la CNDS surveille les surveillants


article de la rubrique prisons
date de publication : dimanche 11 mars 2007
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La prison est devenue une source de préoccupation croissante pour la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). Cette
année, elle a ajouté à son rapport annuel une étude sur l’administration pénitentiaire de 2001 à 2006 [1].

Vous trouverez ci-dessous, après une petite revue de presse, la partie de l’introduction du rapport 2006 qui concerne les prisons.


Nouveau rapport sévère sur les violences des fonctionnaires dans le secteur pénitentiaire

par Jacqueline Coignard, Libération le 8 mars 2007

Comme les policiers ou gendarmes, les surveillants de prison font l’objet de plaintes de plus en plus nombreuses auprès de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). Même si le mode de saisine de l’instance (via un député ou un sénateur) est encore moins évident pour un détenu. Dans son rapport 2006, publié aujourd’hui, la CNDS donne un coup de projecteur sur ces plaintes contre l’administration pénitentiaire, qui représentent 14,9 % des dossiers reçus depuis 2001 (71 sur 474), et dresse une sorte de bilan de son action dans ce domaine.

« Complaisance ». De 3 dossiers en 2001 (sur 19), on est passé à 22 en 2006 (sur 140), relate la commission. Dans la dernière fournée, 5 plaintes visent le seul centre pénitentiaire de Liancourt (Oise). Elles ont déjà fait l’objet d’avis extrêmement sévères de la part de l’instance, qui a réclamé des sanctions disciplinaires et pénales contre plusieurs surveillants de la maison d’arrêt (Libération des 14 décembre 2006 et 22 janvier 2007).

Tabassages, humiliations... A Liancourt, un petit groupe faisait régner un
« climat de terreur » sous la houlette du premier surveillant,
B. C., qui « semble avoir exercé un pouvoir illégitime, arbitraire, de par la passivité, si ce n’est la complaisance, du directeur adjoint M. H. », écrit la CNDS.

Deux surveillants ont été suspendus en janvier, après avoir été condamnés par la justice (quatre mois de prison avec sursis pour violences). L’audience du 20 février devant leur instance disciplinaire a été reportée. L’administration pénitentiaire explique qu’elle attend l’issue de deux plaintes pénales visant d’autres surveillants pour statuer. Ce qui risque de prendre plusieurs mois. Dans l’un des cas, il y a eu mort d’homme : Olivier T., 32 ans, s’est pendu après un tabassage qui l’avait conduit à l’hôpital.

Tous les dossiers ne sont pas aussi lourds, mais la commission explique qu’en six ans, elle a traité douze décès (dont sept suicides, notamment en quartiers disciplinaires). Les réclamations concernent les maisons d’arrêt, plus nombreuses et peuplées que les autres établissements. Toutefois, la CNDS signale que le pavillon E2 de l’hôpital Pasteur de Nice (Alpes-Maritimes) a été l’objet de deux saisines, pour un problème récurrent : l’annulation d’examens médicaux, faute d’escorte pour accompagner les détenus.

Cantines. Autre source de tensions entre détenus et
surveillants : la gestion des « cantines » (vente de produits,
notamment alimentaires) est souvent défaillante, surtout dans les
établissements récents, où elle est confiée à une société privée.
Les fouilles de cellules ou les fouilles corporelles intégrales
fournissent leur lot d’avis critiques.
« M. X... a été mis à nu et fouillé, ce qui ne semblait pas
s’imposer au regard des dispositions du code de procédure
pénale. » 
La phrase revient sans cesse, et suggère que les
surveillants utilisent le procédé pour brimer les détenus
identifiés, à tort ou à raison, comme des fauteurs de troubles.

La CNDS évoque aussi les placements en cellule disciplinaire de
détenus très malades, ou les abus du recours à l’isolement. Au
chapitre
« usage disproportionné de la force », elle se penche sur les
interventions musclées des groupes d’intervention de la police ou
de la gendarmerie nationale (GIPN et GIGN) et des bataillons de
surveillants créés en 2003 : les Eris (équipes régionales
d’intervention et de sécurité). Elle relève, par exemple,
l’utilisation d’un pistolet à impulsions électriques (Taser) sur
une détenue.
« Cette intervention faisait suite à la dénonciation d’un
prétendu projet d’explosion de sa cellule à l’aide de l’extracteur
d’oxygène dont elle disposait pour des raisons de
santé », 
commente la commission, qui regrette que personne n’ait
pensé à privilégier la parole.

Représailles. L’envoi de ces unités casquées,
bottées, encagoulées ne s’impose pas, non plus, pour changer de
cellule un détenu agité, remarque la commission. Surtout sans avoir
tenté d’identifier la raison de son agitation : de multiples
transferts l’éloignant un peu plus de sa famille.

