l’OIP dénonce un « fichage sauvage des détenus »


article de la rubrique prisons
date de publication : lundi 21 décembre 2009
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L’Observatoire international des prisons (OIP) a annoncé le 18 décembre 2009 avoir saisi la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) d’une plainte "relative à la mise en place dans les établissements pénitentiaires de fichiers dits de "suivi comportemental", contenant une multitude d’informations personnelles sur toutes les personnes détenues en France". L’OIP dénonce le "caractère subjectif" de ces appréciations et les conséquences qu’elles ont sur "le régime de détention" de chaque détenu. Leur création n’ayant "pas donné lieu à une procédure de consultation de la CNIL comme le prévoit la loi", ces fichiers sont "illégaux", souligne l’OIP.

Simultanément, l’OIP attaque devant le Conseil d’Etat une note interne de la direction de l’administration pénitentiaire, en date du 24 décembre 2008, par laquelle l’utilisation de ce Cahier électronique de liaison a été étendue à l’ensemble des établissements.


Communiqué de l’Observatoire international des prisons

Fichage sauvage des détenus : L’OIP saisit la CNIL et le Conseil d’État

Paris, 18 décembre 2009

L’OIP a saisi ce jour la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) d’une plainte relative à la mise en place dans les établissements pénitentiaires de fichiers dits de « suivi comportemental », contenant une multitude d’informations personnelles sur toutes les personnes détenues en France, et utilisées, sans que ces derniers n’en soient informés, pour décider de leurs conditions de vie.

Le dernier fichier en date, le « Cahier électronique de liaison », est prétendument destiné à permettre l’application en France des Règles pénitentiaires européennes. Dans le même temps, l’Observatoire a attaqué devant le Conseil d’Etat une note interne de la direction de l’administration pénitentiaire, en date du 24 décembre 2008, par laquelle elle a décidé du déploiement du Cahier électronique de liaison dans l’ensemble des établissements.

Les informations conservées dans ces fichiers tentaculaires, relatives à chaque personne détenue, constituent des données personnelles à caractère sensible, au sens de la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978, puisque certaines ont trait à la santé ou à la pratique religieuse des détenus.

Ces logiciels ont pour objet commun la mise en partage des informations collectées par les différents professionnels intervenant dans la prison, dans le but, illusoire, de conférer à l’administration pénitentiaire une connaissance précise des personnes incarcérées et faciliter ainsi la gestion du service. Au-delà de fiches dressant le profil du détenu et de grilles d’évaluation de sa « dangerosité » supposée, les personnels de surveillance sont appelés à y enregistrer des fiches d’observation dans lesquelles ils portent leur appréciation sur la personnalité des prisonniers. Le caractère subjectif de ces appréciations est incontestable alors qu’elles peuvent avoir des effets importants : ces fiches sont ensuite utilisées par la direction pour décider du régime de détention, c’est-à-dire des conditions de vie, de chaque personne détenue.

La création de ces fichiers n’a pas donné lieu à une procédure de consultation de la CNIL comme le prévoit la loi. Lors d’une réunion interne à l’administration pénitentiaire, le 1er février 2007, a d’ailleurs été souligné le fait que les fichiers n’étaient pas utilisable faute de consultation de la CNIL. La décision a pourtant été prise une semaine plus tard de recourir à un logiciel de suivi comportemental dans le cadre de la « démarche d’expérimentation des Règles pénitentiaires européennes ».

Les fichiers dénoncés apparaissent en outre illégaux en ce que leurs finalités ne sont pas explicitées et que les informations recueillies méconnaissent par leur ampleur et leur nature les principes d’adéquation, de pertinence et de proportionnalité auxquels sont assujettis les traitements automatisés de données personnelles. Par ailleurs, la confidentialité de ces informations n’est pas assurée puisque, outre le fait que celles-ci sont conservées à l’insu des intéressés, un grand nombre de surveillants, d’agents administratifs, de conseillers d’insertion, de probation d’enseignant et de personnels soignants y ont accès. Ces fichiers permettent de mettre en partage des informations à caractère médical, même si un grand nombre de services de santé, au nom du principe du secret médical, refusent de renseigner les logiciels de suivi comportemental en dépit des pressions exercées sur eux.

Les actions engagées par l’OIP tendent à faire cesser cette collecte illégale de données sensibles et à ce que soit ordonnée la destruction de celles-ci.

L’OIP rappelle :

  • que la Charte européenne des droits fondamentaux prévoit que « Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant. Les données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d’un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d’accéder aux données collectées la concernant et d’en obtenir la rectification. Le respect de ces règles est soumis au contrôle d’une autorité indépendante. » ;
  • que « le fait, y compris par négligence, de procéder ou de faire procéder à des traitements de données à caractère personnel sans qu’aient été respectées les formalités préalables à leur mise en oeuvre prévues par la loi est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende » (article 226-16 du Code pénal) ;
  • que « le fait, hors les cas prévus par la loi, de mettre ou de conserver en mémoire informatisée, sans le consentement exprès de l’intéressé, des données à caractère personnel qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ou les appartenances syndicales des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à l’orientation sexuelle de celles-ci, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende » (article 226-19 du Code pénal).

