BIOAP : la biométrie entre en prison


article de la rubrique prisons
date de publication : mardi 22 juin 2010
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Vient de paraître au Journal officiel un décret autorisant la création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel propre à chaque établissement pénitentiaire afin de permettre l’identification des personnes écrouées, en utilisant une technologie de reconnaissance du contour de la main [1].

La sénatrice des Verts Alima Boumediene-Thiery a protesté contre la création de ces fichiers qui traduisent « un grand mépris pour les droits des détenus, attachés à la préservation de leurs libertés individuelles, et notamment leur droit à une vie privée. » [2]

Ce fichier BIOAP a été précédé dans les établissements pénitentiaires par un fichier clandestin : le “Cahier électronique de liaison”.

[Mise en ligne le 17 juin 2010, complétée le 22]



Le décret précise les finalités :


- établir une carte d’identité interne des personnes écrouées ;
- procéder à l’identification de ces personnes, afin notamment de lutter contre des tentatives d’évasion par substitution. (art. 1er).

Ainsi que les données retenues pour ces traitements : les éléments classiques d’identité (nom de famille, nom d’usage, alias et prénoms ; photographie d’identité numérisée), le numéro d’écrou, le gabarit du contour de la main et le suivi des contrôles d’identification (art. 2).

Le fonctionnement [3]

Le système d’identification biométrique est un système d’information local propre à chaque établissement pénitentiaire. En termes d’architecture, il est composé d’un serveur hébergeant la base de données utilisée par les applications installées sur chaque poste où se situe un lecteur biométrique.

La fonctionnalité principale du traitement est l’identification par biométrie palmaire des détenus lors des entrées et sorties de l’établissement, des accès aux parloirs ou encore d’accès à certaines zones particulières (établissements de santé, par exemple).

Lors de la vérification de l’identité de la personne écrouée à une borne de contrôle, celle-ci présente sa carte personnelle encodée du numéro d’écrou. A partir du numéro d’écrou encodé et imprimé sur la carte personnelle, une transmission des données se fait, depuis la base de données installée sur le serveur local vers les bornes de contrôle. Un écran de contrôle permet une première vérification visuelle par un surveillant via l’affichage du nom du détenu, de son prénom, de son numéro d’écrou et, selon le dispositif mis en place, de sa photographie. Un message apparaît sur l’écran de la borne, signalant que le lecteur biométrique est prêt à prendre le gabarit de la main de la personne écrouée.

Une fois ce gabarit saisi, l’application le compare avec celui qui a été enregistré dans la base de données. Si les deux sont identiques, un message de validation de l’identité s’affiche. Dans le cas contraire, le surveillant est alerté d’un problème sur l’identification de la personne écrouée. Après avoir répété la procédure et si celle-ci reste infructueuse, la personne écrouée est conduite au greffe de l’établissement qui a initialement procédé à la prise d’empreinte digitale par encre de l’index gauche prise au moment de l’incarcération et renseignée au registre d’écrou dans le volet identité de la personne écrouée.

Si l’empreinte digitale ne concorde pas, l’usurpation est avérée. Si elle concorde, le greffe procède au nouvel enrôlement de l’empreinte palmaire de la personne écrouée dans le logiciel.

Observer, surveiller, mesurer, calculer les déplacements des personnes dans une prison

L’inconvénient de ce type de fichiers est de servir implicitement une
expérimentation quant aux surveillances à organiser des différents
déplacements d’une personne dans un établissement public donné, notamment
lorsque, pour une circulation à effectuer, des portes sont à déverrouiller,
des codes sont à composer, des portiques sont à franchir, etc.

Ce sont donc ces suivis qui révèlent l’enjeu de la création de ces traitements
informatiques : observer, surveiller, mesurer, calculer les déplacements des
personnes dans une prison. Cette perception est renforcée par le
dispositif précisé à l’article 3 du décret. En effet, si les données à
caractère personnel ne sont conservées que « jusqu’à la levée d’écrou faisant
suite à la libération ou au transfèrement définitif des personnes écrouées »,
les enregistrements des contrôles d’identification opérés lors ce ces
déplacements eux, « sont conservés un mois à compter de leur survenance ».

Geneviève Koubi [4]


P.-S.


[Ajouté le 22 juin 2010]

Le “Cahier électronique de liaison”
fichier clandestin de l’Administration pénitentiaire

Les Big Brother Awards [5] avaient signalé la mise en place dans les établissements pénitentiaires, sans autorisation et dans l’indifférence générale, de fichiers dits de “suivi comportemental” contenant une multitude d’informations personnelles sur les détenus, sans que ces derniers en soient informés. L’Observatoire international des prisons – OIP – a saisi la CNIL d’une plainte et attaqué devant le Conseil d’État une note interne de la direction de l’administration pénitentiaire, initiant le déploiement de ce fichage sauvage dans l’ensemble des établissements.

« Les informations conservées dans ces fichiers tentaculaires constituent des données personnelles à caractère sensible, au sens de la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978, puisque certaines ont trait à la santé ou à la pratique religieuse des détenus. Elles sont collectées par les différents professionnels intervenant dans la prison sous couvert de faciliter la gestion du service. Au-delà de fiches dressant le profil du détenu et de grilles d’évaluation de sa “dangerosité” supposée, les personnels de surveillance sont appelés à y enregistrer des fiches d’observation dans lesquelles ils portent leur appréciation sur la personnalité des prisonniers. Appréciations subjectives qui sont ensuite utilisées par la direction pour décider du régime de détention, c’est-à-dire des conditions de vie, de chaque personne détenue.

« [...] Des informations à caractère médical y figurent, même si un grand nombre de services de santé, au nom du principe du secret médical, refusent de les renseigner en dépit des pressions exercées sur eux.

« L’OIP demande que cesse cette collecte illégale de données sensibles et que celles-ci soient détruites. Fin avril 2010 la Cnil n’avait toujours pas réagi à ce fichier illégal. » [5]

Notes

[1Le décret n° 2010-615 du 7 juin 2010 portant création de traitements automatisés de données à caractère personnel relatifs à l’identification biométrique des personnes écrouées, dénommés « BIOAP » : http://www.legifrance.gouv.fr/affic....

[3Extrait de la délibération de la Cnil, n° 2009-684 du 3 décembre 2009 : http://www.legifrance.gouv.fr/affic....

[4Extrait de Geneviève Koubi, « Les fichiers BIOAP, le suivi de circulation en prison » : http://koubi.fr/spip.php?article421.


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