la nationalité des élèves ne doit pas être collectée


article de la rubrique Big Brother > base élèves
date de publication : samedi 14 juillet 2007
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Au départ, il est dit que la collecte de la nationalité a « pour seule finalité l’établissement de traitements statistiques » et que cette donnée ne sera pas transmises aux maires.
Le but est précis, simple et affiché publiquement.

Mais on peut craindre qu’avec le temps cette collecte devienne “normale” et se généralise jusqu’à devenir “systématique”, puis qu’elle réponde progressivement à de nouveaux objectifs et soit détournée de son but primitif.


Dans le dossier réalisé par Nathalie MALLET-POUJOL [1], réactualisé en mai 2007, intitulé Protection de la vie privée et des données à caractère personnel
, on peut lire ceci [2] :

38. Nationalité. L’information relative à la nationalité d’une personne est de nature à faire apparaître son origine raciale, ce qui a conduit la CNIL à la considérer, dans certaines hypothèses, comme une donnée sensible
 [3].
S’agissant de l’enseignement et de la recherche, la question de la nationalité a revêtu une grande acuité quand la CNIL a été saisie par les ministères de l’Education
nationale et de l’Enseignement supérieur, en 1993, de la régularisation de l’ensemble des fichiers de gestion administrative et pédagogique des élèves de l’enseignement public secondaire et des étudiants, mis en oeuvre, pour certains, depuis vingt ans !

39. Opportunité de la collecte. La CNIL a toujours été très réservée sur le traitement d’une donnée qui, certes, ne relève pas stricto sensu de l’article 8 de la loi, relatif aux données sensi bles, mais qui « pourrait, si l’on n’y prenait garde, être source de discrimination ou de stigmatisation des personnes étrangères résidant dans notre pays ». Elle tient toutefois à rappeler que « l’enregistrement de la nationalité des usagers des services publics peut être réalisé si cette donnée s’avère nécessaire soit pour la gestion administrative de leur dossier, soit pour la production d’indicateurs statistiques » [4].
Dans le domaine de l’action sociale et de l’emploi, elle recommande en général l’enregistrement de la donnée « nationalité » sous la simple forme : « Français, ressortissant d’un pays membre de l’Union européenne, ressortissant d’un pays tiers à l’Union européenne ». En revanche, elle ne s’est jamais opposée au traitement de la nationalité détaillée dans le cadre d’études statistiques « dès lors que cette
donnée s’avérait adéquate, pertinente et non excessive au regard des objectifs de l’étude ».

La CNIL s’est ainsi réservée la possibilité d’apprécier l’opportunité
 [5] de la collecte de la
nationalité, en vérifiant qu’elle ne pouvait pas avoir de conséquences dangereuses. Ainsi a-t-elle pris acte que « la nationalité n’est enregistrée sous une forme détaillée que lorsque des raisons précises le justifient : nécessité, par exemple, de disposer de données chiffrées fines pour équilibrer les échanges d’étudiants dans le cadre d’accords bilatéraux ou encore pour apprécier, conformément aux demandes du Haut Commissariat à l’Intégration, l’efficacité de différentes actions sous l’angle de l’intégration » [6].

40. Traitement SCOLARITE. Dans les autres hypothèses, la référence à la nationalité est limitée aux mentions « Français », « CEE » ou « Autres ». Ainsi, la Commission a autorisé, dans le traitement « SCOLARITé », (ayant pour objet d’assurer la gestion administrative, pédagogique et financière des élèves par les établissements publics du second degré, la gestion académique et l’établissement de statistiques par les rectorats et les inspections d’académie, ainsi que la gestion prévisionnelle et la mise en oeuvre d’études statistiques par l’administration centrale), la collecte de la nationalité, en considérant que cette collecte a « pour seule finalité l’établissement de
traitements statistiques » [7]. Dans le traitement « SAGACES » [8], ayant pour objet la gestion des
opérations propres à l’organisation des examens et concours scolaires, la nationalité est enregistrée sous la forme « française-étrangère ».

Insistons : la Cnil n’a autorisé, dans le traitement « SCOLARITE », la collecte de la nationalité, que parce que cette collecte a « pour seule finalité l’établissement de
traitements statistiques ».

D’ailleurs la Cnil l’a réaffirmé dans son avis du 22 juin 2007 :

« En revanche, les données relatives à la nationalité, à l’année d’arrivée en France de l’enfant et aux coordonnées de l’employeur des parents ne sont pas transmises aux maires en raison de leur absence de pertinence au regard de leur missions en la matière.

« A la lecture de la déclaration, la collecte de l’information sur la nationalité des élèves est destinée uniquement à l’élaboration de statistiques anonymes par le Ministère de l’Education nationale. La CNIL a cependant interrogé le Ministère sur les modalités exactes selon lesquelles cette information est exploitée ainsi que sur la nomenclature des nationalités utilisée. »

Alors, pourquoi s’inquiéter ?