L’Observatoire international des prisons dénonce un fichier recensant des données personnelles sur les détenus

par Alain Salles, Le Monde daté du 20 décembre 2009


C’est un fichier pavé de bonnes intentions. L’administration pénitentiaire a mis au point un cahier électronique de liaison (CEL), en cours de généralisation dans l’ensemble des prisons, qui recense de très nombreuses informations sur les détenus. Placé sous l’égide des règles pénitentiaires européennes pour améliorer les conditions de détention, ce cahier est destiné à favoriser "l’accueil des arrivants, le traitement des requêtes, l’accompagnement et l’orientation des détenus".

L’Observatoire international des prisons (OIP) a saisi, vendredi 18 décembre, le Conseil d’Etat et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) à propos de ce fichier, développé sans autorisation. Pour l’OIP, il s’agit d’un fichier "tentaculaire", qui contient des "données personnelles à caractère sensible". L’OIP demande également au Conseil d’Etat l’annulation d’une note du directeur de l’administration pénitentiaire du 24 décembre 2008 qui décide du déploiement du fichier. L’administration pénitentiaire indique que le dossier sera soumis à la CNIL, début 2010.

La liste des renseignements fournis par ce fichier est très vaste : le cahier électronique de liaison recense des informations biographiques, des éléments sur la détention, sur le comportement du détenu, sa situation pénale, sa santé, ses relations familiales, etc. Sont également mentionnés des renseignements sur le nombre de visites et de correspondances reçues, les états dépressifs, la pratique du culte (à l’arrivée et son évolution en détention), les soutiens financiers extérieurs, etc. Les surveillants doivent aussi juger, en répondant par oui ou non, de critères comme la "propension à gérer un leadership par des moyens négatifs" ou l’"incapacité à gérer pacifiquement ses différends".

Une partie des renseignements sont fournis lors des commissions interdisciplinaires qui réunissent les différents intervenants de la détention (surveillants, travailleurs sociaux, psychologues, personnel médical, enseignants). Les surveillants y notent également leurs observations sur les détenus, pour signaler les plus fragiles, les risques de suicide ou de violences, mais aussi des commentaires sur leur comportement, qui relèvent, selon l’OIP, de "prises de position à l’emporte-pièce".

"C’est la déclinaison électronique des cahiers d’observations tenus par les surveillants", explique l’administration pénitentiaire. Mais ces cahiers manuscrits n’étaient pas facilement consultables. Ils sont désormais accessibles en quelques clics. "Le surveillant décide si une observation est sensible. Si elle est privée, elle ne sera consultable que par la hiérarchie", explique un représentant de l’administration pénitentiaire, qui précise que "le secret médical est respecté".

"Le dossier est en cours de validation à la CNIL", assure l’administration pénitentiaire, qui indique que le fichier fera l’objet "d’un décret en Conseil d’Etat avec avis de la CNIL". La CNIL n’a eu connaissance de l’existence de ce fichier qu’il y a quelques semaines, alors que sa généralisation a été décidée en décembre 2008.

Le CEL est le fruit d’un rapprochement entre deux logiciels développés par des surveillants dans deux établissements distincts, dont l’expérimentation s’est étendue. Un document de l’administration pénitentiaire de 2007, révélé par l’OIP, souligne des interrogations sur un logiciel, qui "n’est pas utilisable car non validé par la CNIL". L’expérimentation a pourtant été poursuivie pour donner naissance à ce nouveau fichier, déjà utilisé dans de nombreuses prisons, sans avis de la CNIL.

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"Il est trop poli pour être honnête"

Nous publions des extraits de fiches d’observations des détenus par des surveillants :

"Détenu qui semble très à l’aise en détention, correct avec le personnel mais il est trop poli pour être honnête."

"Le détenu n’a aucune hygiène et sa cellule ressemble à une poubelle. L’odeur est insupportable et, de ce fait, les fouilles dans cette cellule sont quasiment impossibles à effectuer. C’est à se demander si ce manque d’hygiène n’est pas volontaire dans le but de dissimuler des objets illicites en détention."

"J’ai effectué la fouille à corps de ce détenu, mais j’ai dû batailler dur pour qu’il me donne son caleçon et, selon ses dires, je suis l’un des seuls à le fouiller correctement."

"Le détenu a un comportement menaçant. Ce dernier jette des regards plutôt menaçants et est impulsif. C’est un détenu dont il faut vraiment se méfier."


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