morts par “asphyxie posturale”


article de la rubrique justice - police > violences policières
date de publication : jeudi 12 janvier 2012
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« La technique d’immobilisation présente des risques d’“asphyxie posturale” tels que le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a, dès 2002, demandé à la France d’éviter son utilisation, prohibée en Suisse et en Belgique » écrivait le correspondant de Libération en mai 2008, après le décès de Abdelhakim Ajimi. Michel Henry poursuivait : « Amnesty International s’est aussi inquiétée, dès 2001 : des morts ont été constatées dans divers pays et certains Etats américains, dont les polices de New York et Los Angeles, ont interdit cette pratique » [1].

Les quelques informations regroupées ci-dessous sur ce sujet montrent que cette “technique d’immobilisation”, utilisée pour des interpellations musclées, continue à être la cause de trop nombreux décès [2].
Il serait temps d’interdire la mise en pratique de “techniques” aussi risquées – la peine de mort a été abolie en France, ne l’oublions pas.


Mohamed Ali Saoud [3]

Le drame s’est déroulé à Toulon, le 20 novembre 1998. Mohamed Ali Saoud, jeune homme âgé de 26 ans souffrant de troubles mentaux, menaçait et violentait plusieurs membres de sa famille. La police est intervenue, l’a entravé aux mains et aux pieds. Il ne présentait plus de danger pour autrui... il était mort.

L’expertise médicale a établi qu’il était décédé suite à un arrêt cardio-respiratoire consécutif à une asphyxie lente provoquée par la technique de contrainte utilisée contre lui : ayant plaqué le jeune homme à plat ventre sur le sol, deux policiers le tenaient par les poignets (menottés) et les chevilles, pendant qu’un autre, agenouillé sur lui, appuyait les mains sur ses épaules.

Le 9 octobre 2007, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné à l’unanimité la France pour violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l’homme, en raison de la contention au
sol d’une personne arrêtée qui a duré 35 minutes dans une position
susceptible d’entraîner la mort par asphyxie dite « posturale » ou « 
positionnelle » [4].

Karim Aouad [5]

Le 20 février 2004, un particulier de Marignane prévient la police qu’un individu qui « n’a pas toute sa raison » s’est introduit dans son jardin. Il a les mains et le visage en sang – crise de schizophrénie paranoïde. Un gardien de la paix et trois adjoints de sécurité l’attrapent, le hissent en voiture et le déposent, chevilles et poings menottés, au milieu d’une cellule.

Il faudra attendre le 15 décembre 2008 pour que deux experts concluent au décès par « arrêt ventilatoire puis circulatoire » au cours d’une « contention comprenant une compression thoraco-abdominale » effectuée « par trois policiers (un sur la tête, un sur le thorax et un sur les membres inférieurs) ».

Abdelhakim Ajimi [6]

Abdelhakim Ajimi, âgé de 22 ans, a été interpellé par les forces de l’ordre, le 9 mai 2008 à Grasse. Un fonctionnaire de police s’est positionné à califourchon sur son dos, pendant que le second lui maintenait le cou par une clef de bras, l’empêchant de respirer pendant une durée excessive [7].
Abdelhakim est ensuite conduit au commissariat où son décès est constaté une heure plus tard.

« L’interpellation était justifiée, les techniques d’interpellation étaient justifiées, ce sont celles enseignées en pareilles circonstances », assure le procureur de Grasse [8].

En novembre 2008, une expertise médicale a conclu que la mort avait été causée par une « asphyxie mécanique lente avec privation prolongée en oxygène » due à l’association de la pression exercée sur le thorax et de la compression au niveau du cou [9].
Saisie des circonstances de ce décès la Commission nationale de déontologie de la sécurité a conclu à un « usage excessif de la force et à une prise en charge inhumaine. [7] »

Lamine Dieng, Ali Ziri ...

Amnesty international a publié le 30 novembre 2011 un document concernant plusieurs cas de décès dans les mains de la police par “asphyxie mécanique”. Outre les situations de Saoud et d’Ajimi, l’organisation présente deux cas analogues [10] :

  • D’après le rapport d’autopsie, Lamine Dieng est mort en juin 2007 « par asphyxie due à une régurgitation alimentaire dans tout l’arbre aérien et à l’appui facial contre le sol avec pression du sommet de la tête dans un contexte gastrique ».
  • Le rapport d’autopsie du 20 juillet 2009, fait état de la présence de multiples hématomes sur le corps d’Ali Ziri et relève sur les poumons des signes « d’asphyxie de type mécanique ». Cette autopsie établit que l’anoxie est la cause probable du décès.

Une note

Cette technique d’immobilisation est autorisée en France, puisqu’une note émanant de l’inspection générale de la police nationale a été diffusée, le 8 octobre 2008, pour préciser dans quelles conditions on peut y recourir [11] » :

« Lorsque l’immobilisation de la personne est nécessaire, la compression – tout particulièrement lorsqu’elle s’exerce sur le thorax ou l’abdomen – doit être la plus momentanée possible et relâchée dès que la personne est entravée par les moyens réglementaires et adaptés. Ainsi, comme le soulignent régulièrement les services médicaux, l’immobilisation en position ventrale doit être la plus limitée possible, surtout si elle est accompagnée du menottage dans le dos de la personne allongée. Il en est de même, a fortiori, pendant le transport des personnes interpellées. Le cas échéant, toutes dispositions doivent être prises afin qu’un examen médical puisse être rapidement pratiqué.
Préalablement à toute intervention estimée périlleuse, mettant notamment en cause une personne dangereuse pour elle-même ou pour autrui, l’information d’un médecin régulateur (centre 15) doit être systématique. C’est à lui qu’il reviendra de décider de la pertinence de l’envoi d’une équipe médicale sur place. »

L’exemple de la Belgique

Ces techniques d’immobilisation sont également utilisées à l’occasion de reconduites d’étrangers en situation irrégulière. Il existe d’ailleurs des stages de formation aux « gestes techniques professionnels en intervention » (GTPI) d’escorte ; un manuel d’instruction relatif à l’éloignement par voie aérienne des étrangers en situation irrégulière donne des précisions sur les techniques utilisées – on s’intéressera en particulier aux pages 29 et suivantes de ce manuel téléchargeable [12].

La Belgique a décidé d’interdire « toute technique susceptible d’entraîner une asphyxie posturale [13] ».

Ne serait-il pas opportun que la France suive cet exemple et décide d’interdire le recours à des techniques d’immobilisation aussi risquées, que ce soit pour des interpellations ou pour des reconduites ?

Notes

[1« A Grasse, les techniques policières en accusation », par Michel Henry, Libé Aix-Marseille, le 21 mai 2008 : bavure à Grasse : le décès de Hakim Ajimi dû à une « asphyxie mécanique ».

[2Dans un communiqué publié sur son site, la LDH d’Auvergne s’interroge sur les causes du décès de Wissam el-Yamni : http://www.ldh-france.org/region/au....

[4La décision de la CEDH. Requête n° 9375/02.
Arrêt définitif du 09/01/2008 : http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/v....

[7Voir page 9 du dossier de presse accompagnant le rapport 2010 de la CNDS :http://www.cnds.fr/rapports/dossier....

[9Voir l’avis de la CNDS :http://www.la-cnds.eu/avis/avis_201....

[12Lire également l’article « Morts par G.T.P.I. » de Stéphane Maugendre, publié sur le site du Gisti.

[13Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 18 au 27 avril 2005 : http://www.cpt.coe.int/documents/be....


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