base élèves ou sconet : le fichage des enfants serait-il devenu obligatoire ?


article de la rubrique Big Brother > base élèves
date de publication : jeudi 28 juin 2007
version imprimable : imprimer


Vous trouverez ci-dessous l’intégralité d’un dossier de Jérôme Thorel concernant « base élèves 1er degré », publié le 27 juin 2007 sur le site internet LEMONDE.fr.

Ce bon dossier expose les inquiétudes que nous sommes nombreux à partager concernant les dangers de base élèves ainsi que les arguments de ceux qui le défendent. Nous avons choisi de répondre à notre tour à certains de ces derniers arguments par des développements que vous trouverez en note. Les notes ne font donc pas partie de l’exposé de Jérôme Thorel, mais elles ont toutes été ajoutées par LDH-Toulon.


Le fichier des écoles primaires suscite des inquiétudes avant sa généralisation à la rentrée

Une centaine de directeurs d’écoles d’Ille-et-Vilaine risquent de perdre leur titre en septembre 2007. Motif : ils s’opposent, par crainte d’atteintes aux libertés individuelles, à remplir un fichier informatique, « base élèves 1er degré » (BE1D), censé suivre le parcours scolaire d’un enfant de la maternelle au CM2. Testé depuis deux ans, il doit être généralisé partout en France à la rentrée.

« Cela fait partie des missions d’un directeur de renseigner ce fichier », explique Jean-Charles Huchet, l’inspecteur académique d’Ille-et-Villaine. « Ceux qui refusent risquent donc de perdre leur titre à la rentrée. Mais nous continuons à discuter avec eux pour les convaincre qu’il n’y a aucun risque. »

Testé depuis deux ans dans certains départements pilotes, ce fichier est en voie de généralisation « avec comme objectif d’être opérationnel dans les 55 000 écoles de France à la rentrée de septembre 2009 », selon Gilles Fournier, chef du service “systèmes d’information” du ministère de l’éducation nationale.

ENTRÉES SENSIBLES

Les opposants s’inquiètent de la présence, dans BE1D, d’entrées sensibles, comme la nationalité de l’enfant (mention obligatoire), la date d’arrivée en France des parents, la culture d’origine ou la langue parlée à la maison (mentions pour l’instant facultatives) [1]. Déjà, fin 2006, le Syndicat national des instituteurs et professeurs d’école (SNUipp), affilié à la FSU, appelait à retirer ces champs litigieux et invitait plus généralement les directeurs à ne pas « entrer dans l’expérimentation » de BE1D [2].

D’autres données, certes utiles pour mieux prévoir les effectifs et répartir les aides aux élèves en difficulté (suivi “Rased” pour Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté), peuvent aussi renseigner sur l’état de précarité ou de fragilité de toute la famille. La Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) déconseille à ses adhérents d’entrer ces informations dans le fichier. Car si leur effacement est prévu en fin d’année scolaire, « certaines familles en situation de fragilité n’oseront probablement pas vérifier que les données concernant leur enfant sont bien effacées », notait la FCPE le 18 mai dernier, en réponse à une lettre du ministère censée apaiser ses craintes [3].

« Il faut sortir de l’hypocrisie », reprend Jean-Charles Huchet, l’inspecteur d’académie d’Ille-et-Villaine. « Les fichiers de la sécurité sociale ou des allocations familiales contiennent plus d’informations sur les enfants que Base élèves n’en aura jamais. Même moi en tant que responsable académique, je n’ai pas accès à tout. » [4]

« Le risque d’une interconnexion de base élèves avec d’autres fichiers est réel, même si on nous affirme que c’est interdit aujourd’hui », indique François Nadiras, professeur à la retraite, membre de la section de Toulon de la Ligue des droits de l’homme, dont le site Internet regorge de ressources sur ce sujet [5].

DYSFONCTIONNEMENT

D’autre part, comme l’a révélé, le 11 juin, le Collectif rennais de résistance sociale (Correso), comprenant syndicats et travailleurs sociaux d’Ille-et-Vilaine, la sécurisation des accès à BE1D (protégés logiquement par identifiant et mot de passe) vient d’être mise à mal. Un dysfonctionnement qui a été confirmé dans une note du 15 juin signée du secrétaire général du ministère à Paris et envoyée à toutes les inspections académiques [6].