  • Parce que les renseignements sur la nationalité et l’origine des enfants ne peuvent qu’aider à repérer les familles sans-papiers.
  • Parce que, le 17 janvier 2006, l’Inspection Académique de l’Oise a adressé aux proviseurs le courriel suivant [9] :

« Lors du prochain comité d’administration régionale sera abordée la question des élèves de nationalité étrangère sous menace de reconduite à la frontière. Un bilan doit être transmis à cette fin à Madame le Recteur pour le vendredi 20 janvier.
A la demande de Monsieur l’inspecteur d’académie, il serait souhaitable de disposer d’un bilan départemental sur la question. Vous serait-il possible de m’indiquer (par courrier électronique) :

  1. le nombre d’élèves mineurs susceptibles, de part la situation de la famille, de faire l’objet d’une telle mesure et scolarisés dans votre établissement (et dont vous auriez connaissance bien entendu).
  2. pour les élèves majeurs sous la menace d’une reconduite à la frontière, leurs noms, nationalités et résultats scolaires. [...] »
  • Parce que des administrations françaises vont jusqu’à faire ramasser à la sortie des écoles des enfants qui n’ont pas la bonne nationalité.
  • Parce que l’Inspecteur d’Académie des Pyrénées-Orientales, où Base élèves est expérimenté depuis trois ans, a reconnu « être la plus grande source d’information sur l’immigration » [10].
  • Parce que le ministère de l’Education nationale n’a pas respecté les engagements qu’il avait pris devant la Cnil : base élèves n’était pas sécurisé.
  • Parce que les prérogatives de la Cnil ne font que diminuer : depuis la loi du 15 juillet 2004, elle n’a plus les moyens de s’opposer à la mise en place de fichiers administratifs ou destinés à la « sécurité » nationale — désormais son avis n’est que consultatif.
  • Parce que les moyens d’action de la Cnil ne lui permettent pas de
    veiller « à ce que les traitements de données à caractère personnel soient mis en oeuvre conformément aux dispositions de la loi » du 6 janvier 1978 modifiée (dite loi informatique et libertés) [11] : ce n’est pas la Cnil qui a mis en évidence le non-respect de ses engagements par le ministère de l’Education nationale — mais de simples citoyens.
  • Parce que, concernant l’utilisation des nouvelles technologies, nous ne devons jamais faire confiance aux gouvernements : ils ont toujours tenté de les exploiter pour surveiller toujours plus et toujours mieux.
  • Parce que nous avons un impérieux devoir de vigilance : « en matière de technologie nouvelle, tout abandon d’une parcelle de liberté est définitif » [ Alain Weber ].

Mais Monsieur Alex Türk, président de la Cnil, va bientôt nous rassurer. Il a déjà écrit par deux fois (le 23 mai et le 26 juin derniers) au ministère de l’Education nationale pour poser une série de questions, et il va rencontrer le ministre de l’Education nationale, Monsieur Xavier Darcos, mardi soir 17 juillet [12].

Notes

[1Nathalie Mallet-Poujol est Chargée de Recherche au CNRS, Directrice de l’ERCIM - Université Montpellier 1.

[2Source p. 39 et 40 du fichier téléchargeable http://www.educnet.education.fr/chr... .

[3CNIL, Délibération n° 91-033 du 7 mai 1991 portant avis relatif à la création d’un traitement automatisé d’informations nominatives concernant une application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France : CNIL, 12° rapport d’activité 1991, Doc. fr. 1992, p. 233, « prenant acte que l’information relative à la nationalité des étrangers pouvant indirectement faire apparaître leur origine raciale, fera l’objet du recueil de l’accord exprès des personnes concernées » ; V. aussi CNIL, Les libertés et l’informatique, Vingt délibérations commentées, La documentation française 1998, p. 120.

[4Communiqué « En bref » de la CNIL du 14 décembre 2004, sur le site www.cnil.fr.

[5V. sur la prise en compte de la nationalité en matière de scoring, V. CE 30 oct. 2001 : Petites affiches, novembre 2001, n° 218, p. 3.

[6CNIL, 14° rapport 1993, op. cit., p. 118.

[7CNIL, Délibération n° 93-074 du 7 sept. 1993 : 14° rapport CNIL 1993, op. cit. p. 122.

[8V. le traitement « SAGACES » in CNIL, 14° rapport 1993, op. cit. p. 124

[11Extrait de l’article 11 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 : http://www.legifrance.gouv.fr/texte....

[12Déclaration de M. Türk lors d’un chat organisé par LEMONDE.fr le 11 juillet.


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