Base élèves premier degré commence à faire des vagues


article de la rubrique Big Brother > base élèves
date de publication : mardi 15 mai 2007
version imprimable : imprimer


Dans un article intitulé A propos de la “ base élèves ”, publié en octobre 2006, la revue Les Cahiers pédagogiques attirait l’attention sur certains dangers potentiels du système de bases de données qui recense la population scolaire.

Depuis lors, la situation a évolué, les débats se sont développés, de nouvelles inquiétudes se sont manifestées. Deux associations viennent d’appeler au boycott total arguant du fait que "des compromis acceptant l’existence de ce fichage généralisé des enfants ne sont ni souhaitables ni acceptables".

[Première publication le 13 mai, mise à jour le 15 mai 2007]

À propos de la « base élèves »  [1]

Le ministère met en œuvre actuellement un système d’information pour aider à la gestion des élèves et au pilotage académique du premier degré. Ce système d’information comporte des bases de données partagées entre les différents acteurs (directeurs d’école, mairies, inspecteurs de circonscription, inspecteurs d’académie), sur les élèves et leurs parcours scolaires (base élèves 1er degré) et sur les écoles maternelles et élémentaires (base écoles) . À la suite des interrogations formulées ici par une enseignante, nous sollicitons d’autres réactions de lecteurs des Cahiers.

jeudi 5 octobre 2006

C’est donc un nouvel outil de gestion pour l’Éducation nationale. Sans doute est-il bien nécessaire d’adopter des outils informatiques performants pour gérer une aussi gigantesque maison... Mais... en quoi cela aide-t-il à la gestion des effectifs et des postes, à la réflexion sur le fonctionnement de l’école, d’avoir des données nominatives sur chaque élève, sur sa date d’arrivée en France, son pays d’origine, sa culture et sa langue, la nationalité de ses parents... ? Faut-il ne pas faire le lien avec la politique sur l’immigration ? Il ne s’agit pas de cacher des renseignements que les mairies ou les ministères concernés ont déjà, mais l’école n’a pas à servir de base de renseignements. Elle doit être un lieu d’instruction pour tous. Et tous doivent s’y sentir en sécurité. Pour apprendre.
Parcours scolaire, absentéisme... partage des informations avec les acteurs locaux, projet de loi de Nicolas Sarkozy sur le rôle accru des maires dans la prévention de la délinquance... Nous aurions tellement besoin de coopération, de travailler ensemble et pas seulement dans une perspective répressive. L’école dénonciatrice ? On peut légitimement s’inquiéter, dans le contexte d’une LOLF qui encourage au technicisme.

Dans notre école, le conseil des maîtres a décidé de ne pas renseigner ces fichiers en l’état. Le Snuipp et Sud-éducation appellent également à ne pas le faire, demandant entre autres d’anonymer l’accès aux données pour les IA et IEN, et que les extractions effectuées par l’administration fassent l’objet d’une demande préalable aux directeurs, seuls responsables en tant que rédacteurs des renseignements figurant dans les fiches. Cela dit, à la date de cet article (juin 2006), aucun formulaire officiel n’est arrivé chez nous (l’information donnée oralement par l’inspection prévoyait la mise en place du dispositif à partir de mai 2006), aucune réunion n’a été proposée aux directeurs et personne n’est encore venu pour installer la « base élèves » à l’école. Nous ne savons pas trop où nous allons. Faut-il refuser fortement ? Faut-il seulement avertir, être vigilant sur les utilisations ? Jusqu’ici la publicité de cette « base élève » est bien discrète. Elle se met en place sans bruit. Brrr...

C. G., professeur des écoles dans le Doubs

__________________________________

Les directeurs d’école vont-ils devenir, à leur insu, la cheville ouvrière d’un fichage généralisé des familles ?

Selon la note de rentrée du ministre  [2], parue très tôt en cette année électorale, la « Base Elèves Premier Degré » devrait être généralisée en 2007/2008. Il est assez étonnant de constater que le ministère communique très peu sur ce nouveau système et que les directeurs d’école, qui vont en être la cheville ouvrière, aient aussi peu d’informations à leur disposition pour en apprécier la pertinence.

Qu’est ce que la « Base Elèves Premier Degré » ?

Il faut tout d’abord expliquer ce qu’est cette « base élèves académique », BEA pour les intimes.

« Base élèves premier degré » est un système de gestion administrative ayant pour objectif « d’apporter une aide à la gestion locale des élèves, d’assurer un suivi statistique des effectifs d’élèves et de permettre un pilotage et un suivi des parcours scolaires des élèves. »  [3].

