui sont-elles ? Comment les accueillons-nous ? La prison a-t-elle joué son rôle en les isolant de la société durant leur temps d’incarcération ?
Les auteurs ont rencontré des ex-détenus qui ont accepté de témoigner sur leurs conditions de détention, sur ce qui les a amenés à changer (en bien, ou en mal), sur la difficulté à se réinsérer.

Ils rappellent que la loi pénitentiaire votée le 24 novembre 2009 prévoit dans son article premier que « le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions ». Le principe est bien posé : la réinsertion commence en détention, mais qu’en est-il en réalité ?

Selon les témoignages recueillis dans cet ouvrage, de la loi à son application, le chemin est encore long : dans les prisons de notre pays, la violence, l’humiliation, le viol, ont encore cours, et, rendus à la société après avoir accompli leur peine, ces hommes et ces femmes conservent une place particulière, celle du paria.

Un livre qu’il faut lire : il jette un éclairage sans complaisance sur une réalité cruelle. C’est maintenant qu’il faut le lire, alors que l’Assemblée nationale s’apprête à débattre sur le projet de réforme pénale, préparé par la ministre de la Justice.

Christine Flori


Bonne feuille

La maladie

On peut se demander pourquoi l’incarcération de Marie-Jeanne était si nécessaire. A plus de 60 ans, malgré sa maladie et son handicap, on lui a trouvé une place en prison, même si l’établissement était très loin de son domicile. C’est que la maladie, même grave, n’est pas incompatible avec la prison. Il a fallu attendre la loi dite Kouchner, en mars 2002 [1], pour qu’un détenu en fin de vie puisse être libéré. La prison est donc un lieu où existent et même se développent de nombreuses pathologies. Certaines préexistent à l’emprisonnement, certaines apparaissent pendant l’incarcération, d’autres se poursuivent après la libération.

L’état de santé à l’entrée en prison

L’accent a été mis ces dernières années sur la présence de personnes atteintes de maladies mentales dans les prisons, mais bien d’autres pathologies existent à l’entrée en prison. La proportion des personnes malades au moment de leur incarcération est, à âge égal, plus importante que dans la population générale [2]. Dans une situation de fragilité et de précarité alarmante, ces personnes cumulent le plus souvent plusieurs facteurs de risque.

Les maladies mentales

Selon une étude effectuée par les inspections générales des services judiciaires (IGSJ) et des affaires sociales (IGAS) publiée en 2001 (les chiffres de référence sont de l’année 1997), 8,6 % des hommes et 13 % des femmes sur le total des entrants en prison étaient déjà pris en charge avant leur incarcération par des services psychiatriques. La part de ceux qui suivaient un traitement médicamenteux psychotrope était encore plus forte, puisqu’elle atteignait 18,6 %.

Un rapport du professeur Jean-Louis Terra de décembre 2003 [3]
sur la prévention du suicide en prison, publié en décembre 2003, estimait à 55 % le pourcentage des détenus entrants qui présentaient non pas une maladie mais un trouble psychologique : 30 % des hommes et 45 % des femmes étaient atteints de dépression, et 1 détenu sur 5 était suivi avant son incarcération.

Selon l’enquête effectuée en 2003-2004 conjointement par la direction générale de la santé (DGS) et la direction de l’Administration pénitentiaire (voir infra), plus du tiers des détenus avait déjà consulté en psychiatrie.

Les autres pathologies

La santé mentale n’est pas seule en cause dans les pathologies des personnes incarcérées, tant s’en faut. 30 % des personnes mises sous écrou sont toxicomanes. Elles sont aussi nombreuses à présenter une addiction à l’alcool. Les personnes détenues infectées par le VIH et/ou le VHC (hépatite C) représentent 5,3 % de la population pénale, soit un peu plus d’un détenu sur 20 [4]. La tuberculose est 8 à 10 fois plus répandue en prison que dans la population nationale [5]. Une enquête menée en 2001, publiée l’année suivante par l’Insee, montre que la situation de handicap est beaucoup plus fréquente en prison. Plus de trois personnes détenues sur cinq rencontrent dans leur vie quotidienne des difficultés physiques, sensorielles, intellectuelles ou mentales liées à des problèmes de santé [6].

Les personnes âgées

Le nombre de personnes âgées incarcérées est relativement faible mais il connaît une augmentation très importante. Il est à l’origine de problèmes médicaux inédits. Déjà le rapport du CNCE de 2006 relevait que la proportion des personnes détenues de plus de 60 ans [7] avait triplé dans les quinze années précédentes pour atteindre 2 000 personnes en 2005, soit 3,5 % du total de la population. Au 1er janvier 2012, on recensait 2 565 personnes de plus de 60 ans en prison, soit 3,5 % des personnes écrouées, 5 fois plus qu’au 1er janvier 1990 (449). Il s’agit, en grande partie, de personnes condamnées pour des infractions à caractère sexuel [8].

Serge Portelli & Marine Chanel


Notes

[*Martine Chanel a été journaliste, aujourd’hui enseignante
Serge Portelli, magistrat et enseignant, est l’auteur d’ouvrages sur la justice (Juger), la délinquance (Récidivistes, chroniques de l’humanité ordinaire) et la torture.

[1Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, articles 10 et 720-1-1 du code de procédure pénale. Elle permet de suspendre les peines des détenus malades « dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention ».

[2Comité consultatif national d’éthique (CCNE), « La santé et la médecine en prison », rapport 2006, p. 5, http://www.ccne-ethique.fr/fr/publications/la-sante-et-la-medecine-en-prison

[3« Prévention du suicide des personnes détenues », décembre 2003, La Documentation française, Jean-Louis Terra. http://www.ladocumentationfrancaise....

[4512 personnes atteintes par le VIH, 2 076 par l’hépatite C. Enquête « un jour donné » sur les personnes détenues atteintes par le VIH et le VHC en milieu pénitentiaire, juin 2003, http://www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr/analyse.html

[5L’incidence de la tuberculose en 2007 était de 91,7/105 en prison pour 8,9/105 d’incidence nationale.

[6Insee Première, n° 854, juin 2002, « Le handicap est plus fréquent en prison qu’à l’extérieur », Aline Désesquelles (INED) et le groupe de projet HID-prisons, http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ip854.pdf

[7En 2003, on comptait plus de 300 septuagénaires et une quinzaine d’octogénaires.

[8Voir Libération, « Un papy-boom dans nos prisons », 27 août 2012, Florent Peeren, http://www.liberation.fr/societe/2012/08/27/un-papy-boom-dans-nos-prisons_842167


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