selon l’administration pénitentiaire, 80 000 personnes pourraient être détenues en 2017


article de la rubrique prisons
date de publication : lundi 16 juillet 2007
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Or, les prisons françaises ne devraient disposer, à cet horizon, que de 64 000 places...

L’occasion de réfléchir à l’exemple des Finlandais qui, en vingt ans, ont divisé par deux le nombre des détenus.

[Première mise en ligne le 14 juillet, complétée le 16 juillet 2007]

Rachida Dati s’engage à réformer les prisons

par Nathalie Guibert, Le Monde du 14 juillet 2007

Une loi sur les prisons est promise pour l’automne. Elle portera sur quatre points : les missions du service public pénitentiaire et de ses personnels, les droits et devoirs des personnes détenues, les aménagements de peine et les régimes de détention. La mise en place d’un contrôleur général des lieux d’enfermement, qui doit permettre à la France de se mettre en conformité avec les conventions de l’ONU, fera l’objet d’un texte à part. Ce projet doit être soumis au Sénat le 30 juillet, puis à l’Assemblée nationale à la rentrée.

Une note de synthèse de l’administration pénitentiaire, présentée à l’occasion de la mise en place du comité d’orientation de la future loi par la ministre de la justice, Rachida Dati, mercredi 11 juillet, sonne néanmoins l’alarme. Selon l’administration, 80 000 personnes pourraient être détenues en 2017. Or, les prisons, à cet horizon, ne devraient disposer que de 64 000 places. La surpopulation carcérale, problème majeur, sera donc durable, prévoient les responsables pénitentiaires. Des efforts budgétaires massifs seront nécessaires entre 2008 et 2012, sous peine d’une crise majeure.

Evolution de la population écrouée depuis 1996.

Le débat sur la surpopulation carcérale a été relancé par la décision du président de la République, Nicolas Sarkozy, de ne plus accorder la traditionnelle grâce collective du 14 Juillet. La grâce jouait le rôle d’une soupape de sécurité, permettant chaque été de soulager provisoirement les prisons, en faisant sortir de manière anticipée de 3 500 à 5 000 détenus.

La décision présidentielle n’a pour l’heure pas provoqué de mouvements importants chez les prisonniers. Personnels pénitentiaires et administration s’accordent à dire que la situation n’est pas plus difficile que d’habitude. Mais les surveillants ont été appelés à la vigilance.

Le nombre des prisonniers au 1er juillet, habituellement dévoilé dans les premiers jours du mois, n’avait toujours pas été publié par le cabinet de la garde des sceaux, vendredi 13. Au 1er juin, les prisons hébergeaient 60 800 personnes pour 50 500 places. La politique pénale mise en oeuvre depuis 2002 ne cesse de déborder les investissements massifs consentis par l’Etat dans ce secteur.

Parmi les 190 prisons, 142 établissements ou quartiers dépassent leur capacité d’accueil. Les maisons d’arrêt comptent déjà 12 000 détenus de trop. Matelas au sol, hygiène précaire, activités réduites au minimum : on gère l’urgence. A la prison de Fresnes, dans le Val-de-Marne, 2 400 personnes sont sous écrou pour 1 600 places ; à Villepinte, en Seine-Saint-Denis, 860 pour 600. À Nantes, rapporte une source syndicale, les surveillants changent chaque jour 40 % des prisonniers de cellule pour gérer les tensions. « Le délai fixé par la loi pour généraliser l’encellulement individuel [1er juin 2008] ne sera pas respecté », affirme le document de synthèse de l’administration.

Selon celle-ci, certains indicateurs sont positifs : un taux de détention provisoire à la baisse (29 %), une durée moyenne d’incarcération stable (8 mois), un nombre d’évasions au plus bas niveau européen (11), des suicides moins nombreux (93 en 2006). Mais, soulignent les services ministériels, la population incarcérée « est plus violente, notamment du fait de l’apport de détenus en provenance d’Europe de l’Est mal connus des services pénitentiaires, et d’une dégradation de l’état psychique des détenus ». Un tiers d’entre eux, selon cette source, sont atteints de troubles psychologiques.