Un détenu qui saisit la CNDS peut-il faire l’objet de mesures de
rétorsion ? C’est ce qu’affirme l’un d’entre eux, A. A., qui avait
dénoncé des violences subies à Moulins, en 2003, à la suite d’une
prise d’otage. Dans une nouvelle plainte, il dit essuyer
commentaires, menaces et punitions injustifiées, de prison en
prison.

Jacqueline Coignard

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Le rapport analyse les dysfonctionnements de l’administration pénitentiaire

par Alain Salles, Le Monde du 9 mars 2007 [extraits]

La CNDS a été saisie de 12 cas de décès, dont 7 suicides. Elle regrette "la méconnaissance, par l’administration pénitentiaire, des antécédents des détenus" : en 2002, deux détenus étaient morts après avoir mis le feu à leur cellule dans une prison dont le directeur ne savait pas que l’un d’eux avait fait l’objet de procédures pour incendie volontaire.

La Commission s’inquiète de la situation des détenus en quartier disciplinaire où "le dispositif de surveillance" est, selon elle, "insuffisant ou inadapté". Constatant que le placement en quartier disciplinaire "est souvent à l’origine d’incidents", la Commission souhaite que "les conditions de celui-ci soient redéfinies et ne relèvent pas de la seule décision d’un premier surveillant".

La Commission insiste sur les problèmes liés à l’ouverture des cellules la nuit. Dans certains établissements, seuls les gradés, qui ne sont pas forcément présents la nuit, peuvent ouvrir les portes. En 2002, un détenu s’était pendu et personne n’avait pu ouvrir la porte. Après plusieurs recommandations de la Commission, le garde des sceaux a indiqué, en juin 2006, que les surveillants de garde pourraient désormais avoir accès aux clés en cas d’incendie, mais la Commission "regrette que cette procédure ne s’applique pas aux situations de malaise ou aux tentatives de suicide".

Alain Salles

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Les prisons

Ci-dessous, la partie de l’introduction du rapport 2006 de la CNDS qui concerne « L’administration pénitentiaire »  [2].

L’année 2006, avec 21 dossiers transmis par des parlementaires, est
caractérisée par une forte progression des saisines concernant l’administration pénitentiaire.

A plusieurs reprises cette année, la Commission a appelé l’attention du
garde des Sceaux et de l’administration pénitentiaire sur des problèmes
liés aux conditions d’utilisation par les surveillants de la force physique pour contraindre ou maîtriser un détenu.

Dans plusieurs dossiers traités, elle a considéré qu’il avait été fait un usage inopportun ou disproportionné de la contrainte.
Dans l’avis 2006-61, le détenu avait refusé de réintégrer sa cellule en raison d’un différend l’opposant au premier surveillant et concernant sa demande, plusieurs fois réitérée, d’un encellulement individuel. Face à son inertie physique, l’alerte avait été donnée et une dizaine de surveillants étaient intervenus. Le détenu avait été blessé au genou. Pour la Commission l’intervention n’était ni ajustée à la situation litigieuse, ni strictement nécessaire au contrôle du détenu. Une meilleure maîtrise de soi et un meilleur discernement dans le déclenchement des renforts auraient permis d’éviter l’emploi d’une contrainte manifestement excessive.

Dans la saisine 2005-55, la force avait été employée pour contraindre un
détenu, M. Y.C., à exécuter une décision de mise en prévention. Cette
décision avait été prise à la suite d’un incident concernant le registre des
courriers destinés aux autorités : le détenu refusant de réintégrer sa cellule, il avait été fait appel au premier surveillant. Ce dernier, face au refus du détenu de réintégrer sa cellule, avait décidé sa mise en prévention immédiate. Le détenu avait été saisi aux bras et, voulant se dégager, avait fait l’objet d’un balayage avant d’être maîtrisé au sol.
La Commission a estimé qu’en l’absence d’une rébellion caractérisée du
détenu, les surveillants avaient fait un usage disproportionné de la force.
Elle a considéré, au regard de la blessure médicalement constatée, que les gestes utilisés n’avaient pas été correctement exécutés. Elle a donc demandé que la mise en oeuvre des gestes techniques professionnels d’intervention fasse l’objet d’un entraînement régulier à leur bonne exécution.

Dans le dossier 2006-4, l’ERIS [3] de Toulouse était intervenue pour assurer, dans un contexte de tension, le transfert d’un détenu de sa cellule disciplinaire à la cellule d’isolement, située à quelques mètres au même étage du bâtiment.
L’ERIS de Toulouse avait notamment en charge tous les mouvements du
détenu pendant vingt-quatre heures. Sans aucune phase de rencontre ni de négociation préalable, il avait été fait usage de la force pour sortir le détenu de la cellule disciplinaire, puis une fouille intégrale avait été pratiquée.
Pour la Commission, le commandant des ERIS aurait pu prendre plus de
temps pour tenter de convaincre le détenu de changer de cellule. Elle estime également que les conditions d’une fouille intégrale, en l’espèce, n’étaient pas réunies. Elle a recommandé que l’emploi des ERIS fasse l’objet de nouvelles instructions, et notamment que la force ne soit employée qu’après discussion avec le détenu.