Une autre inquiétude réside dans la manière dont les maires (chargés du contrôle de l’obligation scolaire et de la gestion des inscriptions) pourront accéder à BE1D. Surtout depuis les nouveaux pouvoirs que lui confère la loi de prévention de la délinquance du 6 mars 2007. Pour l’instant, les communes accèdent à l’état-civil et aux données périscolaires (cantine, garderies, etc.), mais pas à la nationalité ni aux aux éléments du suivi Rased, assure Gilles Fournier du ministère. Une précision qu’a tenue à rappeler à son tour la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) dans une note du 22 juin [7].

Une directrice d’école maternelle : « Ma mission n’est pas de devenir un auxiliaire de police ou d’état-civil »

Témoignage d’une directrice d’école maternelle en Ille-et-Vilaine. Avec une centaine de ses collègues du premier degré de la région de Rennes, elle risque « destitution » à la rentrée.

  • Quelle position face à « base élèves » ?

Je suis en résistance totale. J’ai toujours refusé de le renseigner, je ne m’y suis même jamais connecté. Je ne le fais pas de gaîté de cœur, c’est toujours délicat de s’opposer à la hiérarchie. Mais je suis soutenue par mon équipe enseignante et par les parents d’élèves (120 familles), qui se sont aussitôt inquiétés après leur avoir exposé toutes les facettes du fichier.

  • Comment avez-vous découvert ce qu’il contenait ? Quels sont les items qui vous ont choquée ?

Au printemps 2006, nous avons eu une journée de formation sur cet outil. Très vite, beaucoup de choses m’ont choquée. D’abord, la nationalité de l’enfant : on n’en a absolument pas besoin pour faire notre travail. Le nom, prénom et date de naissance suffisent amplement. Pareil pour la date d’arrivée en France des parents, la culture d’origine, la langue parlée à la maison.

Ensuite, d’autres volets m’inquiètent, même s’il restent facultatifs aujourd’hui : le volet « besoins éducatifs », qui indique si l’enfant est suivi par un réseau d’aide aux élèves en difficultés ou s’il voit un psychologue par exemple ; le volet « cursus scolaire », qui regroupe des éléments de la scolarité actuelle et antérieure de l’élève mais aussi ses absences. Autant de données personnalisées qui jusqu’ici restaient confidentielles. Avec « base élèves », elles sont transmises à l’Inspection académique.

Je suis avant tout directrice et enseignante, ma mission n’est pas, par le biais de ce fichier, de devenir un auxiliaire de police ou d’état-civil. L’école n’a pas à servir de relais ou de prétexte pour récolter des renseignements sur la famille en général.

  • Avez-vous subi des pressions, serez-vous sanctionnés ?

On nous a demandé par courrier pourquoi ce fichier n’était pas renseigné. Les sanctions, oui, on nous a parlé d’une quotité du salaire qui sera retiré pour « mission non assurée ». Ceci concerne les directeurs syndicalement engagés, c’est mon cas. L’inspection serait plus dure avec les directeurs qui pensent que « base élèves » porte atteintes aux libertés individuelles. C’est mon cas aussi. Je risque de me voir retirer mon titre de directrice à la rentrée. J’accepterai de remplir ce fichier lorsque j’aurai la certitude qu’il sera parfaitement sécurisé et qu’il ne sera pas croisé avec d’autres.

Base élèves : premier maillon du fichage républicain

BE1D a été « déclaré » à la CNIL le 24 décembre 2004 [8]. Expérimenté depuis 2005, le nombre de départements où il est utilisé est passé d’une vingtaine à près de 80 aujourd’hui. La base est alimentée sur Internet via un « protocole sécurisé » (identifiant et mot de passe).