« Base Elèves Premier Degré » est, selon les informations données sur le site Eduscol  [4], une application conçue pour aider les directeurs dans leurs tâches quotidiennes, partager des informations avec les mairies et permettre à l’IEN ou à l’IA de disposer en temps réel d’informations fiables. Les enquêtes seront effectuées directement dans la base sans solliciter les directeurs.

Chaque nouvel élève entré dans la base se voit attribuer un numéro I.N.E  [5] unique qui servira durant toute sa scolarité à son identification informatique.

A priori, la mise en place de cet applicatif, qui s’inscrit dans la volonté ministérielle de développer les ENT  [6] dans le premier degré semble être une bonne idée. Mais il est souvent de bonnes idées qui dans leur déclinaison pratique s’avèrent être au mieux des occasions manquées. Force est de constater aujourd’hui, à l’heure où près de quatre-vingts départements sont entrés à des degrés divers dans l’expérimentation de cet outil, que les interrogations commencent à se muer en inquiétudes et que l’information qui est faite par le ministère sur ce sujet laisse des zones d’ombres.

Les raisons de l’inquiétude

Elle porte sur trois points essentiels liés à la localisation de la base, à la sécurisation des données et à leurs utilisateurs potentiels. Dans le secondaire, l’expérience des professionnels sur ce type d’outils fait plutôt l’unanimité. Alors où le bât blesse-t-il dans le primaire ?

Tout d’abord, à ce jour, la « Base Elèves Premier Degré » est localisée sur un serveur centralisé à Orléans, ce qui n’est pas le cas dans le second degré. Les serveurs sont situés au niveau rectoral et le croisement des fichiers au niveau national n’est matériellement pas réalisable en l’état.
La présence des données sur un serveur centralisé unique soulève par conséquent de fortes interrogations et présente un danger réel pour la démocratie en cas de dérive sécuritaire. Au travers de cette base de données, c’est ainsi le fichage pur et simple de l’ensemble des familles françaises qui va être réalisé par les directeurs d’école à la demande du ministère de l’Education Nationale.
Alors, à la rentrée prochaine, la « Base élèves Premier Degré » va-t-elle rester centralisée ou délocalisée sur des serveurs académiques ? Il y a là un choix technique fondamental. L’option qui se profile semble bien être celle de maintenir la base dans son hébergement unique et centralisé à Orléans, ce qui rend matériellement possible le croisement des données et les requêtes portant sur l’ensemble des champs renseignés dans la base. Les récents combats des Réseaux Education sans Frontières, le rapport Bénisti  [7] dont un certain nombre de recommandations ont préfiguré le projet de loi sur la prévention de la délinquance, le projet de loi lui-même ne sont pas pour rassurer  [8].

Avec la « Base Elèves Premier Degré », l’école partage des informations nominatives avec le maire de la commune. Le système SCONET  [9] du second degré n’a pas vocation à partager les informations en dehors de l’Education Nationale.

Il y a 36 851 communes en France, cela représente beaucoup de personnes extérieures à l’Education nationale. La présence de champs obligatoires comme ceux de la nationalité et du pays de naissance par exemple pose la question du type d’informations qu’il est nécessaire de partager avec les communes et avec l’Inspection académique. Les récentes oppositions liées au problème des enfants étrangers scolarisés en France montrent combien cette question est sensible étant donné l’évolution actuelle des choix politiques de nos décideurs. Que penser de ce passage du rapport Bénisti dans un tel contexte : « Beaucoup de structures existent et pourraient servir une politique efficace ([de prévention de la délinquance]) si elles entraient en contact les unes avec les autres, au lieu de vivre chacune indépendamment sans jamais mutualiser ses informations : Il faut redéfinir la notion de secret professionnel et créer une culture du secret partagé » ?

Dernier point qui suscite des doutes, celui de la sécurisation des données. La « Base Elèves Premier Degré » est accessible via Internet moyennant l’introduction dans le formulaire d’entrée d’un code d’identification et d’un mot de passe. Le cryptage des données lors des échanges client serveur se fait via un protocole sécurisé. Le hic, c’est que le système ne fonctionne avec un niveau de sécurité acceptable que si l’ordinateur est exempt de tout éventuel logiciel espion susceptible de récupérer clandestinement les codes d’identification entrés par l’utilisateur dans la machine. La préconisation de la CNIL  [10] d’utiliser une clé USB afin d’augmenter la sécurité par un élément physique porteur d’une clé de cryptage n’est pas respectée partout. Quand on sait comment sont généralement protégées les machines des écoles en matière d’antivirus et de pare-feu, on peut s’interroger.