La CNDS a constaté qu’un détenu, blessé à la suite d’une intervention
au cours de laquelle avait été fait usage de la force, n’avait pu bénéficier
immédiatement des soins nécessaires (avis 2005-63). L’intervention faisait suite à un incident que le détenu avait créé au quartier disciplinaire lors de la distribution des repas.
Si la Commission a estimé justifiée l’inquiétude des surveillants et le recours immédiat à la force au regard de l’état de tension du détenu et de ses antécédents, elle a considéré que celui-ci aurait dû bénéficier immédiatement de soins. Après avoir été maîtrisé, le détenu avait fait l’objet d’une fouille à corps brutale en présence de nombreux surveillants, puis avait été remis nu et blessé en cellule. Il n’avait été conduit que le lendemain à l’hôpital, après que le directeur adjoint de l’établissement avait constaté que son visage était tuméfié et s’était rendu compte qu’un rapport oral erroné des conditions de
l’intervention lui avait été fait.

La Commission a rejeté les explications données par les surveillants selon lesquelles la peau noire du détenu et l’absence de luminosité dans les cellules disciplinaires avaient pu masquer ses blessures. Elle a préconisé que tout détenu blessé lors d’une intervention soit présenté au service de l’UCSA ou, en dehors des permanences du week-end, soit examiné dans les plus brefs délais par un médecin d’urgence, ou conduit à l’hôpital.

La CNDS a été saisie, de mai 2006 à novembre 2006, de cinq plaintes
concernant le centre pénitentiaire de Liancourt, pour des violences sur des détenus et pour un suicide survenu au quartier disciplinaire. Les faits se sont produits dans les nouveaux bâtiments ouverts en 2004, dont celui de la maison d’arrêt.
Le premier dossier (2006-43) concerne des faits de mai 2005. Ils avaient donné lieu à l’époque à une enquête de l’Inspection des services pénitentiaires, à la demande du directeur de Liancourt, M. F.A., affecté à l’établissement en début d’année. La responsabilité d’un premier surveillant qui était intervenu avec une équipe de nuit au quartier disciplinaire la nuit du 27 au 28 mai 2005 avait été relevée, et celui-ci avait été sanctionné d’un blâme.
Le 14 juin 2006, la Commission était saisie de faits concernant M. O.T. (2006-53), survenus le 23 mars 2006. Ce détenu, libérable trois semaines plus tard, avait été blessé lors d’un incident avec des surveillants et placé au quartier disciplinaire à son retour de l’hôpital le jour même ; il a été retrouvé pendu le lendemain.
Le 22 juin 2006, la Commission était saisie d’une plainte de M. S.P. (2006-60), pour des violences commises le 10 juin.
Le 12 septembre 2006, la Commission était saisie pour des violences à
l’encontre de M. D.Z., survenues le 24 août 2006.
Enfin, elle était saisie le 27 novembre 2006 des violences à l’encontre de M. S.D. (2006-127), commises le 7 novembre par deux surveillants mis en examen, suspendus, placés sous contrôle judiciaire, et qui ont été condamnés le 14 décembre 2006 à quatre mois de prison avec sursis.
Dans les dossiers qui n’étaient pas connus de l’administration pénitentiaire, la CNDS a demandé, dès réception des saisines des parlementaires, une inspection des services pénitentiaires.
L’analyse de ces cinq dossiers a révélé des dysfonctionnements et des
manquements divers, notamment concernant les procédures disciplinaires instrumentalisées pour faire régner « la terreur et l’ordre » [4]. De telles procédures ont été diligentées à partir de comptes-rendus d’incidents partiaux lus et revus par un premier surveillant. Ces défaillances et ces abus s’expliquent en partie par les conditions de fonctionnement et de travail difficiles des personnels, et ont pu favoriser des dérives individuelles aussi bien chez certains anciens gradés de Liancourt que chez certains jeunes surveillants sous influence, en perte de repères légaux et professionnels.

La Commission a instamment demandé au garde des Sceaux de veiller à la sécurité des détenus qui ont été amenés, par leur témoignage tout au long de ces cinq dossiers, à mettre en cause des surveillants du centre pénitentiaire de Liancourt.

