on en a rêvé, les Finlandais l’ont fait : diviser par deux le nombre de détenus


article de la rubrique prisons
date de publication : dimanche 17 juin 2007
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La Finlande a réussi l’extraordinaire pari de diviser par deux son taux de détention en 20 ans. Un exemple qui nous enseigne que, pour arriver à ce résultat, « le fait d’être déterminé [...] à réduire le nombre de détenus importe plus que le choix des moyens », comme le souligne le chercheur Tappio Lappi-Seppäla [1].

En Finlande, la politique criminelle est considérée comme étant trop importante pour être livrée aux pressions de l’opinion publique.


Leçons finlandaises

Un article de Stéphanie Coye
publié dans Dedans/Dehors, revue de l’OIP
n°60, mars-avril 2007, consacré aux alternatives à la prison

Avec 73 détenus pour 100 000 habitants au 1er septembre 2005, la Finlande connaît un des taux de détention les plus bas d’Europe, alors qu’il comptait parmi les plus élevés dans les années 1970 (120 pour 100 000 en 1978). Comment ce pays a-t-il réussi à diviser par deux son taux de détention en 20 ans ? Comment est-il parvenu à maintenir une baisse constante de sa population carcérale dans les années 1980 et 1990, alors que la quasi-totalité des pays européens voyait la leur augmenter ? En définissant « l’engorgement des prisons comme un problème qui devrait être réglé et qui peut l’être », explique le directeur de l’Institut national de recherche sur les politiques juridiques Tappio Lappi-Seppäla.

Définir le taux d’incarcération comme un problème

Les années 1960-1970 ont été marquées par une prise de conscience de l’état « honteux » des prisons en raison de la surpopulation. Comme l’explique le chercheur britannique Roy Walmsley, un « petit groupe d’individus clés » a remarqué « que leurs voisins scandinaves comptaient beaucoup moins de détenus et que leur population carcérale résultait de l’influence soviétique sur le pays » [2]. Ce qui les a amenés, poursuit-il, « à définir le taux d’incarcération de la Finlande comme un problème ». Tappio Lappi-Seppäla raconte en effet que « les spécialistes chargés des travaux de planification et des recherches relatives aux réformes étaient animés de la conviction quasi unanime que le taux d’incarcération [...] était une honte, et qu’il serait possible de diminuer considérablement la quantité et la durée des peines d’incarcération infligées sans que cela ait de graves répercussions sur la criminalité ». Cette conviction a été renforcée par des changements dans les idéologies pénales. Le rôle du « châtiment » a notamment été fortement relativisé par un nouveau courant de pensée, qui, sur la base d’analyses de rentabilité (évaluation des coûts et des effets probables des politiques), prônait le développement social comme
« la meilleure politique qui soit en matière pénale ». Suite à la publication de plusieurs études révélant le peu d’effet sur la criminalité des «  traitements coercitifs », une série de réformes a également été engagée afin de réduire, entre autres, le pouvoir des « organismes de justice pénale de restreindre la liberté pour des motifs de réhabilitation ».

La mise en oeuvre d’une politique globale

Cette prise de conscience a débouché sur la conduite d’une politique « réductionniste » pendant vingt ans, à travers trois grands types de réformes visant à refaçonner « la structure du système pénal et les solutions de rechange en matière de détermination de la peine », à changer « la valeur pénale et le niveau des sanctions dans certaines catégories d’infraction » et à modifier « l’exécution des peines d’emprisonnement et le régime de libération conditionnelle ». Une des premières modifications législatives entreprises, en 1971, a limité le régime de la détention provisoire aux seuls « délinquants violents dangereux ». Parallèlement, une politique a été menée afin de développer les alternatives classiques, telle que la hausse du montant des amendes à la fin des années 1970 afin de pouvoir les appliquer à des crimes plus graves ou la possibilité de combiner une amende et une peine avec sursis. Le service communautaire (équivalent du travail d’intérêt général) a pour sa part été introduit à titre expérimental en 1991, avant d’être étendu à l’ensemble du pays trois ans plus tard. Afin qu’il soit appliqué aux seules personnes qui, sans cette mesure, auraient été condamnées à de la prison ferme, la Finlande a privilégié une procédure en deux étapes : le tribunal condamne selon les principes ordinaires de détermination de la peine, puis, dans un deuxième temps, peut décider de son aménagement sous la forme du service communautaire. En 1991, instruction a été donnée aux juges de prononcer les peines les plus courtes en jours plutôt qu’en mois, afin de les faire mieux appréhender la durée de la sentence et les inciter à moins de sévérité. En matière de libération conditionnelle, qui en Finlande intervient d’office après la moitié ou les deux tiers de la peine, plusieurs réformes successives ont réduit le minimum de peine devant être purgé avant de se voir accorder la mesure. Jusqu’à atteindre 14 jours actuellement. Enfin, pour les mineurs, les possibilités de « renonciation aux sanctions » ont été étendues et la règle du non recours à l’incarcération a été renforcée par une loi de 1989, qui prévoit que seuls des motifs « extraordinaires » peuvent justifier une peine sans sursis. Le tout a permis de diviser par dix le nombre de mineurs incarcérés.