En raison de ces inquiétudes, un certain nombre de directeurs dans des départements pilotes comme par exemple l’Ille et Vilaine ont refusé d’utiliser le système. Deux syndicats appellent à ne pas renseigner les champs concernant la nationalité ainsi que les signalements et suivis par le RASED.

Question de gestion, question de société

On aurait tort de considérer cette question comme étant uniquement circonscrite au champ de l’éducation et d’en minimiser la complexité sur les plans technologiques, éthiques et politiques. La « Base Elèves Premier Degré » intéresse l’ensemble de la société française. Les récentes polémiques autour de la tentative de rattachement du numéro de sécurité sociale (NIR) au dossier médical (DMP)  [11], de la mise en place par la bande du fichier ELOI  [12] conçu pour lutter contre l’immigration clandestine, le projet INES de carte d’identité numérique intégrant des éléments biométriques et la question qu’il suscite du changement de rapport à l’identité et des rapports de pouvoir entre le citoyen et l’État, le projet controversé d’étendre au 13 - 18 ans le FNAEG (Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques)  [13], les conséquences du recours aux fichiers de police judiciaire STIC  [14] et JUDEX  [15] lors d’enquêtes administratives, nous donnent à voir les effets sur la vie privée, la déontologie et les droits de l’Homme que peuvent avoir ces systèmes informatisés de gestion des données nominatives.

Sans compter (ou peut-être justement en comptant) sur la dépendance dans laquelle va se retrouver l’utilisateur à l’égard d’un système dont il ne maîtrisera pas l’évolution ou la fiabilité. Comment revenir en arrière si trop de choses dépendent du système ?

Une tendance au fichage des individus qui se vérifie au niveau international

La France n’est pas la seule concernée par une possible dérive liée à l’utilisation des fichiers informatisés comportant des données nominatives. Cette question est d’actualité aussi en Angleterre, où les enseignants se mobilisent [16] contre la mise en place d’un système identique à notre « Base élèves », aux Etats-Unis avec le Patriot Act  [17] et la tentative faite en son nom par le ministère de la justice d’accéder aux fichiers informatiques de lecteurs bibliothèques et des libraires, en Italie où le gouvernement Berlusconi a porté par décret à 5 ans l’obligation légale pour les opérateurs de stocker les données de communications électroniques de leurs clients et ce contre l’avis de la CNIL italienne et de nombreuses associations de défense des droits et des libertés individuelles. Ce ne sont là que quelques exemples et la liste n’est pas exhaustive pour autant.

Dans ce contexte, il est peut-être de notre devoir, à nous enseignants, qui de par notre fonction, recueillons beaucoup d’informations confidentielles concernant les familles des élèves qui nous sont confiés, de ne pas apporter une pierre de plus à l’édification d’une société du contrôle dominée par la tentation du tout sécuritaire. En la matière, le principe de précaution doit prévaloir et la mise en place de contre-pouvoirs dotés des moyens nécessaires à l’exercice de leurs missions permettre de garantir les droits et les libertés du citoyen.

Alors, le moment est peut-être venu de relire George Orwell qui écrivait dans « 1984 » :
« Dans le passé, aucun gouvernement n’avait eu le pouvoir de maintenir ses citoyens sous une surveillance constante. Maintenant, la Police de la pensée surveillait tout le monde, constamment. ».

Communiqué des associations Souriez vous êtes filmés et Acis Vipi

Appel au boycott du système de l’Education nationale nommé base-élèves

Lundi 14 mai 2007

Base-élèves est un système de gestion informatique de données concernant les élèves des écoles maternelles et primaires. Présenté comme un logiciel pour une aide à la gestion des élèves, il permettra de partager des données entre mairies et Education nationale, de croiser les données de la CAF, de suivre le parcours et la scolarité des élèves, en écoles privées, publiques ou pour les bénéficiares du télé enseignement ou de l’enseignement à la maison, chaque enfant recevant un identifiant national. Le stockage des données de base-élèves, initialement de 2 ans a été étendue à 10 ans depuis octobre 2002, ces données seront accessibles sur internet. A la rentrée 2007, la généralisation de base élèves sera effective dans tous les départements.

Les associations "Souriez vous êtes filmés" et "Acis Vipi" dénoncent la mise en place de ce système et l’éventuelle acceptation pour des motifs utilitaristes par des enseignants ou des syndicats d’enseignants.

