le Conseil d’État annule Base élèves (partiellement) et la BNIE, et accorde 3 mois au ministère pour revoir sa copie


article de la rubrique Big Brother > base élèves et la justice
date de publication : mardi 20 juillet 2010
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Suite aux recours déposés par deux particuliers, Mireille Charpy ancienne directrice d’école et Vincent Fristot parent d’élève, le Conseil d’État vient de décider l’annulation partielle de Base élèves 1er degré et l’annulation en totalité de la BNIE, tout en accordant au gouvernement un délai de trois mois pour les rendre conformes à la loi “informatique et libertés” du 6 janvier 1978.

Base élèves 1er degré est annulée en tant qu’elle porte sur la période
antérieure au 1er mars 2006, et en tant qu’elle prévoit l’enregistrement
de données relatives à la santé.
L’arrêté du 20 octobre 2008 du ministre de l’Éducation nationale est
annulé en tant qu’il interdit expressément la possibilité pour les
personnes concernées de s’opposer, pour des motifs légitimes, à
l’enregistrement de données personnelles les concernant au sein de Base
élèves 1er degré.
De plus, le Conseil d’État « sanctionne l’omission, dans la déclaration faite à la CNIL, de la mention » de « rapprochements » avec d’autres fichiers.

D’autre part, la décision de création de la BNIE est annulée, le Conseil d’État demandant la fixation d’une « durée de conservation » des données inférieure à 35 ans.

Nous reprenons ci-dessous la réaction des principaux intéressés, à la suite du communiqué du Conseil d’État.

[Mise en ligne le 19 juillet 2010, mise à jour le 20]



Voir en ligne : base élèves et BNIE devant le Conseil d’État : le rapporteur public conclut dans le sens des demandes du Cnrbe

Communiqué du Conseil d’État [1]

Lundi 19 juillet 2010

Education nationale : fichiers “Base élèves 1er degré” et “BNIE”

Les fichiers “Base élèves 1er degré” et “BNIE” mis en œuvre par l’Education nationale devront faire l’objet de régularisations.

Le Conseil d’État a invalidé sur plusieurs points les traitements de données « Base élèves 1er degré » et « BNIE » utilisés par les services du ministère de l’éducation nationale, qui permettent le suivi administratif et pédagogique des élèves des écoles maternelles et primaires. A la suite de la décision du Conseil d’État, ces fichiers devront être modifiés afin d’assurer leur conformité à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978.

Dans le but de faciliter la gestion des dossiers administratifs des élèves du premier degré et leur suivi pédagogique, le ministère de l’éducation nationale a mis en place à partir de 2004 une base de données baptisée « Base élèves 1er degré ». Une deuxième version de cette base a été mise en œuvre par un arrêté du ministre du 20 octobre 2008. Ce fichier n’est accessible dans son ensemble qu’aux directeurs d’école, et pour partie, dans la limite de leurs attributions, aux agents des services communaux gérant les inscriptions scolaires. A la suite de la décision du ministre d’en supprimer certaines catégories de données sensibles (notamment relatives à la nationalité), il ne renferme plus que les renseignements administratifs ordinaires nécessaires à l’inscription scolaire (nom de l’élève, adresse, personne à prévenir en cas d’urgence, données relatives à la scolarité, activités périscolaires…).

Le ministère a par ailleurs créé en 2006 une base de données dénommée « base nationale des identifiants des élèves » (BNIE). Celle-ci a pour objet de recenser l’ensemble des numéros uniques, internes au ministère, qui sont attribués aux élèves lors de leur première inscription, afin de faciliter la gestion administrative de leur dossier tout au long de leur scolarité.

Deux particuliers ont demandé au Conseil d’État l’annulation des décisions du ministre procédant à la création de ces différentes bases. Ils critiquaient principalement la légalité de ces décisions, relatives à des traitements de données à caractère personnel, au regard de la loi dite “informatique et libertés” du 6 janvier 1978. Par deux décisions rendues ce jour, concernant l’une le fichier « Base élèves 1er degré », l’autre le fichier « BNIE », le Conseil d’État vient de faire droit partiellement à ces demandes.