Comment la recherche peut influencer les politiques pénales

Le fait qu’une politique de cette ampleur et de cette durée a pu être menée s’explique en grande partie par « le caractère tout à fait exceptionnel du rôle joué par les experts  », explique Tappio Lappi-Seppäla. En effet, parmi les ministres de la Justice qui se sont succédés au cours de ces deux décennies de réformes, plusieurs entretenaient des contacts étroits, personnels et professionnels, avec le monde de la recherche, voire, pour trois d’entre eux, y appartenaient. C’est le cas par exemple d’Inkeri Anttila, qui, à l’époque où elle a été nommée, était professeure de droit pénal et directrice de l’Institut national de recherche sur les politiques juridiques. L’administration pénitentiaire finlandaise elle-même a par ailleurs eu pendant vingt ans un criminologue pour directeur. Selon sa consoeur Sonja Snacken, ce rôle prédominant des chercheurs est lié au fait que, « en Finlande, la politique criminelle est considérée comme trop importante pour la laisser soumise aux pressions de l’opinion publique »
 [3]. Les réformes ont donc été « préparées et menées par un groupe relativement restreint de spécialistes dont les idées sur la politique pénale ont une orientation similaire, du moins en ce qui concerne leurs éléments de base  ».

Un objectif partagé

Pour autant, comme le souligne Tappio Lappi-Seppäla, «  l’élément le plus décisif qui sous-tend tous ces changements est probablement la volonté politique commune de réduire le taux d’incarcération », « partagée par les fonctionnaires, les juges et les autorités pénitentiaires et — tout aussi important — par les politiciens, du moins dans la mesure où ils ne s’opposaient pas aux propositions de réforme qu’établissaient les fonctionnaires du ministère de la Justice ». Ce consensus rare trouve son origine dans différents facteurs. Le chercheur finlandais cite en premier lieu « l’ouverture d’esprit des juges », qu’il explique par « le fait que, dans les facultés de droit, la criminologie et la politique pénale sont enseignées » et que « des cours de formation et colloques » sont régulièrement organisés à l’intention des magistrats. Ainsi,
«  bien souvent, [les tribunaux] avaient changé de pratiques même avant que le législateur modifie la loi ». L’étude de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui n’a pas manqué de se pencher sur le cas singulier de la Finlande, relève également que « les experts finlandais n’ont pas oublié de faire oeuvre de pédagogie à l’égard des médias, “en prenant la peine de leur expliquer longuement pourquoi la Finlande n’avait pas de raison de garder une population pénitentiaire beaucoup plus importante que les autres pays scandinaves et comment on pouvait la réduire” »
 [4]. Une autre raison est à rechercher dans la structure même du marché des médias. En Finlande en effet, les journaux sont traditionnellement vendus par abonnement, et non à l’exemplaire. Ils ne se retrouvent ainsi pas « contraints de lutter quotidiennement pour attirer les lecteurs occasionnels, ou d’avoir recours à des titres choquants ». Les reportages à sensation sur la délinquance se font donc rares et les journaux ne relaient pas non plus les lobbys qui prônent des peines plus sévères. Un contexte médiatique qui n’incite pas les politiciens finlandais à faire campagne autour de l’insécurité. Enfin, analyse Tappio Lappi-Seppäla, le fait d’avoir élaboré des « stratégies convaincantes de prévention de la criminalité hors du cadre du droit pénal » et « clarifié les effets (modestes) des sanctions atténue la confiance non fondée qu’a le public envers le système pénal », ce qui amoindrit les pressions exercées sur ce dernier et facilite au contraire les efforts faits pour réduire le recours à l’incarcération.

Notes

[1Tappio Lappi-Seppäla, « La régulation de la population carcérale. Expériences tirées d’une politique de longue durée en Finlande », Ottawa Conference, 2000. Sauf mention contraire, toutes les citations sont tirées de cet article.

[2« La situation de la population carcérale dans le monde : croissance, tendances, enjeux et défis », Ottawa Conference, 2000.

[3Sonja Snacken, « Analyse des mécanismes de la surpopulation pénitentiaire », in La surpopulation pénitentiaire en Europe, Groupe européen de recherches sur la justice pénale, Bruylant, 1999.

[4Commission nationale consultative des droits de l’homme, Les alternatives à la détention, 2007, à paraître à la Documentation française.


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