La mise en garde de l’actuel président de la CNIL est là pour nous rappeller la gravité de la situation actuelle :

« Prenons garde ! A défaut d’initiative de notre part, on pourra, un jour, dire de nous : “La civilisation était en train de changer sous leurs yeux et ils n’ont rien vu venir ; un nouveau droit fondamental des hommes et des femmes vivant dans les sociétés modernes était en train d’être reconnu par les textes et ils n’ont rien fait pour le protéger.” » [18]

« Le capital de notre identité et de notre vie privée est chaque jour menacé. Il y a urgence à le préserver. Comme le capital environnemental de l’humanité, il risque, lui aussi, d’être si gravement atteint qu’il ne puisse être renouvelé. » [19]

Des compromis acceptant l’existence de ce fichage généralisé des enfants ne sont ni souhaitables ni acceptables.

Pour cette raison, les associations "Souriez vous êtes filmés" et "Acis Vipi" appellent au boycott total de ce système irréversiblement attentatoire aux droits à la vie privé des enfants et de leurs familles.

Notes

[1Source : Les Cahiers pédagogiques N°446, octobre 2006 http://www.cahiers-pedagogiques.com.... [Note LDH-TOULON.]

[3Déclaration du ministre de l’éducation nationale faite à la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) le 24 décembre 2004.

[4Accéder au site Eduscol.

[5I.N.E : Identifiant National Elève. A été introduit en 2002 en remplacement du numéro de matricule.

[6ENT : Environnement Numérique de Travail.

[8Que penser de l’article 5 du projet de loi de prévention de la délinquance qui prévoit en substance dans le code de l’action sociale et des familles les dispositions suivantes : « Art. L. 121-6-2. - Lorsque la gravité des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d’une personne ou de personnes composant une même famille, constatée par un professionnel de l’action sociale telle que définie à l’article L. 116-1, appelle l’action de plusieurs intervenants, celui-ci en informe le maire de la commune de résidence pour assurer une meilleure efficacité de l’action sociale.[...]
« Ces professionnels et le coordonnateur sont autorisés à partager les informations et documents nécessaires à la continuité et à l’efficacité de leurs interventions. Les informations ainsi communiquées ne peuvent être divulguées à des tiers sous peine des sanctions prévues à l’article 226-13 du code pénal.
« Le professionnel intervenant seul dans les conditions prévues au premier alinéa et le coordonnateur sont autorisés à révéler au maire ou à son représentant, au sens de l’article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales, les informations confidentielles qui sont nécessaires à l’exercice de ses compétences dans les domaines sanitaire, social et éducatif. »

[9Voir sur le site Eduscol.

[10La même recommandation avait été faite par la CNIL concernant le système Iprof.

[11En 1978, le projet Safari du ministère de l’intérieur prévoyait, grâce au NIR, d’interconnecter des fichiers policiers et sociaux. Le tollé provoqué par ce projet avait entraîné la création de la CNIL (Commission nationale de l’Informatique et des Libertés).

[12« Saisie d’une demande d’avis en mai 2006, la Cnil avait deux mois pour rendre son avis. Compte tenu des moyens limités dont elle dispose et du nombre croissant de dossiers dont elle est saisie, la Commission n’a pu rendre dans les délais qui lui étaient impartis par la loi d’avis motivé. Au terme de la loi, faute de réponse de la Cnil, l’avis est donc favorable. » ; Sophie Vulliet-Tavernier, responsable de la Direction des Affaires juridiques de la CNIL. Un fichier de ce type aurait légalement dû être créé par décret en Conseil d’Etat après avis de la CNIL, et non par un simple arrêté du ministre de l’intérieur.

[13Voir la page Fnaeg sur le portail Service-Public.

[14Voir la page consacrée au Stic sur le site de la Fédération Informatique et Liberté "Renseignements Généraux

[15Voir la page consacrée à JUDEX sur le site de la Fédération Informatique et Liberté "Renseignements Généraux"

[16Voir l’article Universal Child Database sur Wikipedia.

[17Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/USA_PA... sur le site Wikipédia.

[18Réflexions proposées par ALEX TÜRK, PRESIDENT DE LA CNIL, à la CONFERENCE INTERNATIONALE DES COMMISSAIRES A LA PROTECTION DES DONNEES
LONDRES, 2 ET 3 NOVEMBRE 2006 http://www.cnil.fr/fileadmin/docume....

[19Tribune du 04/12/2006 de Alex TÜRK, Président de la CNIL : http://www.cnil.fr/index.php?id=2150.


Suivre la vie du site  RSS 2.0 | le site national de la LDH | SPIP