Elle a tenu à souligner qu’elle avait parfaitement conscience que les
agissements contraires aux règles et aux valeurs étaient le fait d’une minorité, et que la majorité des surveillants de Liancourt se comportait correctement et humainement avec les détenus. Elle a plus particulièrement salué le courage et l’éthique des surveillants qui ont défendu les valeurs de leur profession, en se refusant à participer à de tels agissements.

La Commission a regretté, dans les saisines 2005-63 et 2006-61, qu’aucun rapport écrit de l’incident, compte-rendu disciplinaire ou mention sur les registres n’ait été fait, considérant qu’il s’agit d’outils indispensables au suivi des détenus et à la vie en détention, permettant de mener dans les meilleurs délais une enquête interne et de garantir l’absence d’arbitraire.

Pour la CNDS, l’absence de remontée d’informations auprès de la direction constitue une faute déontologique. Dans un dossier 2006-16, la Commission, bien que ne constatant pas en l’espèce de manquement à la déontologie, a tenu à rappeler l’importance des conditions dans lesquelles s’exercent les fouilles à corps intégrales qui sont, selon elle, par nature dégradantes et humiliantes. De telles fouilles doivent être justifiées par des nécessités de maintien de l’ordre ou de sécurité, et doivent être pratiquées dans des conditions visant à réduire le degré d’humiliation du détenu et à fournir des garanties contre les abus.
Elle est parvenue aux mêmes conclusions dans son avis 2005-68, insistant sur le caractère exceptionnel de cette mesure.

La CNDS a pu se rendre compte, dans la saisine 2005-61, des conditions
de détention rencontrées au quartier disciplinaire ou d’isolement pour les
détenus malades : alimentation insuffisante et inadaptée, mauvaises
conditions matérielles (cellules insuffisamment chauffées, sans lumière
naturelle …), absence d’activités. La Commission a regretté que la santé
du détenu n’ait pas été suffisamment prise en compte lors de la décision
d’une sanction disciplinaire. Un détenu, atteint d’une pathologie lourde,
avait été maintenu au quartier disciplinaire pendant près de quatorze jours, et ce malgré plusieurs certificats médicaux d’incompatibilité établis. Après plusieurs tergiversations, M. L.J. avait été replacé en détention, mais dans une autre cellule et à un autre étage, ce qu’il avait ressenti comme une volonté de le « brimer ».

Pour la Commission, si tout manquement à la discipline peut conduire
l’administration pénitentiaire à engager des poursuites disciplinaires,
un certificat médical d’incompatibilité avec le placement en quartier
disciplinaire doit être exécuté. Dans l’hypothèse où les médecins déclarent systématiquement incompatible, pour de tels malades, le placement en cellule de discipline ou d’isolement, l’administration pénitentiaire doit anticiper en choisissant l’une des autres sanctions prévues par l’article D. 251 du Code de procédure pénale (comme par exemple, le confinement en cellule).

En 2005, la CNDS a de nouveau été saisie par M. A.A. Celui-ci avait subi en 2003 de graves violences illégitimes à la maison centrale de Moulins-Yzeure, pour lesquelles la Commission avait mis en évidence la responsabilité de certains surveillants et gradés (cf. rapport 2004, saisine no2004-31). L’affaire avait été très médiatisée. La CNDS a constaté que le témoignage d’un détenu mettant en cause des personnels pénitentiaires pouvait entraîner des réactions de leur part, et ce même après le transfert du détenu dans un autre établissement, en raison de l’existence d’échanges et de liens entre les surveillants d’un établissement à l’autre.

Au regard des conséquences et tensions éventuelles que peuvent susciter les témoignages de détenus qui ont mis en cause des personnels, la Commission a demandé à ce que l’administration pénitentiaire fasse preuve d’une plus grande vigilance quant au choix de l’affectation de ces détenus, particulièrement exposés.

En réponse, le garde des Sceaux a informé la Commission qu’une note du 27 octobre 2006 avait été adressée à l’attention du Directeur régional des services pénitentiaires de Paris. Il y est reconnu que l’audition de M. A.A. par la Commission a eu pour conséquence de provoquer à son égard une animosité de la part de certains agents. De façon plus générale, la note oblige désormais le Directeur régional à sensibiliser les chefs d’établissement sous sa responsabilité à la prévention des tensions et violences illégitimes que pourrait susciter la médiatisation des témoignages de détenus, et à une plus grande vigilance quant au choix de leur affectation.

Notes

[1Téléchargeable sur le site de la CNDS (2,8 mo au format pdf) : http://www.cnds.fr/ra_pdf/ra_2006/1....

[2L’intégralité du rapport 2006 sur les prisons est téléchargeable sur le site de la CNDS (3.6 mo au format pdf) : http://www.cnds.fr/ra_pdf/ra_2006/0....

[3Équipe régionale d’intervention et de sécurité.

[4Expression employée par des surveillants.


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