En ce qui concerne le fichier « Base élèves 1er degré » (décision nos 317182 et 323441) dans sa première version, le Conseil d’État relève tout d’abord que, s’il a bien fait l’objet d’une déclaration à la fin de l’année 2004 auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), ce fichier a commencé à être utilisé sans attendre la délivrance du récépissé de la déclaration, intervenue seulement le 1er mars 2006. Il constate donc, pour la période antérieure à cette date, une méconnaissance de l’article 23 de la loi de 1978, qui prévoit que le responsable du traitement ne peut le mettre en œuvre qu’après réception du récépissé.

Le Conseil d’État censure également la collecte, dans la première version du fichier, des données relatives à l’affectation des élèves en classes d’insertion scolaire (CLIS). Il juge en effet que, par leur précision, ces données permettent de connaître la nature de l’affection ou du handicap dont souffrent les élèves concernés et constituent par conséquent des données relatives à la santé, dont le traitement aurait dû être précédé d’une autorisation de la CNIL. En revanche, le Conseil d’État ne retient pas cette critique s’agissant de la version actuelle du fichier, compte tenu du degré de généralité des données recueillies.

L’article 38 de la loi de 1978 donne à toute personne physique le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement. Sur ce point, le Conseil d’État juge le fichier légal dans sa première version, antérieure à l’arrêté du 20 octobre 2008. En revanche, il annule les dispositions de cet arrêté qui interdisent, dans sa deuxième version, toute possibilité d’exercice de ce droit d’opposition.

Le Conseil d’État écarte ensuite la critique selon laquelle « Base élève 1er degré » a pour objet l’interconnexion de fichiers, au sens du 5° de l’article 25 de la loi de 1978, et aurait dû à ce titre faire l’objet d’une autorisation de la CNIL. Il juge toutefois que ce fichier, dans ses deux versions successives, procède à des rapprochements avec des données provenant d’autres fichiers dont les objets sont voisins du sien. A ce titre, le Conseil d’État sanctionne l’omission, dans la déclaration faite à la CNIL, de la mention de ces rapprochements, qui est prescrite par l’article 30 de la loi.

Le Conseil d’État rejette l’ensemble des autres critiques émises par les requérants. Il juge, notamment, que les finalités de « Base élèves 1er degré » sont suffisamment explicites, que les données recueillies sont proportionnées à ces finalités et que la durée de conservation des données, fixée à 15 ans, n’est pas excessive. Il écarte également les critiques tirées de ce que ce traitement constituerait une atteinte illégale à la vie privée et aux libertés individuelles ou au principe d’égalité.

En ce qui concerne le fichier « BNIE » (décision no 334014), le Conseil d’État constate qu’il a été mis en œuvre avant la délivrance par la CNIL, le 27 février 2007, du récépissé de la déclaration ; il en conclut, comme pour « Base élèves 1er degré », que sa mise en œuvre avant cette date est irrégulière. Le Conseil d’État juge également ce fichier irrégulier en ce qu’il prévoit une durée de conservation des données de 35 ans, le ministère ne justifiant pas qu’une telle durée serait nécessaire au regard des finalités du traitement. Cette illégalité entraîne l’annulation en totalité de la décision ministérielle créant le fichier, alors même que les autres critiques qui lui étaient adressées sont expressément écartées par le Conseil d’État.

Les requérants demandaient en outre au Conseil d’État de faire usage de son pouvoir de prononcer des injonctions à l’encontre de l’administration en vue d’assurer l’exécution de ses décisions, en ordonnant la suppression de l’ensemble des données irrégulièrement enregistrées dans « Base élèves 1er degré » et « BNIE ».

