Base élèves, un fichier du ministère de l’Éducation nationale qui récolte
des données, y compris confidentielles, sur chaque écolier, inquiète quant à son utilisation future, à savoir un instrument de contrôle tous azimuts.
Grosse bourde ou manque de tact ? Lundi 17 septembre, l’inspection académique du Haut-Rhin se fend d’un courriel à l’adresse de 850 directeurs d’école, leur intimant
de signaler tout élève dont les parents sont sans papiers. Branle-bas de combat chez les
instituteurs qui, in petto, refusent de jouer les « délateurs ». L’après-midi même, leur administration envoie un second message, stipulant de ne pas tenir compte du premier. Las, le mal est fait. L’inspecteur a beau qualifier le courriel de « grosse bourde », la thèse ne passe pas. Les défenseurs des droits de l’homme dénoncent une chasse aux étrangers qui lèverait ses proies en terres scolaires et feraient des agents publics ses rabatteurs. L’accusation n’est pas la première du genre. Elle s’ajoute à celles qui accompagnent la mise en place progressive d’un fichier informatique qui inquiète à mesure qu’il s’étend : le fichier Base élèves.
Base élèves
Qu’est-ce que Base élèves ? Un logiciel dont la vocation est de permettre un pilotage plus efficace des écoliers. Inscription, état civil, parcours scolaire ou suivis particuliers (psychologique, pédagogique...) : le dossier, rempli par les directions d’écoles maternelles et élémentaires, comprend ainsi un large éventail d’ informations individuelles, voire confidentielles. « L’idée est née en 2000 », explique le chef du service technologie et informatique du ministère de l’Éducation nationale. Une époque où les fichiers informatiques se multipliaient, bidouillés localement et ne répondant pas forcément aux besoins des écoles. Même constat du côté des mairies, comptables devant la loi du respect de scolarisation des enfants et de la sectorisation. « En 2004, le ministère s’est engagé dans la fabrication d’un outil mieux adapté et permettant une cornmurication entre les administrations », poursuit le responsable informatique. En 2005, son expérimentation est lancée dans 21 départements. Étendue, aujourd’hui, à 77 départements, l’achèvement de sa généralisation est prévu pour septembre 2009.
Mais Base élèves n’est pas uniquement un dossier informatisé. C’est une mise en réseau des données sur Internet, désormais consultables en ligne par les écoles, les inspections académiques, les rectorats et les mairies, ce qui, pour le coup, est une première.
Emerge immédiatement un premier écueil : la sécurisation de données confidentielles.
Exemplaire, selon le ministère, qui la compare à celle développée sur les sites bancaires. Faillible, aujourd’hui ou demain, alertent les comités de défense des libertés individuelles, lesquels assurent que le système a déjà été pénétré. En juin, le ministère procédait à un changement des mots de passe et logins de chaque fichier « pour mettre un terme aux suspicions ».
Trop tard pour convaincre
Trop tard pour convaincre, quand les données relatives aux enfants circulent depuis 2005, souvent à l’insu des parents. « L’information aux familles a complètement cafouillé », déplore Alain Gerber, de SUD éducation Savoie, département soumis à Base élèves depuis 2005. « Les fichiers ont été remplis en interne sans que les familles le sachent. » Si le manque de transparence dérange par principe, celui-ci perturbe d’autant que la nature des informations collectées ne va pas sans agacer l’éthique. Y figurent l’intégralité du parcours des enfants, redoublement, absentéisme, ou le suivi en réseau d’aide susceptible d’inclure un soutien psychologique. Un passif qu’un
enfant n’a pas à traîner tout au long de sa scolarité, notent beaucoup.
Le fichage de la nationalité
Y sont recueillies, surtout, des informations concernant sa culture d’origine, sa nationalité ou encore la date de son arrivée sur le territoire. S’engage alors le débat quant à la
finalité même du logiciel. Ces données n’ont d’autre vocation que de piloter plus efficacement la scolarité des élèves et d’établir des statistiques nationales anonymes, martèle Xavier Darcos. Les sceptiques, eux, sont nombreux à y voir un instrument de contrôle des élèves, de leur famille et, pourquoi pas, des profs. L’inquiétude la plus vive concerne les enfants dont les parents sont sans papiers. Alors que les consignes gouvernementales ont porté à 25 000 l’objectif annuel de reconduites à la frontière, les directeurs d’école dénoncent l’exercice de fichage auquel on leur demande de procéder. Nous ne sommes pas des agents de renseignement du ministère de l’Intérieur, réaffirment-ils en substance.
« Je ne vois pas quel sens pédagogique accorder au fichage de la nationalité », s’interroge ainsi Bruno Robin, directeur d’école et secrétaire départemental de la FSU du Nord. Et de relever que si Base élèves n’est pas l’unique dossier administratif à demander sa nationalité à un usager, en règle générale, l’usager remplit les cases comme il l’entend. « Nous n’avons pas à nous substituer à cette liberté. »
Le contexte politique
Peu sonore au début, le mouvement d’opposition se déploie à mesure que le dispositif s’étend. À Toulon, dans l’Oise, en Isère ou en Ille-et-Vilaine, des collectifs se forment.
Comme dans les Pyrénées-Orientales, département pilote où un comité de vigilance suit
de près la question. Des parlementaires du PS, du PCF et même un de l’UMP ont interpellé le gouvernement.
Les syndicats, la FCPE, la LDH et le GISTI dénoncent une enquête intrusive ayant pour objet des mineurs de moins de 14 ans.
« L’éducation nationale profite de la confiance des familles en l’école pour récupérer des données qui relevaient jusqu’alors de la plus grande confidentialité », estime Mireille Charpy, directrice d’école dans l’Isère qui a refusé d’intégrer le dispositif mis en place en 2006. L’argument du suivi des élèves ne trouve pas crédit à ses yeux.
