le « devenir incertain » de la Base élèves et de la BNIE


article de la rubrique Big Brother > base élèves
date de publication : mercredi 21 juillet 2010
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Dans un rapport de mai 2010, la Cour des comptes a exprimé son inquiétude devant le « devenir incertain » de la Base élèves 1er degré et de la BNIE [1]. Les décisions d’annulation partielle ou totale de ces deux fichiers par le Conseil d’État [2] ne vont pas manquer d’alimenter ce questionnement, comme en témoigne l’article repris ci-dessous.

Du fait de l’opacité qui a accompagné leur mise en place, du flou de leur finalité, et de l’existence de l’identifiant national élève (INE), ces traitements informatiques ont très vite rencontré l’opposition déterminée de parents et d’enseignants. L’Autorité de la statistique publique a noté dans son rapport 2009 que « la Base élèves fait l’objet de critiques répétées au motif que les informations qu’elle contient dépassent largement l’objectif de gestion administrative [...] qui semblait lui être assigné » [3]. Ceci aggravé par le fait que ces informations personnelles remontent de façon nominative, a entrainé les protestations qui ont abouti à la suppression d’un certain nombre d’entre elles – ce que les statisticiens déplorent.

Deux questions viennent à l’esprit [4] :

  • pourquoi n’a-t-on pas fait appel aux techniques d’échantillonnage pour établir des statistiques ? cela aurait évité l’enregistrement et la remontée de données nominatives pour la totalité des élèves ;
  • pourquoi les données nominatives sortent-elles de l’école sans anonymisation ni recours à un cryptage sécurisé ?

Les décisions récentes du Conseil d’État ne vont rien arranger : le système mis en place est extrêmement complexe – une usine à gaz couverte de rustines –, et il risque de rencontrer la même opposition sans satisfaire personne – ni ceux qui veulent établir des statistiques, ni ceux qui ont besoin d’un outil de gestion.


Base élèves va-t-il disparaître ?

par Laurence Debril, LExpress.fr, le 21 juillet 2010 à 08:25


Le fichier base élèves, qui devait officiellement permettre un recensement des enfants en primaire mais a toujours été perçu comme un outil de fichage, notamment des sans papiers, pourrait bien vivre ses dernières heures.

Après avoir organisé la résistance des enseignants, mobilisé l’opinion, alerté la Ligue des droits de l’Homme, porté l’affaire devant l’ONU, les membres du Collectif national de résistance à Base élèves (CNRBE) viennent de gagner une nouvelle bataille. Le Conseil d’Etat vient d’invalider la Base élève sur plusieurs points, pour non-conformité avec la loi " informatique et libertés" du 6 janvier 1978. Même si le ministère affiche une sérénité de façade, le fichier base élèves, vidé de toute substance, ne sert plus à grand chose. Une bonne et une mauvaise nouvelle.

Bonne nouvelle, car dès sa création en 2004, puis sa généralisation en 2009 par Xavier Darcos, alors ministre de l’éducation nationale, ce fichier de recensement a été soupçonné de servir d’outil de fichage des élèves. La première version prévoyait que les directeurs renseignent des données évidentes - nom, prénom, adresse - mais aussi d’autres beaucoup plus polémiques, telles leur nationalité, l’année de leur arrivée en France, la langue parlée à la maison, le suivi médical ou psychologique dont ils font l’objet, leur handicap éventuel.

Immédiatement, le fichier est perçu comme une machine au service de la lutte contre les sans-papiers. En primaire, les inscriptions s’effectuent auprès de la mairie, et ses renseignements ne sont pas exigés pour inscrire un enfant à l’école. Résultat, les enfants sans papier scolarisés ne sont répertoriés nulle part. Or, si eux ne peuvent être renvoyés dans leurs pays d’origine, leurs parents, oui. La fronde est immédiate.

D’autant que le procédé fait écho à une autre tentative de "tout-fichage", l’idée, lancée en 2005 par Nicolas Sarkozy, d’un "dépistage précoce des enfants présentant des troubles du comportement", dès 3 ans... Le ministère fait rapidement machine arrière, reconnaissant le caractère "liberticide", et élimine les questions concernant de près ou de loin les origines ethniques des enfants, ainsi que celles ayant trait à l’absentéisme, la profession et la catégorie sociale des parents.

La dernière victoire du collectif concerne la scolarisation dans des classes adaptées pour les enfants malades ou handicapés (CLIS). Le Conseil d’Etat a également jugé que la durée de conservation des données dans la Base nationale identifiant élèves (BNIE), un autre fichier, actuellement de trente-cinq ans, était trop longue. Le ministère de l’éducation nationale doit proposer sous trois mois une nouvelle durée de conservation. 2 095 parents ont porté plainte dans toute la France contre le fichier.

Mauvaise nouvelle, car de fait, on ne dispose que de peu d’informations concernant les élèves français. Base élève devait remplacer les fiches en carton du siècle dernier, et uniformiser la collecte de données partout en France grâce à un outil informatique national. Pas forcément pour organiser une chasse aux sans papiers ou pour stigmatiser les plus agités dès le berceau, mais bien pour connaître le nombre exact d’élèves, mieux gérer les ouvertures et fermetures de classes, étudier les évolutions de la population française.