S’agissant de « Base élèves 1er degré », le Conseil d’État prend en compte l’importance, pour le bon fonctionnement du service public de l’enseignement, du traitement mis en œuvre. Il relève en outre qu’à la date de sa décision, l’ensemble des données contenues dans ce fichier peuvent régulièrement y être enregistrées et traitées, à la seule exception des données relatives à la santé des élèves. Par conséquent, le Conseil d’État limite l’injonction qu’il prononce à la suppression de la mention exacte de la catégorie de CLIS dans laquelle, le cas échéant, l’élève est accueilli, collectée dans la première version de ce fichier.

S’agissant de « BNIE », le Conseil d’État prend également en compte son importance pour le bon fonctionnement du service public. Il relève aussi qu’à la date de sa décision, l’ensemble des données contenues dans le fichier peuvent régulièrement y être enregistrées et traitées, sous réserve que soit fixée une nouvelle durée pour leur conservation. Le Conseil d’État enjoint par conséquent à l’administration de fixer, dans un délai de trois mois, une nouvelle durée de conservation, faute de quoi l’ensemble des données contenues dans le fichier devront être supprimées.

Pour que ces deux traitements puissent, compte tenu de leur utilité, continuer à être mis en œuvre, il appartient au ministère de l’éducation nationale de procéder aux régularisations requises par les décisions du Conseil d’État.

Conseil d’État, 19 juillet 2010, nos 317182 et 323441, M. F… et Mme C…
Conseil d’État, 19 juillet 2010, no 334014, M. F… et Mme C…

Communiqué des requérants

Lundi 19 juillet 2010

Base Élèves premier degré : Le Conseil d’État sanctionne plusieurs décisions ministérielles

Par deux arrêts rendus lundi 19 juillet 2010, le Conseil d’État a annulé partiellement le fichier « Base Élèves premier degré » en tant qu’il permet l’enregistrement de données relatives à la santé des élèves (mention de
la classe spécialisée) et en tant qu’il permet un rapprochement et la mise en relation de données avec d’autres fichiers, sans déclaration à la C.N.I.L.

L’arrêté du 20 octobre 2008 du ministre de l’éducation nationale qui a créé le fichier « Base Élèves premier degré » est annulé en tant qu’il interdit la possibilité de s’opposer, à l’enregistrement de données personnelles au sein de “Base élèves 1er degré”.

De plus, les recours déposés contre le fichier Base Élèves ont mis à jour un fichier national d’informations nominatives des enfants dès 3 ans : la base nationale des identifiants élèves (BNIE) qui peut mémoriser le parcours scolaire pendant 35 ans. La décision de création de cette BNIE est annulée. Les données enregistrées irrégulièrement dans cette base nationale avant le 27 février 2007 seront détruites.

Les requérants démontrent donc l’irrégularité du dispositif « Base Élèves premier degré » mis en oeuvre par le ministère de l’Éducation nationale depuis décembre 2004. Ces arrêts confortent les parents d’élèves, les directeurs et enseignants qui se sont mobilisés pour refuser ces fichiers nominatifs d’enfants.
Toutefois, le Conseil d’État donne la possibilité d’une régularisation de ces fichiers. Il faut regretter la possibilité de collecter irrégulièrement des données nominatives sans obligation de les effacer dans leur intégralité. Ceci ne peut qu’inquiéter et demande de maintenir la mobilisation.

Les requérants :
Vincent Fristot, Parent d’élèves
Mireille Charpy, ancienne directrice d’école

Communiqué du CNRBE

Le coeur de Base élèves n’a plus d’existence légale !

Le 20 juillet 2010

Le Conseil d’État vient de décider l’annulation de l’arrêté du 20 octobre 2008 créant Base élèves 1er degré et l’annulation des décisions de création de la BNIE, tout en accordant au gouvernement un délai de trois mois pour les rendre conformes à la loi “informatique et libertés” du 6 janvier 1978. Le Conseil d’Etat fait notamment le lien entre la Base Elèves et la BNIE, et affirme que les interconnexions entre fichiers existent, chose que l’Education Nationale avait toujours niée. Le Conseil d’Etat constate en particulier que les données de Base élèves font l’objet de rapprochements et mises en relations avec celles contenues dans d’autres fichiers, comme par exemple les fichiers des mairies et les fichiers des écoles privées, et que cette fonctionnalité était prévue dès l’origine. Le Conseil d’Etat donne également raison aux parents d’élèves en demandant le rétablissement du droit d’opposition, alors que l’Education Nationale le bafouait allégrement.

C’est une excellente nouvelle pour les 2103 parents qui ont porté plainte et qui voient dans cette décision un appui pour poursuivre l’action au pénal, ainsi que pour les directeurs qui ont subi les foudres de l’Education Nationale en raison de leur refus de rentrer les enfants dans ce fichier aujourd’hui hors-la-loi.

Conforté par cette décision du Conseil d’Etat, le CNRBE poursuit sa lutte contre le fichage des enfants en s’appuyant sur les recommandations du Comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies qui a enjoint à la France de ne saisir dans les bases de données que des renseignements personnels anonymes et de légiférer sur l’utilisation des données collectées en vue de prévenir une utilisation abusive des informations .

Engagé dans ce combat depuis plusieurs années aux côtés d’enseignants, de parents, de syndicats, d’associations et de citoyens, le CNRBE veillera au suivi de l’injonction du Conseil d’État et persiste dans ses revendications :

  • Abandon du recueil et du traitement centralisé de données personnelles contenues dans Base Elèves 1er degré et dans tout autre fichier centralisé des enfants ;
  • Abandon de la Base Nationale des Identifiants élèves (BNIE), qui permet de multiples interconnexions actuelles et futures avec d’autres bases administratives ;
  • Levée de toutes les sanctions prises à l’encontre des directeurs d’école qui refusent d’alimenter le fichier Base Elèves 1er Degré ;
  • Suppression des données collectées illégalement ;
  • Aucune donnée nominative ne doit sortir des établissements scolaires.
Le Collectif National de Résistance à Base Elèves


Communiqué du ministre de l’Éducation nationale

Luc Chatel, ministre de l’Éducation nationale, porte-parole du Gouvernement, prend acte avec satisfaction des décisions du Conseil d’État de ce jour concernant la "base élèves premier degré" et la "base nationale des identifiants élèves".

Le Conseil d’État vient, en effet, de rappeler l’importance du dispositif "base élèves premier degré" pour le fonctionnement du service public de l’enseignement. Les principales remarques et critiques portées par le Conseil d’État concernent la version initiale de ce dispositif, expérimenté à partir de 2004 et mis place en 2006. Or, pour mieux prendre en compte la législation en vigueur ainsi que la sensibilité de la communauté éducative, l’Éducation nationale a adapté ce dispositif dès 2008 et il ne comporte désormais que les informations strictement nécessaires à la bonne scolarisation des enfants.

Luc Chatel tient à préciser que l’Éducation nationale suivra bien entendu l’injonction du Conseil d’État concernant les données relatives au handicap collectées avant 2008. A ce propos, le ministre rappelle que ces informations ne sont plus demandées lors de l’inscription des élèves.

Par ailleurs, le ministre constate avec satisfaction que le Conseil d’État a confirmé l’intérêt et la régularité de la "base nationale des identifiants élèves", qui permet d’assurer le suivi des élèves tout au long de leur scolarité. Il répondra bien entendu à la demande du Conseil d’État de proposer, dans les trois mois, une nouvelle durée de conservation des données d’identification des élèves.

Luc Chatel se réjouit que les décisions rendues par le Conseil d’État confortent la légitimité des deux dispositifs, "base élèves premier degré" et "base nationale des identifiants élèves", qui contribuent au suivi et à la connaissance de la scolarité des élèves ainsi qu’à la modernisation du système éducatif.


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