Il contient, outre l’« Identifiant National de l’Elève » (INE) :

  • Etat civil de l’enfant et des responsables légaux ; nationalité (obligatoire pour valider la fiche, le champs "non connue" étant possible) ; pays d’origine, date d’arrivée en France des parents, nom de leur employeur, et mention "souhaite un enseignement de la langue et de la culture d’origine ».
  • « Besoins particuliers » : prises en charge par des réseaux spécialisés d’élèves en difficultés (Rased) ; observations médicales (allergies alimentaires par exemple) ou même psychiatriques ; éventuel suivi social de la famille.
  • « Cursus scolaire » : décompte des absences, éléments sur la scolarité actuelle et passée, informations périscolaires (cantine, garderie, etc.).

BE1D se partage en trois sous-bases : celle du directeur, celle de l’académie (département), et une base nationale dont on ne peut extraire, indique le ministère, que « des éléments anonymes à des fins de statistiques ».

Pour les élèves du second degré (de la 6e à la terminale), il existe un fichier presque équivalent, appelé « Scolarité ». Mais il est plus ancien (créé en 1995) et ne contient pas autant de notions contestées que celui du premier degré [9].

Jérôme Thorel

P.-S.

Le fichage des enfants serait devenu « obligatoire » — en catimini —, du moins si on comprend bien les déclarations de l’Inspecteur d’Académie de Rennes à une délégation de parents, le 30 mai dernier [10]. Il leur a rappelé qu’ils sont soumis à la loi, aux règles de l’éducation nationale, et que, s’ils les récusent, il leur reste la possibilité de scolariser leurs enfants chez eux... ajoutant que base élèves concerne tous les enfants, y compris ceux qui sont scolarisés à domicile...

Notes

[1Le secrétaire général de l’inspection académique de Rennes a déclaré il y a quelques jours que « La nationalité n’est pas essentielle [...]. Une option “nationalité inconnue” a été ajoutée.  » (Voir cette page).

Un autre IA vient d’écrire aux directeurs d’écoles pour les rassurer et expliquer que le champ nationalité peut être déclaré “inconnu”.

Pourquoi donc ne pas supprimer ce champ ?

[2Voir cette page.

[3Voir cette page.

[4Monsieur Huchet oublie les changements fondamentaux auxquels nous assistons depuis quelques années : la multiplication des lois sécuritaires, le développement insensé du recours au fichage, la chasse aux sans-papiers... jusqu’à l’intérieur de certaines écoles !

[5Répétons ce que nous écrivions il y a peu (dans cette page) :

Rien ne peut nous protéger contre les détournements de fichiers que les politiques – ministres, députés, sénateurs – pourront décider à l’avenir : la “facilité” avec laquelle les fichiers de police judiciaire Stic et Judex (voyez cette page) ont été détournés de leur finalité initiale par la Loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003 est particulièrement instructive à cet égard. Ces fichiers de police constituent maintenant un casier judiciaire parallèle, avec des conséquences dramatiques dans le domaine de l’emploi (voyez cette page). Ne parlons pas du subterfuge qui a permis d’étendre l’obligation du fichage ADN pour quasiment tous les délits.

Comment pourrions-nous, après cela, accorder le moindre crédit aux “promesses” qui nous sont prodiguées aujourd’hui ?

[6Voir cette page.

Rappelons ce que Jean-Pierre Deloche, sous-directeur des moyens, des études et du contrôle de gestion, au ministère de l’Education nationale, écrivait à Gilles Moindrot, secrétaire général du SNUIPP, le 30 novembre 2006 :

« Les services informatiques du ministère, en charge de la sécurité des bases de données, assurent la mise en oeuvre de solutions techniques visant à garantir le contrôle des accès à l’application, la confidentialité et l’authentification des utilisateurs. [...]
« Je vous confirme donc qu’une très grande vigilance est mise en oeuvre pour garantir à la fois la sécurité et le bon usage des informations ainsi collectées. » (voyez la note 17 de la page)

Comment pourrions-nous, après ce qui s’est passé la semaine denière, accorder le moindre crédit aux “promesses” qui nous sont prodiguées aujourd’hui ?

[7Voir à nouveau cette page.

[8La lettre de déclaration datant du 24 décembre 2004.

[9Le système Scolarité a bien été déclaré à la Cnil en septembre 1993, puis créé par un arrêté du 22 septembre 1995. Par la suite, il devait subir quelques modifications, parfois importantes, en 95, 97, 98 et 2002.

[10Voir la note 5 de cette page.


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP