base élèves : objection !


article de la rubrique Big Brother > base élèves
date de publication : lundi 5 novembre 2007
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Voici une lettre que nous avons reçue récemment (et que nous avons anonymée).

Quelle meilleure illustration de la pression qui continue à s’exercer sur le personnel de l’Education nationale ? Un quarteron de fonctionnaires assemblés pour faire plier un instit qui a osé diffuser par courrier électronique ce texte subversif en utilisant son email professionnel (c’est la seule fôte qui puisse lui être imputée) [1]...


Bonjour !

Je suis professeur des écoles (pas directeur) dans le département XYZ et militant syndical.

Le 26 septembre dernier, j’ai envoyé, avec mon adresse électronique professionnelle, le courriel reproduit ci-dessous. C’était un acte réfléchi depuis plusieurs mois, et pour lequel j’avais pris conseil.

Dans le département cela a eu un certain écho, généralement positif (pour ceux qui m’ont contacté).

Ce matin, j’étais convoqué par l’Inspecteur d’Académie (IA) pour "un remontage de bretelles".

J’ai été reçu par trois de mes supérieurs hiérarchiques et un autre fonctionnaire.
Ils ont refusé dans un premier temps que je sois reçu avec la représentante du personnel qui m’accompagnait, laquelle a été invitée à ne rentrer que pour entendre les conclusions de l’entretien.

Durant cet entretien qui a duré plus d’une heure, mes supérieurs hiérarchiques ont essayé de me faire dire que j’avais eu tort de faire cette action, et que je ne continuerai pas. Il n’ont pas réussi à me faire changer d’avis, mais je n’ai pas réussi non plus à les convaincre du danger que représente base élèves.
Concrètement et sur le plan "administratif" on me reproche :

  • d’avoir utilisé mon adresse professionnelle d’email.
  • d’avoir diffusé des tracts (de mon syndicat) aux parents par l’intermédiaire des élèves (à savoir : ce tract syndical était sous pli fermé. C’est moi qui ai dit que je l’avais fait, pas les parents qui sont plutôt demandeurs d’information dans mon école). Le tract que j’ai distribué est disponible sur un site de SUD Education.

Il y aura un compte-rendu de cette rencontre par l’administration. Cette rencontre était un simple avertissement oral. Si je devais persévérer dans mon action, je m’exposerais à une sanction disciplinaire du premier groupe (avertissement ou blâme inscrit au dossier professionnel), et à la suppression de mon adresse électronique professionnelle.

Monsieur l’Inspecteur d’ Académie,
Mesdames et Messieurs les Inspecteurs de l’Education Nationale,
Chères et chers collègues,
Camarades,

L’utilisation des logiciels de gestion internes aux écoles, qui facilitent les tâches de direction, est un progrès, tant que ces données restent internes aux écoles.

Mais une base de données nationale centralisée représente un danger pour les élèves et leurs familles. C’est pourquoi, en conscience, je ne peux accepter que mes élèves soient fichés par le logiciel "Base élèves premier degré" (BE1d).

Quelques arguments :

  • les événements récents dans le département du Haut Rhin me font redouter le pire. L’Inspecteur d’Académie de ce département avait demandé aux directeurs de signaler la présence d’élèves sans papiers dans leurs écoles. La réaction citoyenne de mes collègues directeurs a permis d’éviter que cette demande indécente n’ait une suite. Lorsque Base elèves sera entièrement en fonction dans quelques mois, tout sera automatisé. Les IA n’auront plus à chercher, quand on leur en donnera l’ordre, les "clandestins" que dans la liste des étrangers, sans possibilité d’opposition des enseignants et de réaction de leurs syndicats.
  • La récente loi de prévention de la délinquance votée en mars permettra, quoi qu’en dise actuellement le Ministère de l’Education Nationale, le croisement du fichier BE1d avec divers fichiers sociaux et de police. Le Maire, responsable de la prévention de la délinquance sur sa commune, aura de fait accès à beaucoup plus d’informations que ce que laissent entendre les responsables de la mise en place du logiciel. C’est une atteinte insupportable à la vie privée des enfants, et de leurs familles.
  • Et, de toutes façons, qui est à l’abri du piratage informatique ?

Je refuse donc le fichage de mes élèves. J’agis en conscience, en tant qu’enseignant et fonctionnaire responsable, conformément aux dispositions de l’article 28 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, et stipulant qu’un fonctionnaire ne doit pas se conformer à un ordre "de nature à compromettre gravement un intérêt public".

En conséquence, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que "Base élèves" ne soit pas installée ou utilisable dans mon école, même si pour cela je suis amené à agir à l’encontre des ordres qui me seront donnés, tout en restant dans le strict respect des personnes et des biens.

Je ferai connaître ma démarche, et en informerai les parents d’élèves de ma classe et de mon école.

P.-S.

Ceux qui souhaitent s’associer, activement ou symboliquement, à cette démarche, peuvent envoyer un petit mot à LDH-Toulon qui fera suivre.

Notes

[1[Une note de LDH-Toulon] Les lecteurs attentifs du Canard enchaîné de la semaine savent que l’utilisation du courrier électronique ne met pas à l’abri des grandes oreilles.

« Vendredi 26 octobre, un médecin, délégué de l’Association des médecins urgentistes, a été convoqué, toutes affaires cessantes, par le préfet de l’Isère », qui, « pas content du tout », lui a « brandi sous le nez (...) une série de mails ».

Qu’étaient ces mails ?

Tenez-vous bien : « Il s’agissait des échanges de ce médecin avec son président, (...) Patrick Pelloux », et « les courriels en question n’étaient pas franchement louangeux pour la politique de santé du gouvernement et autres opérations de casse de l’hôpital public ».

Alors bien sûr, on se demande, vous et moi, par quelle espèce de miracle ces mails entre un médecin de l’Isère et son pote Pelloux ont fini sur le bureau d’un préfet - pas vrai ?

On ne sait au juste - mais Le Canard enchaîné observe, et comme on le comprend, que : « L’interception de la correspondance privée entre deux syndicalistes par un haut fonctionnaire de la République est désormais entrée dans les moeurs ».


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