« Aider un enfant ne se résume pas à cocher quelques cases. Et cela ne peut pas justifier une rupture de confidentialité entre l’école et les familles, assène-telle. En trente-cinq ans de métier, je n’ai jamais été confrontée à une telle injonction. » Comme d’autres, elle n’hésite pas à parler de fichage. Et rappelle le contexte politique qui met les jeunes au pilori et assimile immigration et délinquance. L’ambiance générale
ne compte pas pour rien dans l’acuité de la défiance. En 2005, le rapport Bénisti préconisait le dépistage précoce des comportements déviants
et définissait la langue maternelle non francophone comme un facteur possible de délinquance. Le même rapport proposait une culture du « secret partagé » entre les services scolaires, municipaux et de police. Un an plus tard, un rapport de l’INSERM préconisait le dépistage des troubles mentaux
dès la crèche. Face au tollé qu’ils avaient provoqué les deux textes ont été archivés.
Le partage des informations
La loi sur la prévention de la délinquance, elle, a été adoptée le 7 mars 2005 et constitue le principal élément à charge au regard des militants.
Imposant le partage d’informations entre les acteurs sociaux, professionnels de la santé, enseignants, policiers ou magistrats, elle offre aux maires le pouvoir de les collecter toutes ou en partie. Quid de Base élèves ? La question n’est pas mince, quand on sait, par exemple, que la CAF a aujourd’hui le pouvoir de supprimer les allocations familiales en cas d’absences répétées d’un enfant à l’école. Ou que se multiplient des cas d’exclusion initiée par un édile (lire ci après). »
« Les fichiers ne sont croisés avec aucune autre administration que la mairie », affirme le
ministère. Encore celle-ci n’accède-t-elle qu’à l’état civil et à l’adresse des enfants.
« Ni à leur nationalité, ni à leur parcours scolaire, ni même à leur absentéisme », assure encre le ministère. En sa faveur, un argument de poids : Base élèves a bénéficié d’un agrément de la CNIL. Argument pas si valable, rétorque François Nadiras, responsable de la LDH de Toulon. « En 2004, la loi informatique et liberté a été modifiée et réduit considérablement les pouvoirs de contrôle de la CNIL, explique-t-il. Or l’agrément du fichier Base élèves n’a été conféré qu’après cette régression. »
Par ailleurs, si la mise en oeuvre de Base élèves interdit le croisement des fichiers, à l’exclusion des informations utiles aux maires dans le cadre de leurs prérogatives, « la loi de prévention de la délinquance modifie le Code de l’éducation et autorise l’accès aux
données scolaires par le maire, explique Mélanie Leverger, avocate et membre du GISTI.
Or la loi a été votée après le lancement de Base élèves ». Laquelle prévaut dès lors ?
La Commission nationale informatique et libertés
En juin dernier la CNIL affirmait ne pas avoir constaté de « détournement de finalité » de Base élèves tout en se montrant prudente. « Nous demandons régulièrement des bilans au ministère, expliquait Leslie Bass,
responsable du dossier, soulignant qu’un agrément n’est pas un avis favorable. « C’est un numéro d’enregistrement.
Un avis ferait office d’autorisation préalable et Base élèves n’est pas soumise à ce régime juridique. » Question toujours ouverte, donc. Comme le caractère facultatif on non des champs à remplir. Ainsi, la nationalité de l’enfant doit être signalée, mais la date de son arrivée sur le territoire, elle, est facultative, de même que la volonté des parents de lui faire étudier sa langue d’origine. Flou, également, le temps de conservation des données. On a parlé de dix ans, puis de quinze ans et il serait maintenant question de remettre les compteurs à zéro à chaque fin d’année pour les informations pédagogiques... dont on se demande du coup l’intérêt de les ficher. L’anonymat n’est, lui
non plus, toujours pas garanti. Ni techniquement, quand le système informatique empêchant toute remontée vers le fichier originel de l’élève n’est pas encore au point. Ni juridiquement. « On nous a confirmé que les informations étaient accessibles sur commission rogatoire, dans le cadre d’une enquête », rappelle Alain Gerber.
Le ministère parle de paranoïa, rappelle que les fichiers scolaires existent depuis 1882 et note que SCONET, un système similaire à Base élèves, existe depuis près de dix ans dans le secondaire sans qu’on n’ait eu à déplorer de problème ou de rebuffade. Mais les opposants ne lâchent pas. Ils demandent un moratoire, le temps d’obtenir la garantie que tout risque est écarté. Et rappellent que lorsqu’il s’agit d’enfants, le principe de précaution prime sur toute autre considération. À moins de penser que ce qui est en jeu ne vise pas leur intérêt.
GAFFEURS ET PHILANTHROPES
Une erreur est bien vite arrivée. A l’instar de l’inspection académique du Haut-Rhin, celle de l’Oise commettait elle aussi l’an dernier, une bourde. Un mail était envoyé aux proviseurs des lycées afin qu’ils transmettent à l’administration les noms des élèves majeurs sans papiers. Après coup, le recteur avait parlé d’une initiative maladroite prise par un chef de division afin de protéger les jeunes en question. Dans le Rhône, c’est la philanthropie qui pousse au recensement. L’inspection académique demande aux enseignants de recenser les parents étrangers en situation régulière qui ont des difficultés avec la langue française. Afin de les aider, bien sûr. Qu’est-ce qui à pu pousser un collège d’Aix-les-Bains (Savoie) à demander aux élèves leur nationalité en bas d’un devoir d’évaluation de fin de 3e ? On ne sait pas. L’inspection académique dit n’avoir pas eu connaissance d’un tel procédé.
M.-N. B.