Désormais, Base élèves et BNIE collecteront des données concernant l’inscription à la cantine, le transport, les activités périscolaires, le nom, le représentant légal, le tout durant seulement 15 ans, et non plus 35. Dès 2006, les sociologues Dominique Glasman et Stéphane Beaud, pointaient le problème causé par l’absence de données et l’impossibilité d’étudier des échantillons représentatifs [5]. Un souci, pour les sciences de l’éducation et les chercheurs. Mais le respect de la vie privée et des libertés individuelles est sans doute à ce prix.

Base élèves, un système de fichiers complexe

[Le Monde.fr, le 20 juillet 2010 13h18]


Objets d’un conflit depuis plusieurs années entre des enseignants, des parents et le ministère de l’éducation nationale, les fichiers d’élèves du primaire devront être en partie modifiés, a décidé le Conseil d’Etat. Retour sur un dossier complexe.

Qu’est-ce que Base élèves ?

Base élèves est un système informatique de gestion des inscriptions d’élèves dans l’enseignement primaire. Par extension, l’expression désigne également les fichiers alimentés par cet outil informatique, par exemple le fichier Base élève premier degré (BE1D), qui enregistre des informations variées (état civil, adresse, responsable légal...) sur chaque élève du primaire, ou la Base nationale identifiant élèves (BNIE), un répertoire des numéros uniques attribués à chaque élève pour l’ensemble de sa scolarité. Les données du BE1D sont utilisées pour alimenter le BNIE.

Pourquoi ce système est-il critiqué ?

Des enseignants, chefs d’établissement, syndicats, parents d’élèves et associations sont opposés à l’utilisation de ces fichiers, et se sont réunis dans un collectif. Ils estiment que ces fichiers ne respectent pas le droit à la vie privée des élèves qui y sont fichés, et craignent notamment qu’ils soient utilisés pour des recoupements par d’autres administrations, dont la police. Certains chefs d’établissement – deux cents, selon le collectif – ont refusé d’utiliser Base élèves, et ont fait l’objet de sanctions. En mars, deux directeurs d’écoles iséroises se sont ainsi vu retirer leurs fonctions.

Pourquoi le Conseil d’Etat a-t-il été saisi ?

Un recours avait été déposé par deux membres du Collectif de résistance à Base élèves, une directrice d’école et un parent d’élèves. Ils estimaient que ces fichiers étaient hors la loi, pour des raisons portant à la fois sur le fond (manquements à la protection de la vie privée) et la forme (déclarations non conformes à la Commission nationale de l’informatique et des libertés). Le Conseil d’Etat leur a donné raison sur certains points, tout en reconnaissant l’utilité de ces fichiers.

Que dit le Conseil d’Etat ?

La plus haute juridiction administrative française a demandé, lundi, deux modifications des fichiers d’élèves. Elle a estimé que certaines informations contenues dans la BE1D, notamment la scolarisation dans des classes adaptées pour les enfants malades ou handicapés (CLIS), ne devaient pas être enregistrées. Ces informations de nature médicale bénéficient dans la loi d’une plus grande protection par rapport aux informations jugées moins sensibles, comme l’état civil.

Le Conseil d’Etat a également jugé que la durée de conservation des données dans le BNIE, actuellement de trente-cinq ans, était trop longue. Le ministère de l’éducation nationale doit proposer sous trois mois une nouvelle durée de conservation.

Que va-t-il se passer à la rentrée ?

La mention d’une scolarité en CLIS ne pourra pas être enregistrée dans le fichier BE1D. En ce qui concerne le BNIE, le gouvernement disposant de trois mois pour modifier la date de conservation des données, les élèves pourront être enregistrés comme l’an dernier. L’éducation nationale devra supprimer les données trop anciennes une fois la nouvelle durée de conservation fixée.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat a rétabli la possibilité pour les parents de refuser l’inscription de leur enfant dans ces fichiers pour "des motifs légitimes".

Y a-t-il d’autres fichiers ?

Oui, l’éducation nationale tient à jour plusieurs autres fichiers. L’un des principaux est Sconet, qui regroupe de nombreuses informations sur les élèves du second degré.

Notes

[1Référence : les pages 117 et 118 du rapport de la Cour des comptes : http://www.ccomptes.fr/fr/CC/docume....
Voir également la page consacrée à l’inquiétude à la Cour des comptes.

[3Référence : l’annexe 3, « Cnis, bilan de l’activité de la statistique publique en 2009 », page 33 du rapport 2009 de l’Autorité de la statistique publique : http://www.autorite-statistique-pub....

[4Voir la page consacrée aux bonnes questions du Cnis.

[5[Note de LDH-Toulon] – La pétition lancée en 2008 par Dominique Glasman et Stéphane Beaud est reprise sur cette page.


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