De plus, une majorité des condamnés l’ont été pour des faits de violence : « Cela se traduit par un fort accroissement des violences en détention, ce que subissent les détenus autant que les personnels. » En outre, en cinq ans, le nombre des « détenus particulièrement signalés », considérés comme les plus dangereux (grands criminels, terroristes), a augmenté de 50 %. Le calme a été maintenu au prix d’importants investissements en matière de sécurité : mise en place d’un véritable service de renseignement interne, création des équipes d’intervention spécialisées, brouilleurs de téléphones mobiles, biométrie, filins antihélicoptère, etc.

Dans ce contexte, la mission de réinsertion de l’administration pénitentiaire « se heurte à de grandes difficultés », constate-t-elle. Les lois récentes sur l’aménagement des peines ont montré leurs limites. La préparation à la sortie, propre à faire diminuer la récidive, concerne une minorité de prisonniers. Sur ce sujet, l’administration suggère d’explorer de nouvelles pistes : une meilleure évaluation de la dangerosité des personnes ; des aménagements de peine systématiques (dans certains pays, la libération conditionnelle est automatiquement accordée aux deux tiers de la peine) ; enfin, un meilleur concours des collectivités locales. « Nos publics doivent pouvoir intégrer les dispositifs de droit commun et ce dès avant leur libération », assure la note.

Sur ce sujet, les responsables pénitentiaires sont très critiques. Ainsi, font-ils remarquer, il demeure « impossible qu’un dossier d’inscription au RMI soit instruit en détention ; l’attribution de l’allocation personnalisée d’autonomie se heurte aux questions de domiciliation des détenus ; les collectivités hésitent à intervenir auprès de personnes qui ne sont pas considérées comme étant leur public ».

Syndicats de surveillants, magistrats et travailleurs sociaux veulent prendre au mot la garde des sceaux, qui a annoncé une relance de la politique d’aménagement des peines et des alternatives à la prison, bracelet électronique notamment. Mais les professionnels s’inquiètent des effets contraires de la loi sur les peines planchers. Le scénario pour 2017 comporte ainsi « une forte zone d’incertitude », résume l’administration. Qui formule deux hypothèses : « Une variante optimiste fondée sur une prise en compte par les magistrats de la surpopulation carcérale dans leurs décisions d’aménagement des peines. »

La variante pessimiste « conduit à une prison à deux vitesses ». Si l’administration remplit plus qu’il n’est prévu les prisons cogérées avec le secteur privé (27), elle paiera des pénalités très importantes. La surpopulation se concentre donc sur les vieilles maisons d’arrêt. Plus d’un bâtiment pénitentiaire sur deux a été construit avant 1920. La direction de l’administration l’admet : « Ce patrimoine n’est plus conforme aux normes d’hygiène et de sécurité obligatoires pour l’hébergement des personnes écrouées. » Au total, 25 établissements, qui hébergent 2 600 détenus, sont si vétustes et surpeuplés qu’« ils doivent absolument fermer d’ici à 2012 ». Or, « l’Etat n’entretient pas son patrimoine ». Pour éviter la crise, il faudrait tripler les crédits de maintenance.

La loi d’orientation pour la justice de septembre 2002 a prévu de construire ou rénover 13 200 places. Seules 500 ont été livrées à ce jour, dont les quatre prisons spécialisées pour les mineurs. Le plein effort pour les prisons portera donc sur les budgets 2008 à 2012, sous peine d’une crise majeure. Tandis que l’Etat engage une réduction drastique de ses dépenses, il devra ainsi prévoir 1 milliard d’euros de crédits immobiliers, recruter 4 500 nouveaux fonctionnaires et, par an, dégager 150 millions d’euros de crédits de fonctionnement supplémentaires.

Nathalie Guibert

P.-S.

Notre commentaire : plus il y a de places en prison, plus on incarcère !
Alors, au lieu de s’inquiéter de l’évolution du nombre de places disponibles, il faudrait réfléchir à la prévention, à la réinsertion...
Et réfléchir à l’exemple des Finlandais qui en vingt ans ont divisé par deux le nombre des détenus. Il est vrai qu’en Finlande la politique criminelle est considérée comme étant trop importante pour être livrée aux pressions de l’opinion publique et à la démagogie des politiques.


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